Petite histoire de la SIHM

par Jean-Pierre TRICOT

NB : La SIHM a publié en 1970 et 1982 deux brochures relatant, de façon plus détaillée, l'histoire de la Société, de ses membres et de ses congrès, sous la plume du Pr. Franz-André SONDERVORST. Ces brochures sont disponibles sur ce site, sous la forme d'un unique document Acrobat (format PDF) de 131 Ko
 
Histoire de la SIHM, par le Dr. SONDERVORST

Hippocrate

Hippocrate peut non seulement être universellement considéré comme le père de la médecine, mais également comme le père de l'histoire de la médecine. Dans son traité "De l'ancienne médecine", il retrace l'archéologie de la médecine pour ensuite mieux critiquer les novateurs de l'art. La connaissance philosophique de l'homme n'est, d'après lui, possible que par une médecine bien comprise et une étude des relations causales entre le régime et l'homme. Jusqu'à la fin du 18e siècle, tous les praticiens de l'Art de guérir se référeront aux écrits du maître de Cos.

Les premiers manuels

Lorsque la médecine expérimentale fit son apparition au début du XIXe siècle, ses premiers résultats ne faisaient qu'entériner les données empiriques dont on disposait à ce moment-là. Le scientisme des médecins du XIXe siècle et le terrain limité d'études des historiens temporiseront les potentialités présentes, de part et d'autre, à se consacrer à l'histoire de la médecine.

La première chaire de cette discipline fut bien érigée à Paris, en 1795, mais dès 1822, elle allait devenir vacante pour près d'un demi siècle. C'est à partir de 1870, date à laquelle Charles Daremberg en fut nommé le nouveau titulaire, qu'on peut parler d'une timide prise de conscience de l'intérêt de l'étude de l'histoire de la médecine, et ceci, jusqu'à la veille de la Grande Guerre. Plusieurs traités furent publiés. En 1870, parut "L'Histoire des Sciences Médicales" du parisien Charles Daremberg (1817-1872), élève de Littré, et donc très intéressant en ce qui concerne les chapitres sur la médecine grecque. A la faculté de Berlin, Julius Pagel (1851- 1912) publia son cours en 1898 : "Einführung in die Geschichte der Medizin". Les éditions ultérieures furent complétées par son élève Karl Sudhoff (1853-1938), titulaire de la chaire de Leipzig. Entre-temps, à Vienne, Max Neuburger (1866- 1955) rédigea entre 1906 et 1911, son livre "Geschichte der Medizin", selon une approche plus philosophique. Mentionnons enfin, dans le monde anglo-saxon, le médecin de l'armée américaine Fielding H. Garrison (1870-1935) qui publia, en 1913, "An Introduction to the History of Medicine".

Naissance de la Société Internationale d'Histoire de la Médecine

Dès 1900, quelques sociétés nationales d'Histoire de la Médecine virent le jour :

Lors du XXVIIe Congrès International de Médecine qui se tint à Londres, en 1913, la 23e section de celui-ci fut consacrée à l'Histoire de la Médecine. Le mardi 12 août 1913, une motion fut adoptée à l'unanimité, co-signée entre autres par Wellcome, Sudhoff et Wickersheimer, exprimant le vœu de constituer une "Fédération Internationale" de toutes ces sociétés, afin de faciliter les échanges scientifiques et d'encourager l'étude de l'Histoire de la Médecine.

Entre-temps, un jeune médecin belge, né en 1875, (Jean) Joseph Tricot, caressait le même projet. Ayant terminé ses études de médecine à Louvain, en 1899, il approfondit ses connaissances histologiques et bactériologiques dans les années suivantes à Paris, où il rencontra non seulement sa future épouse, Mademoiselle Royer, mais également, plusieurs historiens de la médecine française, et ceci lors de leur réunion mensuelle à l'ancienne faculté de médecine de Paris. Tricot-Royer s'installa comme médecin-stomatologue à Anvers. Une conférence qu'il donna en Sorbonne, le 2 avril 1914 sur André Vésale, à l'occasion du quatrième centenaire de sa naissance provoqua le déclic. L'initiative franco-belge d'ériger une société internationale, en octobre de la même année 1914, fut soutenue par des représentants de nombreux pays. Citons les français Delaunay, Jeanselme, Laignel-Lavastine, Menetrier et Neveu, le néerlandais De Lint, l'allemand Sudhoff, l'anglais Rolleston, l'espagnol de Alcade. Le projet fut cependant contrecarré par l'éclatement de la première guerre mondiale. Tricot-Royer profitera de ces quatre années pour peaufiner son plan tout en approfondissant l'étude du folklore médical de son pays. Dès la fin de la guerre il réunit ses confrères des pays alliés et parvint à organiser, en 1920, à la Maison Médicale d'Anvers (Belgique) le "1er Congrès de l'Histoire de l'Art de Guérir." Le coup d'envoi fut un coup de maître : 191 participants provenant de 10 pays différents, y compris la Turquie et les Etats-Unis, y présentèrent 61 communications.

Paris, ville hôte du IIe Congrès de 1921, ne pouvait demeurer en reste : 214 congressistes de 15 pays y assistèrent à la naissance de la Société Internationale d'Histoire de la Médecine, suivant, en cela, le vœu exprimé par l'historien de la médecine hollandais De Lint : "Il est créé une Association Internationale d'Histoire de la Médecine dont la commission permanente siège à Paris". Quoique Sudhoff ait activement participé aux travaux préparatoires de la fondation d'une telle société, avant la guerre, les Allemands ne firent leur réapparition que 6 ans plus tard, lors du Congrès de Leiden et Amsterdam de 1927.

La jeune Société Internationale d'Histoire de la Médecine (1921-1938)

Sans nul conteste, les deux figures de proue de la jeune société furent, durant le premier tiers de son existence, son président fondateur le Prof. J.-J. Tricot-Royer, qui dirigera la SIHM jusqu'en 1930, pour en devenir ensuite le président d'honneur jusqu'en 1951, année de son décès, et d'autre part, M. Laignel-Lavastine, professeur à la faculté de médecine de Paris, secrétaire-général, de 1921 à 1936 et président, de 1946 à 1953. Il est évident que sans ce tandem franco-belge, la SIHM n'aurait jamais vu le jour ni perduré jusqu'à aujourd'hui.

Lorsque l'on consulte les premiers comptes-rendus des réunions de l'époque, on réalise que le but principal des promoteurs de cette nouvelle société était moins le désir de créer une société scientifique internationale qui grouperait les trop peu nombreux savants spécialisés en la matière de l'époque, que celui de promouvoir, par tous les moyens et aussi, par une politique de présence, un goût, un courant, poussant à l'étude de l'histoire de la médecine et d'en souligner l'importance. Ainsi, dès sa fondation, la SIHM ouvrira ses portes tant aux historiens professionnels qu'aux médecins-amateurs d'histoire de la médecine.

Une des tâches principales de la société a toujours été d'organiser des congrès internationaux biennaux (entre 1920 et 1929, la fréquence fut parfois annuelle : 7 congrès furent organisés, sur 10 ans). Dès le premier congrès, le Nouveau Monde fut déjà représenté. Néanmoins, tous les congrès organisés entre les deux guerres mondiales le furent en Europe. Cet eurocentrisme exercera une influence non seulement sur le sujet des communications, mais également, sur le nombre des pays représentés à ces congrès.

L' après guerre (1950-1984)

Entre 1938 et 1950, les activités de la SIHM furent mises en veilleuse. La seconde guerre mondiale et les événements consécutifs à celle-ci empêchèrent toute organisation de congrès en cette période. En principe, un congrès aurait du avoir lieu à Berlin, en 1940, sous la présidence du Professeur Diepgen. Toutefois, il faudra attendre l'année 1966 avant que la république fédérale d'Allemagne ne réussisse à être le pays hôte du XVIIième Congrès International, bien que l'étude de l'histoire de la médecine déjà institutionnalisée, en ce pays, dès le début du siècle.

Les 13 congrès postérieurs à la seconde guerre mondiale eurent tous lieu en Europe et, parfois, dans des villes où ils avaient déjà eu lieu (Madrid, Rome, Bucarest ou Londres). Au plus fort de la guerre froide, des efforts furent entrepris par le bureau de la Société pour ne pas oublier les pays de l'autre côté du rideau de fer (Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie).

L'ouverture au monde (1984-2000)

Une modification des statuts fut élaborée en 1984 afin de sortir du carcan européen. Les quatre vice-présidents de la SIHM devaient être, dans la mesure du possible, originaires de continents différents. C'est également à partir du congrès du Caire, en 1984, que l'anglais fut promue comme une des deux langues officielles de la SIHM sur le même pied que le français.

Les initiatives du bureau et du conseil d'administration furent couronnées de succès. En 1976, le Canada accueillait les participants au XXVe congrès, en 1984, l'Egypte ceux du XXIXe. En 1998, la ville tunisienne de Carthage fut la ville hôte du XXXVIe congrès et les Etats-Unis entament le second millénaire en organisant le XXXVIIe congrès à Galveston, au Texas.

Publications : actes et revues

En général et à quelques exceptions près, les Actes de la majorité des congrès furent publiés. De ces centaines de communications, peut-être de valeur inégale, mais la plupart du temps d'un intérêt certain, un traité exhaustif et général d'Histoire de la Médecine pourrait être distillé.

Durant son existence, la société a tenté, à plusieurs reprises, de publier sa propre revue. Au début, et ceci jusqu'en 1936, la revue Française "Æsculape" ouvrit ses colonnes aux articles écrits par les membres de la SIHM. Entre 1936 et 1940 furent publiées les "Archives Internationales d'Histoire de la Médecine" et entre 1954 et 1962, le "Bulletin et Mémoires de la SIHM". Depuis 1996, une nouvelle revue bisannuelle a vu le jour : Vesalius, Acta lnternationalia Historiae Medicinae.

Les thèmes des congrès

Durant les 7 premiers congrès (Anvers,1920 - Oslo,1928), les organisateurs n'imposèrent pas de thèmes particuliers aux congressistes. A partir du congrès de Rome de 1930, des thèmes médico-historiques spécifiques furent soumis aux participants, ceci, après accord du bureau de la SIHM. Ces thèmes sont dans la rubrique "Congrès", étant donné qu'entre 1920 et 2000, trente-sept congrès ont eu lieu, et que ceux-ci constituent l'activité principale de la société. Les thèmes sont extrêmement variés et une ligne conductrice ne peut être dégagée.

La liste des présidents et des secrétaires généraux, véritables chevilles ouvrières de la société, a également été reprise en annexe. Les mérites des premiers présidents ont été parfaitement décrits dans les 2 opuscules édités en 1972 et 1982 par le Prof. F.A. Sondervorst : "Coup d'œil rétrospectif sur la Société Internationale d'Histoire de la Médecine."

Les cinq derniers présidents (1976-2000)

Cinq savants éminents ont présidé aux destinées de la société durant ce dernier quart de siècle.

Le pédiatre canadien De la Broquerie Fortier (1976-1980) parvint à organiser le premier congrès de la SIHM sur le nouveau continent. L'histoire de la pédiatrie lui est redevable de beaucoup.

Le chirurgien, professeur et Directeur de la Santé français Jean-Charles Sournia lui succéda (1980-1984). Membre des académies françaises de médecine et de chirurgie, J.-C. Sournia est également l'auteur prolifique de nombreux ouvrages médico-historiques du plus haut intérêt. Il parvint à remodeler fondamentalement les statuts de la société : le rôle des délégués nationaux (membres du conseil d'administration) fut renforcé et l'anglais fut introduit en tant qu'une des langues officielles.

Le professeur allemand Hans Schadewaldt remplit deux mandats (1984-1992). Cet historien de la médecine s'efforça de faire face à la nouvelle situation médico-historique mondiale, suite à l'effondrement du rideau de fer. Sous sa présidence, la SIHM fut soumise à d'intenses pressions externes : la création d'une Académie Internationale d'Histoire de la Médecine et celle d'une Société Européenne d'Histoire de la Médecine, dont la première a déjà été dissoute et dont la seconde végète.

De 1992 à 1996, le médecin généraliste gallois John Cule tint les rennes de la Société. Dès 1972, il se consacra uniquement à l'Histoire de la Médecine. Sa présidence fut marquée par l'admission des membres de plusieurs pays de l'Union Soviétique et de la Yougoslavie démantelées. C'est également sous sa présidence que la nouvelle revue de la Société vit le jour en 1996 : Vesalius, Acta lnternationalia Historiae Medicinae, édité à Bruxelles.

En 1996, la présidence échut à nouveau à un représentant du Nouveau Monde : Ynez Viole O'Neill (1996-2000), professeur d'Histoire de la Médecine à l'Université de Los Angeles. Sous sa présidence, la société connaîtrait un tel regain d'intérêt aux Etats-Unis que le congrès de l'an 2000 s'y tient. La généralisation de l'enseignement de l'histoire de la médecine figura parmi les points essentiels du programme de O'Neill.

Perspectives d'avenir

Le nombre des membres de la société oscille ces dernières années entre 500 et 800. Les historiens professionnels témoignent de plus en plus d'intérêt pour les activités de la SIHM et réalisent que l'apport de chaque membre individuel de la SIHM, fut-il un historien amateur, contribue à compléter l'inventaire de l'histoire de la médecine, comprenant quatre grands panneaux : l'histoire du métier (l'art de guérir et la médecine), l'histoire du décor (les hôpitaux, les facultés et les institutions médicales), l'histoire des interférences de la médecine (avec les arts, les sciences, la politique et la géographie), ainsi que l'histoire de l'expression (étude des sources et analyse de la communication).

La Société Internationale d'Histoire de la Médecine a pris un excellent élan pour devenir centenaire. Ses fondateurs n'auront pas à rougir outre-tombe de ses réalisations.

Présidents de la Société Internationale d'Histoire de la Médecine (SIHM)

1921-1930 Jean-Joseph TRICOT-ROYER (Belgique)
1930-1936 Davide GIORDANO (Italie)
1936-1946 Victor GOMOIU (Roumanie)
1946-1953 Maxime LAIGNEL-LAVASTINE (France)
1953-1964 Ernest WICKERSHEIMER (France)
1964-1968 Adalberto PAZZINI (Italie)
1968-1971 Maurice BARI ETY (France)
1971-1976 Noël POYNTER (Grande-Bretagne)
1976-1980 De La Broquerie FORTIER (Canada)
1980-1984 Jean-Charles SOURNIA (France)
1984-1992 Hans SCHADEWALDT (Allemagne)
1992-1996 John CULE (Grande-Bretagne)
1996-2000 Ynez Viole O'NEILL (Etats-Unis)
2000-2004 Jean-Pierre TRICOT (Belgique)
2004-2008 Athanassios DIAMANDOPOULOS (Grèce)
2008- Giorgio ZANCHIN (Italie)

Secrétaires-Généraux de la Société Internationale D'Histoire de la Médecine (SIHM)

1921-1936 Maxime LAIGNEL-LAVASTINE (France)
1936-1948 Jules GUIART (France)
1948-1964 Franz-André SONDERVORST (Belgique)
1964-1984 Louis DULIEU (France)
1984-1990 Marie-José IMBAULT-HUART (France)
1990-1998 Jean-Pierre TRICOT (Belgique)
1998-2002 Alain LELLOUCH (France)
2002-2005 Philippe ALBOU (France)
2005-2008 Alain TOUWAIDE (Belgique/USA)
2008- Dana BARAN (Roumanie)