(pour passer en mode transcription, images et notes, cliquez sur le numéro de page)


Page 1

Notes

16 avril. Ma santé étant altérée depuis longtemps par des fatigues excessives de corps et d'esprit, par le manque absolu de repos et de distractions, je pensais qu'il était indispensable, pour ne point arriver trop tôt au but final, de couper un morceau de ma vie pour allonger le reste et je me décidai à m'absenter de Paris et à faire un petit voyage, genre d'emploi de mon temps qui a toujours été très favorable à ma santé. Encouragé par mes amis et presque chassé par eux de Paris, je profite d'une heureuse circonstance, de la compagnie de M. V., homme que j'aime autant que j'estime, et dont la conversation pleine de sens et de raison m'a toujours offert beaucoup de charmes. Nous proposons de visiter l'Italie et d'en revenir par la Suisse et la Savoie. Toutes mes affaires étant arrangées, mes préparatifs faits, je prends congé de quelques amis et de mes malades. Je dois remercier ceux-ci d'avoir insisté sur la nécessité de mon départ, dans un moment où ils avaient besoin de moi. Il y [a] là vraiment de la générosité de leur part : c'est la preuve la plus touchante qu'ils pouvaient me donner de leur réciprocité d'affection. Malgré la belle perspective que devrait m'offrir ce voyage, sous le double rapport de rétablir ma santé dans la société de personnes que j'aime, et d'augmenter mes connaissances par de nouvelles observations, je puis dire que jamais je n'ai entrepris de voyage dans une disposition d'âme aussi triste. Rompre tout à coup de douces habitudes de famille et d'amis, mettre le temps et l'espace entre eux et soi, être dans ce vague d'incertitude si on les reverra jamais, avoir seulement cette inquiétude qu'ils puissent avoir besoin de vous sans que vous puissiez les soulager ou les secourir, est chose bien triste ! Il n'y a réellement de délicieux pour le cœur, dans un voyage, que le jour du retour. On dort bien mal la veille d'un départ.


Page 2

17 avril. Lundi Après avoir encore expédié quelques affaires, déjeuné avec ma famille et quelques amis intimes (M. N. Giron, Pope, Gassicourt, Belot Boneschi), je leur fais mes adieux et me rends chez M-V… Les chevaux sont prêts, nous partons à 10 [heures] ½ dans une excellente voiture de voyage avec M. Dailly, beau-frère de M. V…, sa femme, l'un de ses fils. Le temps est couvert, et le vent froid. M. Dailly est un homme âgé d'environ 50 ans, il est directeur de la poste aux chevaux de Paris et il est obligé sur la route de se cacher pour éviter les honneurs des maîtres de poste et des postillons. Sa conversation est intéressante. Il s'occupe avec activité et intelligence de sa spécialité, et d'agriculture. Il dirige deux ou trois lignes d'omnibus. Il me paraît entendre à merveille tous les sujets pratiques de son administration. Il nourrit 500 chevaux et suivant leurs qualités, leurs vigueurs, leur état de santé ou de maladie il les emploie à la poste, ou les fait passer aux omnibus ou enfin les met à la réforme et les emploie à l'agriculture et les vend aux paysans. Il est contagionniste pour la morve et dès qu'un cheval est chancreux, il le fait abattre. Pour les omnibus et la poste, le plus mauvais jour de recette est le vendredi. Les meilleurs jours sont ceux ou la matinée est belle et qu'il pleut vers le milieu de la journée. Dans les meules de blé, les souris se logent principalement vers le sommet et ce sont les gerbes supérieures qu'elles altèrent le plus. M. D. tient également une fabrique de fécule de pomme de terre qu'il exploite en grand dans une propriété près de St Cyr. M. D. nourrit la moitié de ses chevaux hors de Paris, et sur les seuls droits d'entrée, économise ainsi 18 à 20 mille francs. Les routes sont bonnes, mais le temps est froid. La pluie commence à tomber.

Fontainebleau

Arrivé à 5 [heures] ½. Logé à l'hôtel britannique. On y est fort bien. La neige tombe. Nous ne pouvons aller voir le château. Mr et Mme Dailly, Melle V. et son cousin vont rendre visite à Mme Behemme, veuve de l'ancien trésorier des


Page 3

Invalides et belle sœur de ma tante Grouvelle. Je reste à causer avec M. V., bien paisiblement au coin du feu. Nous dînons à 6 heures. Melle V. me met à un régime sévère d'après les instructions de Chomel et je suis presque obligé de me nourrir de la fumée du mets qu'on sert. Après dîner, la nièce de Mme Behemme vient visiter la famille qui la reçoit à merveille et paraît avoir beaucoup d'affection pour elle. Il est impossible d'aussi bien recevoir une personne, à moins d'avoir pour elle une amitié bien vive et bien sincère, ce qui me donne une bonne idée de celle qui en est l'objet. A Fontainebleau on est fort carliste. Beaucoup de personnes se nourrissent de l'espoir de revoir Henri V. On se partage ses cheveux. Quelques uns rêvent le retour du bon temps, de celui ou les vassaux revi[e]ndront. Il y a beaucoup d'étiquettes. Une dame en deuil ne se permettrait pas de faire une partie de whist. Couché à 9 heures. J'écris à Giron et N…

18 avril. Mardi. Levé à 5 heures. Je commence les notes. Le temps est moins froid, mais toujours pluvieux. A neuf heures nous allons en calèche visiter le château. Munis d'une permission le gardien nous fait traverser la cour d'honneur que ferme la grande grille. Elle est carrée, pavée. En face escalier à double rampe, extérieur au corps de logis. Rampes contournées, soutenues par des arcades. Antichambre avec six portes en chêne admirablement sculptées. Deux sont anciennes, les 4 autres modernes. (Réparation du Roi. Ces réparations sont nombreuses). Salle de Henri II. Nouvellement réparée. Très beaux parquets en bois variés. Les poutres des plafonds, dorées, argentées, couvertes de peintures et d'ornements. C'est une des plus belles salles que l'on puisse voir. Il en est de même de la salle des gardes. Galerie de Diane. Elle a été non pas remise à neuf, mais totalement changée. Les peintures que j'y ai vues il y a plus de 20 ans et qui représentèrent les amours de Diane de Poitiers, ont été remplacées par des tableaux modernes, relatifs la plupart à la suite de la vie de Henri IV, de François Ier et autres rois de France. A l'extrémité sont 4 tableaux mythologiques parmi lesquels j'ai surtout remarqué Diane changeant Actéon en cerf. Charmantes figures de femmes. Salle de Louis XIII. Elle est en réparation remplie d'ouvriers et de peintres et remarquable par les petits paysages et une immense quantité de fleurs peintes sur les portes et les panneaux. C'est dans cette chambre que naquit Louis XIII.


Page 4

La cheminée en est fort belle. Dans un des coins on voit une porte élégamment construite et surmontée d'une sorte de dôme, découpée à jour et sur laquelle a été baptisé Louis XIII(x). Salle de François Ier. C'est une longue galerie, peinte à fresque, en assez mauvais état. Théâtre. Il est petit. La loge du Roi est au milieu ; à l'extrémité des 1ères galeries sont, à droite la loge qu'occupait l'empereur, à gauche celle de l'impératrice. Ces loges sont garnies chacune de deux palmiers qui leur servent de colonne et croisent au dessus leurs branches en forme de guirlandes. La grande chapelle elle est en réparation. La chapelle de St Saturnin, ou chapelle de la Princesse Marie, elle est petite, fort jolie, et remarquable par des vitraux modernes, qui ont été dessinés par la Princesse Marie. Ses dessins sont remarquables par leur pureté et par leur beauté toute angélique des têtes de chérubins. L'appartement de Madame de Maintenon. Très beaux meubles de Boulle en écaille et cuivre. L'appartement de la reine. Simple et riche. Dans sa chambre à coucher, la serrurerie des fenêtres est d'un excellent goût : ouvrage du pauvre Louis XVI. Les espagnolettes et leurs tiges sont entourées de petites guirlandes de chêne, dorées, tournées en spirales. Chambre à coucher du Roi. Lit d'une énorme largeur. Matelas de crin, unique, très mince et très dur, de 3 à 4 pouces d'épaisseur au plus, placé sur la sangle. Le côté de la reine repose sur un second matelas. Les lits des princes et des princesses sont aussi minces et aussi durs. Bonne application de l'hygiène. Salle du trône. Rien de particulier, si ce n'est le fauteuil sur lequel Napoléon trônait. Salle d'abdication de l'empereur. Petite table ronde en acajou sur laquelle en 1814 Napoléon signa son abdication. Les Bourbons ont fait mettre sous le pliant de la table, une tablette de cuivre qui consacre cette abdication. Tableau avec le fac-similé du brouillon de l'abdication.

(x) un tableau de la galerie représente ce baptême.


Page 5

Ecrite de la main de l'empereur et consacrée par le baron Falée. Belle tapisserie des Gobelins et de Bea[u]vais. Bibliothèque, salle de bain, cabinet du Roi. Les portraits de Napoléon sont assez multipliés. Le château est chauffé par des calorifères et on a brûlé cet hiver pour plus de 30.000 livres de bois. Visité le parc anglais et une partie du parc français suivant le vieux système. Nous voyons sur les bords de la pièce d'eau carrée, au milieu de laquelle est un kiosque, l'allée ou Henri IV releva Sully qui se jetait à ses pieds. Jeu de paume. Dans une petite cour est une fontaine en marbre blanc, surmontée de la statue de Diane chasseresse en bronze, avec 4 têtes de cerf jetant de l'eau. Cette fontaine a été faite par l'empereur pour Marie-Louise. Petit escalier tournant par lequel l'impératrice pouvait descendre de son appartement dans cette portion du jardin. Parti à 1 heure de Fontainebleau. Passé par Moret. Temps assez beau, mais couvert. Nous traversons le canal du Loing, l'Yonne et parcourons successivement les vallées de la Seine et de l'Yonne. Arrivés à Sens à 6 heures. Logé à l'hôtel de l'Écu, près la cathédrale. On y est bien.

Sens

Ville assez médiocre, de 11 à 12 [mille] habitants. La cathédrale. Beaux vitraux de Jean Cousin. Le morceau le plus remarquable est le tombeau du Dauphin, fils de Louis XV, et de sa femme qui mourut de douleur quelque temps après l'avoir perdu. Ce monument est d'une beauté remarquable pour la composition et l'exécution. Deux urnes, semblables, en marbre coloré sont placées sur un tombeau élevé. Au devant deux statues, plus grandes que nature, représentent l'une la Religion, qui pose une couronne sur les deux urnes, l'autre l'Immortalité. Derrière le monument, deux autres statues, représentant l'une le Temps qui voile les deux urnes et tranche la vie des deux époux, l'autre l'Hyménée qui éteint son flambeau. Un enfant, qui représente le génie des arts, mesure la terre avec son compas et se trouve placé


Page 6

entre la Religion et l'Immortalité. Ce monument a été sauvé de la fureur Révolution et caché dans une maison, près de la cathédrale. Il a été sculpté en 1777 par Jean Coustou de Paris. C'est un des plus beaux monuments et sculptures que j'aie encore vus. Au devant du maître-autel, sous les dalles en marbre sont enterrés beaucoup d'évêques de Sens avec leur inscription. Il y en a du 11ème siècle. L'église a 900[ans], les vitraux 600. En entrant à gauche on fait voir une petite tête étranglée entre deux colonnettes d'un pilier. C'est ce qu'on nomme la tête de Jean du Coingnot, par[ce] qu'on l'a mise dans un petit coin. C'est la tête d'un avocat qui avait attaqué le haut clergé de Sens sur ses abus. Il perdit sa cause et les prêtres pour s'en venger, firent mettre sa tête, dans cet endroit, afin de se moquer de lui. Ces histoires nous sont racontées par un vieux sacristain qui a vu l'enterrement du Dauphin. Drapeau.

19 avril. Mercredi. Nous partons à 6 heures du matin pour Montbard. Nous traversons le canal de


Page 7

Loing, nous côtoyons la rivière de l'Yonne et le canal de Bourgogne. Ce dernier est très beau et bien entretenu. Planté de peupliers dans l'espace où nous le côtoyons pendant plus de 15 lieues. Pays de coteaux et de belles vallées bien cultivées. Riches vignobles. Bonne culture de la vigne. Nous passons par Tonnerre. Tout le pays est encore couvert de neige. Ciel couvert. Température assez froide. À Ancy-le-Franc, nous voyons le château de M. de Louvois. Bâtiment carré à 4 pavillons et 4 paratonnerres, entouré de fossés en réparation. Cour carrée, corridor circulaire, les appartements n'ont rien de remarquable si ce n'est quelques vieilles peintures à fresque dont deux sont fort bien conservées et quelques tableaux de famille. Le château construit en 1563 est parfaitement conservé ce qu'on peut attribuer à la qualité des pierres dont il est fait (pierre lithographique dont les carrières abondent). Partout sont les armes de Louvois (3 lézards) avec l'exergue melius frangi quam flecti ? Il y a une chapelle avec deux tableaux votifs, de Mme de Louvois, l'un dans lequel cette dame voue son enfant naissant à la vierge et aux anges, et un autre dans lequel elle le revoue encore à la vierge et aux anges lors de son retour. En face de la chapelle salle de spectacle détestable dont les décorations ont été faites par un amateur. Nous arrivons à Montbard à 6 ½. Nous voyons en passant le château de M. de Buffon placé sur la hauteur, dans l'emplacement du château des anciens ducs de Bourgogne dont on aperçoit encore quelques ruines et une tour bien conservée. Nous logeons à l'hôtel du Point du Jour. On y est bien. Je reçois la visite de Cana, de MM. Dyouvet et Guérard. Je visite leurs familles. Le pouls de M. Guérard ne bat toujours que de 20 à 28 par minute. Montbard ville sale, mal pavée.

20 avril. Jeudi. Nous partons à 6 heures pour Chalon-sur-Saône. La route est mauvaise jusqu'à Semur. Semur jolie petite ville, située sur une hauteur, entourée de rempart au pied duquel passe une rivière que l'on traverse sur un pont à une seule arche, fort beau. Elle domine tout


Page 8

le pays voisin et se trouve entourée de jardins en escalier, d'un effet très pittoresque. De là à St Thibaut. De là à Pouilly. En passant à Pouilly nous visitons le tunnel du canal de Bourgogne. Ce beau canal unit la Saône à l'Yonne et met ainsi en communication Marseille avec Le Havre. Le tunnel est un beau chef d'œuvre. Il a 3336 mètres de longueur. Il est creusé dans le roc et dans quelques endroits 156 pieds au dessous du sol. La construction en pierre est très solide et les joints sont mis avec le ciment de Pouilly (ciment romain). C'est celui qu'on emploie à la jetée de Cherbourg, où on l'expédie de Pouilly même. De 500 en 500 pas de distance à peu près, la voûte est éclairée et aérée par des puits verticaux. D'un côté sont des anneaux avec une corde pour héler les bateaux. Ils mettent 6 heures à le traverser. Depuis le 1er janvier au 1er mars il a passé 52 000 pièces de vin par le canal. Un bateau en porte 400. L'impôt par bateau est d'environ 3 000 livres. Il y passe des bateaux de charbon, de bois, de fer etc. x

Beaune. Cette ville dont nous n'avons vu que les remparts, très bien conservés, est entourée des riches vignobles qui l'ont rendue célèbre. Le pays est couvert de collines séparées par de courtes vallées ; ces collines sont calcaires, pierreuses : la pierre d'apparence de schistes, fendillée, est dure (pierre lithographique), grisâtre, mêlée d'un tuf ferrugineux. Toutes ces collines et les vallées sont défrichées et couvertes de vignes. La plupart des champs sont enclos de murs de pierres superposées. Tout est cultivé. Il n'y a pas de mendiants sur la route ni dans la ville. Les enfants abondent et sont bien couverts, assez propres et d'excellentes mines en général. De petits yeux noirs et colorés de visage. Les vignes sont cultivées sur les collines et dans les plaines, ce qui doit donner des vins de qualités bien différentes. En général les terres, vignobles sont très ferrugineuses. x Il y a de grands réservoirs pour alimenter le canal. Nous passons devant l'un d'eux ; c'est une [suite bas de page suivante]


Page 9

21 avril Arrivés à Chalon à 10 heures du soir. Logés à l'hôtel de Bordeaux. On y est bien. Visité le quai. Il est fort beau, couvert de bateaux marchands. L'Hirondelle va partir à 6 heures. Ville assez jolie. La Saône est à peu près de la largeur de la Seine à Paris. Passé par Tournus. Mâcon. Villefranche. Admirable prairie du bord de la Saône. Couverte de bestiaux. Presque toutes les vaches sont blanches. Pays riche, parfaitement cultivé. Les vignes sont plantées jusque sur le sommet des hautes collines qui bornent la vallée de la rivière. Nous voyons à distance passer un bateau à vapeur qui remorque 4 grands bateaux de charbon de terre. En approchant de Lyon la pierre devient plus rare, et les maisons sont bâties avec de la terre que les maçons foulent entre 4 planches et qui se durcit et permet d'élever des maisons à deux et trois étages. En arrivant à Limonest près Lyon, on monte une forte côte du sommet de laquelle on aperçoit un superbe point de vue. La matinée a été fort belle ; le milieu du jour pluvieux. Le beau temps s'est rétabli vers le soir. Arrivé à Lyon à 7 heures. Logés à l'hôtel de Provence près la place Bellecour. Les femmes de la Saône ont une coiffure singulière. De l'autre côté de la rivière on voit le beau pays de la Bresse.

Lyon

22 avril. Samedi. Lyon est placé en grande partie dans l'espèce de delta que forment le Rhône et la Saône en se réunissant à la pointe de Perrache. Le Rhône coule à gauche de la ville, la Saône à droite ; de l'autre côté sont les faubourgs. Le pays est plat et peu pittoresque du côté du Rhône. Les bords de la Saône bordés de hautes collines, coupées presque à pic, sont très pittoresques, garnis de maisons de campagne agréables avec des jardins soutenus par des murs dont quelques-uns sont formés

[suite note page précédente] muraille qui en forme tous [illisible], et s'étendant d'une colline à l'autre y retient l'eau comme dans un étang. Au bas de la muraille sont pratiquées des vannes qui conduisent l'eau par des canaux particuliers qui se déchargent dans le canal de Bourgogne.


Page 10

" Entrée du tunnel du canal de Bourgogne "


Page 11

" Paysanne des environs de Mâcon "

d'arcades comme des aqueducs. On nous fait voir un petit pavillon où les ouvriers s'étaient réfugiés. On tira dessus plus de 200 coups de canon et on le détruisit en grande partie. Il fut reconstruit. Chemin de fer. Dernièrement il a péri 14 personnes dans une rencontre de voitures. Depuis ce temps le chemin a beaucoup perdu pour les voyageurs. Voiture sale, rails mal entretenus ; négligences ; quelle misère en comparaison du chemin de Liverpool ! Nous visitons en calèche les quais du Rhône et ceux de la Saône. Ces derniers sont infiniment plus beaux, les ponts nombreux et plus élégants. Il y en a un suspendu qu'il est très gracieux. 4 petites colonnes de pierre le supportent et les extrémités des chaînes sont retenues par de gros lions fondus au Creusot. Nous visitons le musée. Bâti sur la Place des Terreaux. C'était un ancien couvent de religieuses, dont chaque membre disait compter 4 générations d'aïeux nobles, soutenus pour chaque nonne par 10 mille livres de rente. Une sœur de Louis XV y a été supérieure. L'abbesse avait le droit de faire saisir aux exécutions capitales et de demander la grâce au Roi. Le cloître est carré, très vaste. Une fontaine au milieu. Sous les promenoirs sont beaucoup de tombeaux, d'urnes, de statues mutilées provenant des fouilles et d'origine romaine. Plus le squelette d'une petite baleine. Dans la galerie de tableaux on y voit de bons tableaux : en 1ère ligne une Adoration des mages de Rubens x, chef d'œuvre, où le peintre a déployé tout le luxe et l'harmonie de ses coloris, en conservant une grande pureté de dessin, ce qui ne lui arrivait pas toujours. Le roi maure, vêtu d'une tunique de satin jaune, couvert d'un

x donné par le cardinal Fesch, archevêque de Lyon.


Page 12

manteau vert. J'ai aussi remarqué la grâce du petit nouveau-né qui pose sa petite main sur la tête chauve d'un vieillard qui lui baise les pieds, et la petite d'un petit nègre qui souffle dans un encensoir qu'il ouvre et dont il active le feu. Un beau tableau de moine de Ribera L'Espagnolet. Deux superbes tableaux du maître de Raphaël. Un très beau portrait d'un mécanicien de Lyon en robe de chambre blanche et Le mauvais propriétaire tableau de genrex. 4 petits tableaux représentent les 4 saisons ; 4 superbes mosaïques romaines, trouvées dans Lyon ou aux environs, parmi lesquelles en est une fort grande qui représente une course de chevaux et de chars. Un Anglais avait proposé de l'acheter en la couvrant de pièces de 40 livres. Le gardien a fait le calcul et a estimé qu'elle lui aurait coûté 4 millions. Beau pied de cheval en bronze extrait de la Saône par la corde d'un bateau qui l'a cassé de la statue qu'on soupçonne être restée au fond du fleuve. Beaucoup d'antiquités romaines. Musée de statues en plâtre. Musée d'Histoire Naturelle. Escalier magnifique du musée. Statues au plafond de l'Hôtel de Ville. Visité les deux belles statues en bronze, la Saône et la Rhône. Vu la cathédrale. Belles sculptures. Superbes rosaces en vitraux. Église d'Ainay. La plus ancienne bâtie sur les restes du temple d'Auguste. 2 belles colonnes de granit ont été coupées par la moitié pour en faire 4. Vandalisme religieux. Fait sonner l'horloge, vu les 12 apôtres, l'Annonciation de la vierge et entendu chanter le coq. Observatoire. Église de St Nizier. La voûte, l'horloge en rosace au plafond. Confessionnal sculpté. Il y a beaucoup de misère à Lyon. Peu d'ouvrage. La misère paraît aux environs des églises.

Le 23 avril. Dimanche. Partis à 5 heures du matin pour Avignon par le bateau à vapeur. La cabine 140 livres. 30 première place. 20 la seconde. Temps détestable, pluie, vent froid presque continuels. Nous rentrons dans la voiture. Arrivés à 3 heures à Pont-Saint-Esprit. Le temps devient moins affreux vers le milieu de la journée. Arrivés à 5 heures en Avignon. Visité Chaussart. Couché à 9 heures. x de Bonnefond


Page 13

" Bords du Rhône "

" Villages rive droite du Rhône "


Page 14

" Bateau du Rhône "

" Pile d'un bac avec son escalier "

" Pont suspendu sur le Rhône "


Page 15

" Autre pont "

" Bords du Rhône "


Page 16

" Ruines d'un vieux château. Rive droite "

" Bateau d'embarcation "


Page 17

" Valence "

" Le Rhône au dessus de Montélimar "


Page 18

" Rhône au dessus de Montélimar "

" Montagnes de Viviers au dessous de Montélimar "


Page 19

" Montagne de l'Ardèche en face de Viviers"

" Pont St Esprit "


Page 20

" Ruines du château du baron des Adrets. Rive gauche "

" Ruine d'un vieux château. Rive gauche "


Page 21

" Pin d'Italie sur la gauche du Rhône demi-lieue au dessus d'Avignon "

Avignon (1)

24 avril. Lundi. Visité le palais des Papes, bâti sur un rocher. De l'autre côté du Rhône est Villeneuve. Espèce de forteresse. Élevée aussi par les papes, pour avoir pied sur le territoire de France. Il y avait une communauté religieuse. Le palais des Papes. La façade et le dôme de l'église sont de construction romaine, avec des colonnes de l'ordre corinthien et de l'ordre toscan. Les chapelles de l'église renferment les tombeaux de plusieurs papes(2) en restauration. L'église a une superbe galerie en balustrade à guéridon de fort bon goût. Nous voyons le tombeau du duc de Crillon. Nous voyons la glacière du haut de laquelle ont été précipitées 80 personnes. Un prêtre se fit enfermer avec elles pour leur donner l'absolution et mourut de la même mort. A l'église St Jean, qui tient à l'hôpital des aliénés nous visitons le fameux Christ d'ivoire qui est enfermé dans une caisse à part. Il est fort bien sculpté. Le corps et la tête sont d'une seule pièce. Il a 24 pouces de longueur et porte (C. Joan Gvillermin inv. et scupls. Aven. 1659). On prétend que Guillermin fit ce chef d'œuvre pour racheter son neveu qui était condamné à mort et dont il obtint la grâce. La tête est d'une belle expression, peut-être cependant exprime-t-elle trop le sentiment de la douleur physique. La religieuse qui le fait voir prétend qu'en regardant sa tête de profil, d'un côté le Christ paraît mort et de l'autre en vie, ce que je n'ai pas trouvé du tout, heureusement pour l'artiste, qui n'aurait pu faire ce tour de force, sans rompre l'harmonie indispensable dans les deux côtés du visage vu de face. Les détails d'anatomie pittoresque de cette sculpture sont d'une grande vérité.

(1) logés à l'hôtel d'Europe. On y est bien. (2) Jean 22 et Benoît XII


Page 22

Ancienne mounoie. Ce monument est placé en face du palais des Papes. Il n'en reste guère que la façade qui est carrée long, surmontée d'une balustrade. Celle-ci est surmontée de quatre statues d'aigle d'un effet pittoresque. De chaque côté de la porte, de gros anges, très massifs, soutiennent un écusson. Guirlandes de fruits soutenues par des têtes de lions. Ce bâtiment est actuellement occupé par la gendarmerie. Du haut du rocher d'Avignon, on voit un superbe panorama. Le cours du Rhône, la grande île appelée [blanc] qui sépare deux bras du Rhône ; sur l'horizon la Durance paraît comme une ligne argentée, et va se jeter dans le Rhône au dessous d'Avignon. Sur le rocher est un petit cimetière dans lequel on a enterré un médecin, M.[blanc], célèbre antiquaire d'Avignon, qui a légué sa collection au musée de la ville, à condition qu'il porterait son nom, que son buste en marbre y demeurerait à perpétuité et qu'on l'enterrerait debout. Le confrère était passablement vaniteux, sinon fou !

Id. 24 avril. Lundi. Nous partons d'Avignon à 1 heure. A une demi-heure de chemin, en descendant une côte, les chevaux s'emportent, le postillon ne peut les retenir, le postillon rue contre les garde-crotte et les brise. C'est la circonstance la plus critique du voyage jusqu'à présent. Dieu merci nous en sommes quittes pour un peu d'émotion. (Sur le pont d'Avignon, la voiture paye 45 sols).

Pont du Gard

On se détourne de la route pour visiter le Pont du Gard. On traverse d'abord le Gard ou Gardon sur un pont suspendu en fil de fer, à une seule pile placée au milieu du torrent. Ce pont est élégant et de bon goût. Et bientôt on arrive au Pont du Gard, ancien aqueduc romain d'une grandeur colossale,


Page 23

d'un aspect imposant, qui traverse la rivière et domine le pays voisin. Les bords du Gard sont limités par de beaux rochers, d'un aspect très pittoresque. Il y a trois rangées d'arcades superposées. 6 en bas, 11 au milieu et 32 en haut, au dessous de l'aqueduc qui est fort rétréci par les incrustations calcaires qui tapissent ses parois. Les grandes arcades du milieu ont 27 pas de largeur. Sur presque toutes les parties du pont sont sculptés ou plutôt gravés des fers à cheval de toutes les dimensions. Les pierres qui couvrent l'aqueduc sont couvertes de ces figures. Le pont offre une légère arcade convexe du côté du courant. (1) Nous arrivons à Nîmes à 7 [heures] ½. Logés à l'hôtel du Luxembourg (Bon). (Cher)

Nîmes

25 avril. Mardi. En allant aux bains de César, nous voyons en passant la porte de César qui n'offre rien de remarquable. Bains d'Auguste César. Situés dans le haut de la ville. La fontaine qui les alimente est située dans un grand bassin entouré de balustrade et auquel on descend par des escaliers. Elle a beaucoup de ressemblance pour ses eaux et ses crues (qui sont en rapport avec la pluie qui est tombée dans les montagnes) avec la fontaine de Vaucluse. On lui a trouvé une quarantaine de pieds de profondeur. Sa direction est oblique. La source passe dans les bains par un aqueduc voûté qui est en grande partie de construction Romaine. Les bains ont été reconstruits sous Louis XIV et Louis XV, d'après ce qui en restait. Les bains forment une grande cour carrée au milieu de laquelle s'élève un tertre de même forme, entouré de muraille et de balustrade surmontée d'un groupe en pierre. Sous les voûtes qui sont soutenues par de petites colonnes

(1) Cette convexité légère qui est bâtie en courbe, n'a pas été imitée dans le pont qu'on lui a accolé, et qu'on a coudé légèrement au milieu. Cette courbure empêche de voir le jour d'un bout à l'autre de l'aqueduc. La plupart des pierres du pont sont d'un calcaire coquillier.


Page 24

" Ste Marthe conduisant la Tarasque " " La Tarasque tuée par Ste Marthe. Eglise de Ste Marthe à Tarascon "


Page 25

sont de grandes excavations qui recevaient des baignoires en marbre blanc. Les eaux des bains passent dans un autre bassin et de là dans de beaux canaux qui les conduisent dans la ville. Le pavé des bains est antique. Près du grand bassin de la source est un caveau avec un puits ou réservoir où sont reçues les eaux qu'on distribue à la ville par 80 fontaines. Les tuyaux sont reçus dans une galerie souterraine, de construction romaine, nouvellement déblayée. Les tambours et les tuyaux anciens (romains) sont de bronze. Temple de Diane. Il est situé à gauche de la fontaine et fermé par une grille. Il est en fort mauvais état et porte comme toutes les ruines que nous avons vues, les traces du feu. Les colonnes, les murs, les chapiteaux sont crevassés ou brisés en éclats par la force du feu. Il est rempli de débris de statues, de colonnes, de frises, d'ornements de divers genres en pierre ou en marbre produit de fouilles. L'aqueduc du Pont du Gard se rendait à ce temple et le surplus des eaux était versé dans la fontaine pour être distribué à la ville. Dans le jardin à droite de la fontaine, débris d'une grande mosaïque à fleur de terre. (1) Tour Magne. Elle domine les bains et occupe la partie la plus élevée de la ville, sur un rocher. Bâtie en pierre rougeâtre imitant la brique. Elle est octogone. Elle avait six pointes correspondant aux face de la tour. On y a établi un télégraphe. Perspective de la ville. Vu les arènes et des anciens murs de circonvallation de la ville. Prison tout près. 1500 pensionnaires ! Maison Carrée. Connue. On y voit le tableau de Laroche, Cro[m]well visitant le cercueil de Charles Ier et quelques autres bons tableaux. Belle mosaïque trouvée à Nîmes.

(1) Près de la fontaine, de chaque côté, 4 statues thermes représentant les 4 saisons. Trouvées dans une fouille. Assez mauvaises statues.


Page 26

Arènes. Rien de nouveau. 5 galeries. Vomitoires et escaliers de communication. Contenait 23 000 p.

A Nîmes on connaît à peine le fameux boulanger poète Reboul ! Nul n'est prophète en son pays ! Partis pour Arles. Chemin plat, paysage antiquisant. En passant à Beaucaire nous voyons un calvaire nouvellement construit et les débris de l'ancien château de Beaucaire. Traversé le pont de Tarascon par un mistral vigoureux, qui fatigue plus le pont que ne le font les voitures(1). Visité l'église Ste Marthe, qui a tué la tarasque(2) monstre qui ravageait le pays. Caveau construit au tombeau de la sainte avec une belle statue en marbre. Un autre tombeau de la même sainte, plus ancien, en pierre, me semble mieux modelé. Plusieurs tombeaux de pieux et dévots chevaliers. Dans le chœur statue de Ste Marthe aspergeant avec son goupillon la tarasque (1) qu'elle tient

(1) A gauche du pont est le château de Tarascon qui sert aujourd'hui de prison (1) De là Tarascon


Page 27

enchaînée. Monstre encore médit. Vu Martel à la porte. Il est content de ses affaires. Arrivé à Arles à 3 heures. Situé sur la rive droite du Rhône. Logé à l'hôtel du Nord. Ville assez bien bâtie, rues étroites, sinueuses, mal ferrées avec des cailloux du Rhône. Les femmes y sont assez belles. Visage ovale, peau fortement colorée, yeux noirs bien fendus, sourcils arqués, nez aquilin, bouche fine, menton un peu aigu. Mal coiffées. Elles portent beaucoup de dentelles. La ville est entourée de vieux remparts. Arènes. Placées au centre de la ville, elles étaient encombrées d'habitations et le sol de l'enceinte montait aux secondes galeries. Il y logeait 2 500 habitants. On les a déblayées et il ne reste qu'une seule maison à l'intérieur et quelques-unes au dehors. Ces constructions modernes ont produit de grandes dégradations aux pauvres arènes, qui sont moins bien conservées que celles de Nîmes mais plus beaux [sic] et plus grandes. Elles avaient 43 gradins et contenaient 25 000 spectateurs. Le bassin est mieux conservé que celui de Nîmes. On voit diverses inscriptions sur ses grandes dalles verticales. Le Maures ont détruit le couronnement et ont bâti 4 grandes tours carrées aux quatre points cardinaux. Nous montons sur l'une et de là nous découvrons un magnifique panorama. Les deux bras du Rhône, le commencement de la Camargue, pays plat, situé dans un delta du Rhône, parfaitement cultivé. Dans l'amphithéâtre d'Arles se donnent aux jours de fête, des combats de taureaux, et il n'y a pas de bonne fête sans qu'il n'y ait de cheval abattu ou d'homme éventré ! Et nous accusons la férocité des combats de gladiateurs des Romains !


Page 28

Débris d'un ancien théâtre romain. Deux colonnes de marbre s'abritent sur le[sic]. Beaucoup de socles, de chapiteaux et de fûts de colonnes gisent çà et là. C'est dans les fouilles de ce théâtre qu'on a trouvé la statue de la Vénus d'Arles. Le théâtre porte les traces de l'incendie allumé par Charles Martel. St Trophime ou cathédrale. Visité le cloître qui est charmant. Carré, entouré d'une double rangée de petites colonnes très bien sculptées. Surchargées de figurines et entre ces colonnes de jolies statues très bien sculptées. Sur une rangée de colonnes l'histoire du nouveau testament. Ce cloître a servi à la décoration de Robert le Diable. Dans l'église, on voit une superbe table de marbre sculptée qui représente en bas relief, l'assomption de la vierge, et au dessous une table romaine remplie de figures de guerriers à cheval, dans des chariots et de personnages à longues tuniques. (alliage du profane et du sacré) A l'Hôtel de Ville, un plafond, dans le vestibule, remarquable par sa forme sa courbe et son élégance. Sur l'escalier modèle de la Vénus d'Arles.

26 avril. Mercredi. Nous partons à six heures du matin pour Marseille par la nouvelle route qui conduit directement à St Cannat. Le pays est plat, fertile dans les endroits où il est cultivé et dans l'étendue de six lieues environ on n'aperçoit que des plaines remplies de gros cailloux roulés (ancien lit du Rhône). Là où les cailloux ont été enlevés et la terre

[Note] La coiffure des femmes d'Arles : un large ruban de velours ou de soie de couleur, ordinairement noir ou brun. Par dessus le bonnet est d'un effet désagréable et cependant elles sont belles. Elles paraissent avoir retenu les traits et le caractère des Romains qui ont colonisé et habité longtemps le pays.


Page 29

" Fontaine d'Arles en face de l'hôtel du Nord "

" Femme de Salon. Route d'Arles à Aix "

cultivée, les récoltes sont belles. La nouvelle route va animer le pays et donner de la valeur aux terrains. Déjà dans beaucoup d'endroits on a enlevé les cailloux et fait des plantations de mûriers, de vignes, d'amandiers, ou d'oliviers et elles paraissent prospères. Le pays est également traversé par des canaux d'irrigation qui vien[nen]t de la Durance et ne peut manquer d'arriver avant peu à une grande richesse agricole : il a beaucoup d'analogie avec la Camargue. Arrivé à Aix à 3 heures. Visité la piscine d'eau tiède et les bains qu'on dit dans le pays être très énergiques. Arrivés à Marseille par un fort beau temps (24°) à 6 [heures] ½. Logés à l'hôtel de Maineau. Nous avons traversé Salons, patrie de Nostradamus. Girouette. Peuple français ??? [sic] La gelée a été forte en pruneaux. Avant d'arriver à Aix, nous avons traversé des champs d'oliviers gelés (morts) par la gelée. 11° ½ au dessous de zéro avec le mistral. Pendant la


Page 30

journée le mistral n'a cessé de souffler, mais le soleil était si fort, que les terres communiquaient leur chaleur au vent et le thermomètre marquait 23°.

Marseille

27 avril. Jeudi. Nous visitons le port. Nous voyons en passant la petite fenêtre de la tour St Jean, placée à droite de l'entrée du port, par laquelle le roi Louis-Philippe s'est échappé à l'époque de la Révolution. Ses compagnons d'infortune ont été massacrés. Nous voyons le beau bassin du golfe de Lyon, les îles où les vaisseaux purgent leur quarantaine, le château d'If, le phare qui s'élève sur un petit rocher à pic, à gauche du château d'If, la tour de l'évêque Belsunce, l'Hôtel de Ville, dont la face est ornée de bas-reliefs et de sculptures. Nous visitons le Phocéen de la force de 160 chevaux. Nous partons à 1 heure pour Toulon après avoir vu la Cannebière et le cours. Le chemin par Aubagne, Cujes, le Beausset et Ollioules est très pittoresque. On visite la belle partie de la Provence. On peut constater les envahissements de la culture, sur les plaines et les montagnes les plus arides, les plus sauvages. Partout de belles plantations de vignes, d'oliviers, d'amandiers, quelques prairies, des champs cultivés en bandes étroites. Horizon très pittoresque en descendant la montée de Cujes au Beausset. La mer en forme le dernier plan dans l'intervalle de deux montagnes. Nous traversons les gorges d'Ollioules. En sortant des gorges, la culture reparaît dans tout son éclat. Nous voyons les 1ers orangers en pleine terre en arrivant à Toulon. Arrivés à 7 [heures] ½. M. V. reçoit la visite de son oncle le contre amiral Mr de Kerveguen et de sa famille.


Page 31

" Tartarin de Marseille levant sa voile latine ".


Page 32

[illustration non légendée]


Page 33

28 avril. Vendredi.

Toulon

Visité M. Reynaud. Grand plaisir de nous revoir. Nous causons beaucoup de ses enfants. Il met sa maison et sa personne à ma disposition. Vieux matelot, nez écrasé, boiteux suite de fracture de jambes, environ 60 ans, front très saillant, yeux ronds, air de férocité et de vengeance, vient demander sa protection. Cet homme a commis plus de 20 meurtres. Espèce désolée. Nous visitons l'arsenal. Bateaux poste. Il y en a 9. Force de 160 chevaux. Bon aménagement. Meubles et décoration des chambres confortables. Jeune chirurgien de l'un d'eux a suivi ma chirurgie, il nous conduit. Calles couvertes. Vaisseaux en construction. Forges. Corderies. Le châle de l'une des demoiselles de Kerveguen est enroulé dans un câble et déchiré. Galérien. Bonnet et veste rouge, pantalon jaune. Plaque de fer blanc numérotée au bonnet, veste et pantalon marqué. Pas de figure intéressante. 2 500 environ. Bassin de réparation. Nous voyons celui où a été incendié un navire. On en construit un nouveau. Salle des modèles. Boulet de granit d'Alger pesant 306 livres. Décoration dorée0 de la proue des anciennes galères. Modèles des bâtiments de différents genres et des principales machines à mâter. Termes de marine. Petit crocodile.

Grands mats. Câbles de fer. Boîtes à eau. Canons, caronades. Boussollerie. Pierre d'aimant. Aimantation. Pivot des boussoles en agate. Chacun coûte 3 francs. On les fait avec une plaque de verre qui peut glisser et se fixer avec une vis. Moyen économique. Nous dînons chez M. Kerveguen. Bonne famille très simple. 3 demoiselles et un de leur frère. Très joli album de l'un de leur frère qui est absent. Conversation sur l'Italie. Couché à 9 heures.


Page 34

29 avril. Samedi à 8 heures ½ nous allons avec le canot de la frégate l'Iphigénie, cdt M. de Parceval, visiter le navire le Montebello, le plus beau navire de notre marine. 140 canons. 3 ponts. Commandant M. Lasuse qui paraît un homme tout à fait bien élevé, nous en fait les honneurs avec une grâce infinie. Me demande des nouvelles de madame de Menou(1). Nous voyons plusieurs manœuvres, défiler les équipages au son du tambour. Musique militaire. Nous assistons aux manœuvres pour carguer les voiles. 1 000 d'équipage. Nous visitons les 3 batteries, les magasins ou soutes, et nous revenons au port, nous avons M. Delaroulière le frère, lieutenant de frégate à bord du Montebello. Je déjeune avec M. Reynaud et M. Nicolas, père de madame Reynaud. Il paraît brave homme, homme sensé. Après déjeuner, nous retournons dans le même canot à l'hôpital de St Mandrin ( ?). En passant nous voyons le Muiron, à droite de l'entrée du port, vaisseau qui a ramené Bonaparte d'Égypte et duquel on tire le canon pour l'ouverture et la fermeture du port. Nous voyons la séparation du port marchant à g. d'avec le port militaire à droite, la santé pour la quarantaine, nous voyons le beau bassin de la petite rade, à droite deux pics escarpés nommés les deux frères, le village nommé la Seyne, où l'on va pour 2 sols dans un bateau à vapeur, à gauche le fort Lamalgue, le polygone, le goulet : nous voyons charger les vaisseaux le Trident et le Jupiter, et beaucoup d'autres. St Mandrin, connu, de deux citernes, la supérieure est formée de deux galeries voûtées parallèles, courbes. Dans l'une écho remarquable. On peut compter le son répété jusqu'à 50 et quelques fois. Je puis compter 39 échos d'un coup de

(1) Il nous montre un joli vase orné de pierreries que lui a donné le prince royal.


Page 35

pistolet. En revenant nous visitons la frégate l'Iphigénie, commandant M. Parceval qui nous en fait les honneurs. Nos dames en peuvent obtenir la grâce de deux matelots aux fers depuis 20 jours. La faute pour laquelle on les punit était trop grave et peut les mener devant le conseil de guerre. Les vaisseaux en quarantaine dans la rade portent un pavillon jaune et ne peuvent communiquer. Citerne flottante pour porter de l'eau aux bâtiments. Petit navire à pavillon écarlate. C'est la poudrière pour l'approvisionnement des vaisseaux. Nous voyons en passant un jeune officier d'un vaisseau en quarantaine parent des dames de Kerveguen. On se parle a distance. Précautions ridicules de quarantaine.

30 avril dimanche. Partis à 7 [heures] du matin pour Fréjus. Passé par Cuers etc. Belle route. Pays riche en vin et en huile. Beaucoup d'oliviers et de vignes sont gelés. Pays riches, bien arrosés par des courants d'eau qui viennent des montagnes. De temps à autres, paysages pittoresques. Arrivés à Fréjus à 5 heures.

Fréjus

Nous visitons les antiquités de Fréjus. Nous voyons d'abord l'endroit ou se trouve le bélier hydraulique qui élève l'eau dans la ville. Nous voyons la Porte Dorée, porte romaine en ruine, le lit d'un ancien canal qui conduisait à la mer et qui est encore longé par des constructions romaines. Nous visitons une ancienne jetée avec un mur, située à droite de la rade. On voit dans le mur, de distance en distance des trous ou étaient fixés des anneaux de fer que le gardien a vus, et qui ont été enlevés en 1793. Au bout de ce mur existe un phare, construction moderne qui remplace


Page 36

l'ancien phare romain, qui a été détruit par la foudre. On a conservé la forme et les dimensions dans l'édifice moderne.

Nous voyons à gauche de la porte dorée, un ancien bain romain. C'est un bassin carré, dans lequel on descend par un escalier. On a enlevé le marbre qui le recouvrait. J'en prends un spécimen.

L'ancien bassin de la rade de Fréjus est donné à l'agriculture, ayant été abandonné par la mer. Nous apercevons à gauche 1° vers la mer, le village de St Raphaël, où Napoléon débarque à son retour d'Égypte et où il s'embarque pour aller à l'île d'Elbe 2° vers les terres, les ruines, encore imposantes de l'ancien aqueduc, dont plusieurs piliers sont encore debout. Spécimen d'un gros tronçon de colonne de granit couché dans la rade près du phare.


Page 37

Nous voyons encore beaucoup de débris d'antiquités à Fréjus, qui nous font présumer de la puissance et de l'étendue de cette ville sous la domination romaine. Nous revenons par la ville, voyons en passant, l'évêché, le séminaire, l'hôtel dieu. Nous voyons sur la p[e]louse danser des habitants de Fréjus au galoubet et au tambourin. Contredanses parisiennes insignifiantes. Logés à l'hôtel de la Porte. Le médiocre est ici le meilleur.

1er mai. Lundi. Partis à 5 heures du matin pour Nice. Nous traversons la forêt de l'Esterel. Montée d'une heure et demie. Du haut de la route vue admirable près la maison du cantonnier. À gauche la mer, et les caps des terres qui précèdent Fréjus. Tout à fait à gauche le village de St Raphaël, au milieu Fréjus et la longue route que nous avons faite. Avant d'arriver à ce point, au niveau de la porte de l'Esterel nous voyons la commune, le village et l'église, et un peu à gauche l'auberge des Adrets. La Provence en sortant de l'Esterel jusqu'à Cannes et de Cannes à Antibes est admirable pour sa richesse, la beauté de ses points de vue. Les vignes, les oliviers abondent. La terre est très fertile et parfaitement cultivée et bien arrosée par des cours d'eau naturels. On nous dit que des oliviers, fort gros, portaient une récolte estimée à 300 livres et y en a [sic] d'énormes. Nous arrivons au Pont du Gard. Bois de sapin flotté. Peu d'embarras au bureau du commissaire de France. Pas de peine à la douane piémontaise. Le chef refuse la pièce ! ! ! ! Nous arrivons à Nice à 5 heures. Logé à l'hôtel des étrangers. La demoiselle est mariée. Le frère ivrogne ? ? Nous visitons superficiellement Nice. Je ne puis voir MM. Vincent et Mora. Quelques difficultés pour le visa du passeport. M. V. va chez le gouverneur. Les difficultés sont levées.


Page 38

" Fréjus vu du haut de la route de la forêt de l'Esterel ". 7 lieues de la forêt de l'Esterel ont été incendiées. Le maître de poste de l'Esterel a perdu plus de 50 mille livres.

En allant de Cannes à Antibes la route est admirable. Avant d'arriver à Cannes nous visitons l'ermitage de St Cassian, situé sur un tertre couvert de pins d'Italie et des plus beaux et gros cyprès que nous ayons encore vus. A gauche de la route. L'ermite est absence[sic]. Nous adoptons un petit chien noir qui nous a suivis et le nommons à l'ermitage.


Page 39

Vignette : " Femme d'Antibes ".

Illustration : " Ermitage de St Cassian, à gauche de la route de Cannes à Antibes "


Page 40

2 mai mardi. Partis à 6 heures pour Gênes. On suit d'abord la route connue de Turin ; bientôt celle-ci continue de suivre la gauche du torrent, tandis que la route de Gênes s'engage dans la montagne. La montée est fort longue et raide. Il faut 2 heures ½ pour arriver à la partie la plus élevée de la chaîne que l'on franchit. On voit le panorama de Nice. Vue admirable. Au milieu la montagne qui sépare la ville du port. La ville est à gauche, le port à droite, en voyant Nice de la mer. En sens inverse vue de la route en question. La mer domine le tableau. À gauche les montagnes qui bordent le Var et le promontoire d'Antibes. À gauche des collines couvertes d'oliviers. Les maisons unissent la ville en arrière comme une ceinture, tandis qu'au sud, la communication n'a lieu que par un passage très étroit, entre les roches et la mer. En bas du tableau, on voit le torrent et la route de Turin. Belle perspective.

Monaco Après avoir passé les lignes de douane du prince de Monaco, nous voyons en plan la ville de Monaco. Entourée de fortifications. 300 hommes de garnison. Elle est bâtie sur une presqu'île et très pittoresque. C'est la capitale.

Rocca bruna C'est une ville bâtie sur des roches de poudding aux pieds desquels passent la route. La ville ressemble à une réunion d'aires ou nids d'aigle.

Mentone C'est la troisième et dernière ville du prince de Monaco. En passant nous voyons son palais, maison bourgeoise passable. Sa caserne, en face, où sont logés une douzaine de pauvres diables de soldats bien déguenillés et maigres qui gardent deux jolies petites pièces de canon. Il y a 8 ans que le prince n'a visité ses États. Il entretient assez mal sa route et cependant il fait payer aux voyageurs une demi-poste en sus et 16 sols par passeport.

Ventimiglia Ville bâtie assez mal : rue tortueuse, très rapide, descente affreuse sur un ferré glissant. Habitants paraissent pauvres et sont en général déguenillés. La plupart des maisons sont bâties sur les rues qui descendent jusqu'au torrent, comme des galeries souterraines. Sont obscures, froides, malsaines. Beaucoup se soutiennent par des arceaux


Page 41

" Ville et port de Nice. Route de Nice à Gênes "

" Ville de Monaco. Rivière de Nice "


Page 42  

" Monaco vu au dessus de Rocca Bruna "

" Mentone après l'avoir passé "


Page 43

" Route au-dessus de St Stephano "

St Stephano Ville assez insignifiante où nous changeons de relais. Nous voyons la première fabrique d'huile. Engrais.

Porto-Mauricio Jolie ville, d'un effet très pittoresque, bâtie en amphithéâtre sur le sommet d'une colline et s'élève avec majesté entre deux promontoires. La ville est surmontée par les trois jolis clochers de son église.

Oneglia Oneglia. Nous visitons. Passé la nuit à l'hôtel de Turin (bon).


Page 44

3 mai. Mercredi. D'Oneglia à Gênes. Partis à 5 heures du matin. Arrivés à 9 heures du soir. Nous passons successivement par Marine de Diano, d'où nous voyons le Cap del Melle, par Alassio. Nous voyons l'île Gallinara, nous arrivons à la Pietra, nous montons la montagne de Finale, nous traversons Finale, Savone, Voltri et nous arrivons à Gênes. Logés à l'Hôtel de la Ville (Albergo della villa), ancien palais converti en auberge. Cette partie de la route de la rivière de Gênes (on quitte celle de Nice par Oneglia) ne le cède en rien à mon avis à la portion que nous avons parcourue hier. La route est en général bonne, quelques endroits cependant en sont négligés et précisément dans des passages étroits. La route est très étroite à travers les vallées et se trouve resserrée entre les champs bien cultivés. Dans plusieurs endroits il n'y a de voie que pour une voiture. Il en est de même dans les villes et villages que nous traversons. La façade de ces villages qui regarde la mer est brillante par les décorations et les peintures des maisons et par les clochers élégants des églises qui les surmontent, mais les rues en sont étroites, sinueuses, sales. Souvent des arcades qui supportent mutuellement les maisons et passent à travers les rues. Plusieurs rues souterraines. La population est sale, mal peignée ; les femmes faciles en général et cependant le pays ne paraît pas pauvre. Il y a peu de mendiants. Beaux rochers coupés à pic. Dissection des montagnes, poudding, marbre méditerranéen. Beaux effets de lumières et de vapeurs. Passage de Finale. Nouvelle route. Tunnel. Dans un village longue procession des 3 croix ! ! !

4 mai jeudi. Séjour à Gênes. Visite de Salari. Pluie, vent. Nous visitons le palais Doria, la Villa di Negro, l'église St Laurent, la promenade ou l'Acqua Sola ; et le soir nous allons au théâtre Carlo Felice : mélodrame en musique de[blanc], Beliserio : pantomime sur un épisode de la retraite de Russie. Napoléon Génois ! Les costumes sont très brillants, les évolutions faites par les soldats de la garnison, transformés en hulans, en cosaques, bien exécutées. La musique militaire, bonne, celle de l'orchestre médiocre. Décoration au dessous des nôtres.

5 mai. Séjour à Gênes. Vendredi. Nous visitons l'église de l'Annunziata, des Jésuites, de St Syro, le palais ducal, le palais Doria, le palais Spinola, l'église et le pont de Carignan. Je ne reçois pas mes lettres de Paris. Je reçois la visite de M. Giraldo qui m'envoie une lettre pour son ambassadeur à Rome. Je vois Mme Maro. Je la trouve bien changée, maigre, triste ? ? ? Nous visitons le rempart et la porte de la lanterne. La villa di Negro : je vais faire visite à Mr de Negro. Bonne réception. Il ressemble à La Fayette mais beaucoup plus petit. Je visite ses deux filles malades, les marquises de Spinola et Balbi.


Page 45

" Alassio. Rocher d'Albergo "

" Alassio "


Page 46

" Commencement de la montée à la côte de Finale. Nouvelle route commence. Tunnel. "


Page 47

 La Cravazoppa. Finale. Descente à Finale.


Page 48

6 mai. Départ de Gênes, vendredi, pour la Spezia. Nous partons à 5 heures du matin. Salari et Campanello viennent nous dire adieu. Nous allons d'abord à Recco. 6 heures ½, belle route, pays bien cultivé. De là à Rapallo 3 heures. Dans cet endroit on voit un superbe panorama de Gênes, et la vue s'étend à l'horizon jusqu'à Oneglia. De Rapallo à Chiavari 3 heures ½. De Chiavari à Bracco on voit deux beaux tunnels percés dans le flanc de la montagne et réunis par une galerie de laquelle on a une admirable vue. De Bracco à Mattarana et de Matarana à Borghetto 6 heures. Dans ce trajet qui est au milieu des montagnes on a de beaux points de vue mais le pays est en général aride, désolé. Quelques collines couvertes de bois. On y cultive la vigne, les châtaigniers, peu d'huile. On a sur l'horizon les montagnes des Apennins couvertes de neige. Elles surmontent plusieurs pans de montagne d'un effet très remarquable, qui a beaucoup d'analogie avec certaines parties de l'Ecosse. A Mattarana nous voyons un pauvre curé dont les habits n'attestent pas l'aisance. Nous lui remettons quelques pièces pour les pauvres du village. Brave homme. De Borghetto à la Spezia la vue est moins pittoresque. On suit longtemps le bord d'un torrent qui circule entre des montagnes de médiocre élévation. Cette route depuis Gênes jusqu'à Chiavari peut être considérée comme une continuation de la corniche. On voyage en côtoyant la mer. Après Chiavari on s'enfonce dans une chaîne de montagnes, situées entre la mer et les Apennins. Les routes sont magnifiques, parfaitement entretenues. Les pentes en sont douces, l'apparence des roches fort variée. Beaucoup de mendiants sur les routes. De Borghetto à la Spezia le sang change. Les hommes, les femmes, et les enfants sont plus propres, leurs proportions sont plus régulières, leurs visages plus ovales, leurs traits plus délicats. Leurs yeux sont grands et ont une expression marquée de douceur. Arrivés à la Spezia à 9 heures. Logés à l'albergo de la Croce de Matta. Bon souper, bon hôtel, anchois frits, goût médiocre, clovis à la sauce.


Page 49

" Rapallo "

" L'un des tunnels de Rapallo à Chiavari "


Page 50

" Montagnes de Bracco vues du relais de poste "

7 mai dimanche


Page 51

" Montagnes et phare au dessus de Bracco "


Page 52

" Entrée du golfe de la Spezia "

" Femme de Sasanna "


Page 53

7 mai. Nous partons de la Spezia à 5 [heures] ½. En passant nous voyons son superbe golfe que nous revoyons encore après avoir tourné la montagne. Nous passons en pays de plaines et entrons sur les terres du duc de Modène. Mais avant nous avons traversé un torrent sur un bac. Nous trouvons là un vieux frippon qui se dit français et naufragé, et qui n'est ni l'un ni l'autre. Douanes du duc de Modène et bureau de police. Ils sont assez doux et honnêtes. Nous arrivons à Lavenza, 1ère ville. Peu considérable. C'est près d'elle que l'on embarque les marbres de Carrara.

Carrara

Atelier de sculpture. Il y en a plusieurs. Celui de M. Giuseppe Ronchi, assez rétréci, contient beaucoup de belles pièces, belles statues, vases, bustes, chambranles sculptés de cheminées pour l'Amérique et la Russie. Bustes de Napoléon, de Nicolas, de Sheskpare[sic], de Walter Scott etc. M. V. achète la copie du modèle de la Magdelaine de Canova pour 300 livres, sur place 400, rendue à Paris sans avarie. M. V. donne 60 livres d'arrhes. On fait les figures au point. Les 3 grâces de Canova 1000 livres, beau groupe de 2 pieds de haut. Beaucoup de statues antiques. Groupe de la Charité d'après Bartolini de Florence, 7 pieds. Danseuse de Canova 5 p ½. 2ème atelier. Sculpteur Pelliccia : beaucoup de statues. Je le trouve inférieur à celles de l'autre sculpteur. La ville est bien dallée. Sur les chemins beaucoup de baignoires en marbre blanc sur le chantier, le prix en est dessus à 160 livres. Sur la route des carrières on voit une ancienne voie romaine en marbre, qui conduisait aux anciennes carrières et maintenant est couverte par le torrent.


Page 54

Carrière dite de Torrano. On y monte le long d'un torrent appelé il carillone, dont les eaux limpides et potables, tombent sur du sable de marbre et forment de distance en distance de très jolies cascades. Les chutes d'eau font mouvoir des scieries de marbres. Les carrières sont des propriétés des particuliers. Il y a plus de 400 carrières et seulement environ 80 propriétaires. Elles emploient plus de 2 000 bœufs. Les chemins sont horribles et on conçoit même difficilement comment ils sont praticables pour les bœufs qui tirent les pesants chariots sur lesquels on charge les blocs. Ces blocs sont conduits à Lavenza près de laquelle ville on les embarque. Nous montons à travers les morceaux de marbre jusqu'à l'endroit où se fait l'exploitation. Les blocs sont détachés par la mine. Nous voyons l'endroit ou a été détaché le bloc que Canova avait choisi pour faire la statue de l'empereur. Il y a des marbres de différentes qualités : le marbre statuaire, de 1ère qualité en gros blocs se vend jusqu'à 20 livres le pied carré, en petits blocs il est moins cher. Il y a du marbre veiné gris bleuâtre près de l'endroit ou existe le marbre statuaire et leurs couches se touchent. Il se fait un grand commerce de marbre. Il y a une autre carrière (Fonti Scretti) à 3 heures de la ville, où l'on trouve encore beaucoup d'inscriptions latines. Dans les États de Modène les terres sont assez bien cultivées, les routes bien entretenues. Les habitants sont en général laids, mal faits, sales, tristes et ont quelque chose de farouche et d'inquiet dans le regard. Les soldats, douaniers etc sont d'une malpropreté dégouttante, et leur maigreur semble attester leur jeûne et leur privation. Les femmes et les enfants sont laids. Le maître de poste commence à nous vexer, après les douaniers et le bureau de police (il faut cependant rendre justice à ces derniers, ils ont été fort honnêtes.)


Page 55

" Montagnes de marbre exploitées au dessus du village de Torrano, près Carrara "

" Carrière de Torrano "


Page 56

Massa : Troisième ville des États de Modène, que nous traversons. Elle est située sur une hauteur. En entrant, beau pont de marbre blanc d'une seule arche. Porte de la ville surmontée d'une statue de saint et de chaque côté deux petits obélisques. Palais du gouverneur, grand monument carré, de mauvais court, d'une couleur rouge de brique. Les portes et les fenêtres sont encadrées de marbre blanc, et au-dessus de chacune de ces dernières des bustes en marbre blanc. Les femmes à Massa sont plus propres que dans les autres parties de ces mêmes États, et quelques-unes me paraissent fort jolies. Déjeuné à l'hôtel des 4 nations. On y est fort bien. Nous entrons dans les États du duc de Lucques (Lucca). Belles cultures, pays plat semblable à celui de la Lombardie. Peupliers, vignes en guirlande, terres fertiles et bien cultivées, rizières, nombreuses irrigations. Pietrasanta : église, il Duomo, belle chaire en marbre bl[anc] sculptée, les 4 évangélistes dessus. Son escalier remarquable par sa grâce, sa légèreté et son bon goût. Deux bénitiers en forme de grandes coupes antiques, surmontés de statuettes. La ville est propre, dallée, bien alignée. Habitants sains, propres. Beaucoup ont de beaux visages, air tendre, tranquille, heureux. Le costume de femme est agréable. Contraste avec les sujets du duc de Modène ! ! ! qui sont hâves, sombres, malpropres et souvent farouches. Une procession nous force de tourner la ville. Les femmes sont jolies, avenantes, et curieuses comme dans tous les pays. Arrivés à Lucques (Lucca) à 7 [heures] ½ (1). Avant d'arriver nous montons sur le sommet d'une haute colline, avec 6 chevaux ! ! et de là nous voyons un superbe panorama : les plaines

(1) Hôtel d'Europe. On y est très confortablement.


Page 57

de Lucques et d'une partie de la Toscane, couvertes d'arbres et de champs. Le soleil couchant éclaire la mer qui borne le paysage et fait refléter les eaux des canaux qui coupent ce beau pays et celles des rizières qui l'inondent. À droite des montagnes bleuâtres bornent l'horizon. Quelques navires sont disséminés sur la mer aussi éclairée et complètent un ravissant tableau.

Lucques (Lucca)

Jolie ville, propre, bien dallée. Habitants paraissent assez vifs, cependant doux et bons.

Lundi 7 mai. Église de St Romain ou des Dominicains a cette forme [croquis]. Elle est simple, sans colonnes détachées, et peu éclairée. Tableau de la Vierge de la miséricorde par Fra Bartolomeo. Deux tableaux de Lombardi bien dessinés mais faibles de coloris. Sur les dalles de l'église, on voit plusieurs tombeaux de guerriers, armés de pied en cap, à moitié effacés par les pieds des fidèles ou des curieux et qui remontent aux temps de la chevalerie. Dans un tableau de Fra Bartolomeo, on voit deux anges qui planent dans l'air, et sont d'une grâce et d'une légèreté parfaite.

Palais ducal : il est simple et presque sans apparence à l'extérieur. Je m'adresse au majordome de Mr Franchesco Boccella. Il me renvoie la lettre de M. de N. et me fait dire que le prince de Lucques est à Vienne. Permission pour visiter le palais. Un garde du palais, espèce de militaire, nous conduit. Bel escalier en marbre blanc ; extrême propreté du palais. Nous ne pouvons visiter que les appartements de la défunte nièce du duc. Belle collection de tableaux. La Vierge aux candélabres de Raphaël, vendue par le prince de Canino. La tête de la vierge et de l'un des anges est ce qu'on peut voir de plus parfait, de plus admirable, de plus parfait [sic]. Bonheur bien pur de M. V….. il a été vendu (1) 120 mille francs. Vierge au tombeau du Christ de Fransaco, belle. Admirable tête de Christ de Carlo Dolci. Une sainte Cécile de Guido admirablement peinte et pleine d'expression. Plusieurs tables en mosaïque, pierres dures de Florence. L'une a coûté 75 mille francs. Table ronde en porcelaine de Weiddgood[sic]. Un Christ de Michel-Ange. Le Massacre des Innocents de Poussin, tableau de grandeur naturelle, d'une pureté parfaite de dessin, d'un coloris faible

(1) par le Prince de Canino


Page 58

Beau tableau de la Vierge avec Ste Anne, l'enfant Jésus et St Jean de Francia aurifex (orfèvre) qui signait ses ouvrages d'orfèvrerie de Pictor. Talent remarquable. Mercure endort Argus par Poussin, grandeur naturelle, très beau tableau. 3 beaux tableaux des trois Caracci, Annibal, Louis et Agostino. Jésus Christ devant Pilate par Guerardo della Notte. C'est un des tableaux les plus remarquables de la collection, effet de nuit, la tête de P. Pilate et celle du Christ surtout sont admirables. Le Christ en sarrau de toile jaune, les mains liées, a une expression angélique de douleur et de relégation. Les effets de la dégradation de la lumière sont bien sentis, seulement le peintre a eu le tort de représenter la lumière. Digne de Girard Dow. Grand naturel. Portrait de Charles IV, roi d'Espagne, en chasseur, avec le grand cordon et bottes à revers. En pendant portrait de sa femme (Godoy). Air faux, cruel, orgueilleux etc extrait de mauvaises qualités et de vice. Peintures vraies ! ! ! ! Palais. Les appartements du palais sont grands, spacieux, bien éclairés, les tentures et les fresques en sont tout à la fois simples et de bon goût, les meubles élégants, fabriqués à Lucques. Belle tenture de soie de Lucques. Une grande pièce est tendue en velours de soie rouge à 40 livres l'aune. Les autres étoffes sont de Lucques. Les domestiques du prince sont propres, bien tenus, très honnêtes. Excellent diagnostic pour le maître. Beau vase de porcelaine de Sèvres, donné par Napoléon à la mère du duc, qu'il fit emprisonner ensuite. Immenses fresques peintes en 6 mois par un peintre de Milan. (Triomphe de Trajan etc). Il y a des salons distincts pour garde nationale, nobles, ambassadeurs. Cathédrale. Belle église, les piliers en sont carrés et la nef très bien entendue. Toute l'église est en marbre de Carrara. Inscription gravée en 935 sur une plaque de marbre. Sur 10 autels différents, on voit dix grands tableaux de différents maîtres. Quelques sont bons ; presque tous ont poussé au noir. En face d'un grand autel de reliques, on voit s'agenouiller beaucoup de jeunes filles, on voit une belle lampe en or, que l'on a suspendue depuis le choléra. Le peuple de Lucques paraît non seulement dévot, mais religieux. Il est fort recueilli. Étendard turc, d'un pacha, à 3 queues, trophée offert à l'église par le Pisan vainqueur, je ne sais quel comte ou marquis ? Dans la sacristie, quatre tableaux en mosaïque de bois de diverses couleurs, représentant des villes et des portiques jaunis et noircis par le temps. Tombeau en marbre blanc d'une duchesse de Mme la comtesse de Finale de 1405. Tombeau du secrétaire d'un Pape, marbre blanc. Tête bien sculptée ainsi que les os qui sont sous le tombeau. Beaux vitraux, mais assez mal conservés.


Page 59

Sur l'un des autels, statue de Jésus Christ, entre St Pierre et St Paul, de Jean de Bologne, marbre blanc, beau morceau. Je visite le marché de Pise. Le charlatan arracheur de dent ? ? comment il exploite le paysan ? ? ? ? le vieillard à la bourse de papier ? ? ? Nous partons de Lucques pour Pise. Route charmante, plaine bien cultivée, canal, irrigations, peupliers, vignes en pampre, belles récoltes. Pays riche et fertile mais uniforme. Peu de mendiants sur les routes. Bains de Pise, au milieu de la route, à 2 heures de Pise, on trouve à droite l'établissement des bains. On descend dans l'établissement qui est une sorte de jardin. Bains de Mars, bains de la Reine. Il y a des bains communs, dans lesquels on descend par un escalier de marbre : le bassin est entouré d'une balustrade de marbre, très propres, élégants, bien décorés. Baignoires particulières en marbre comme les bassins. Il y a des bains chauds et des bains froids. Les bains chauds sont suivant les sources à 32° ou à 24 ° Réaumur. Eaux insipides, analogues à celles d'Aix-en-Provence. Dans les baignoires, robinet d'eau froide et d'eau chaude. En face, grand bâtiment à gauche de la route, pour loger les baigneurs.

Pise (Hôtel des 3 demoiselles. Bon.)

On arrive à Pise par un pays plat, couvert d'une réelle végétation. On aperçoit entre les arbres les principaux monuments, le campanile, le Duomo et le baptistère. En entrant à Pise, nous passons par la 16ème ligne de douanes, mieux vaudrait passer vingt fois la ligne équatoriale ! ! Sorte de moyen d'entretenir ses sujets aux dépens des voyageurs. On aperçoit d'abord les anciens remparts de Pise, bien conservés, formés de hautes murailles flanquées de tours carrées et revêtus de créneaux faits sur un mur surajouté en brique. Les fossés sont comblés. La ville est propre, bien dallée, les maisons assez bien alignées, hautes de deux à trois étages. Peu de population, autrefois 150 000, aujourd'hui environ 20 000 sans compter les étrangers qui abondent en hiver. Une maison pour 6 personnes, meublée de 200 à 250 livres par mois. Le pain et le vin sont assez bon marché, le bœufs et les autres viandes plus chères : ne point se rapporter aux hôteliers ? ? ? Les quais, les ponts de Pise sont très beaux. Le soir à la promenade il n'y a presque que des hommes, femmes rares, ne se montrent pas.


Page 60

Tour Penchée : elle a été construite par trois architectes, commencée en 1074 et finie en 1320. Elle a 190 pieds de hauteur, contient au sommet 7 cloches, est construite en marbre blanc, noirci par le temps. Elle a 210 colonnes d'ordres et de grandeur différente. On y monte par 293 marches. Elle est inclinée de 15 pieds. Elle a le même calibre jusqu'à la moitié de sa hauteur et ensuite présente deux diminutions. Elle forme le clocher de la cathédrale. C'est sur elle que Galilée a expérimenté la gravité des corps. Tous les étages présentent le même degré d'inclinaison, excepté le dernier qui l'est moins, ce qui me fait penser que l'inclinaison a été faite à dessein (tour de force, mauvais goût), par les architectes, au lieu d'être l'effet d'un affaissement du sol. Placée derrière la cathédrale, dont elle est le clocher, tandis que le baptistère est placé au devant de la façade de cette dernière.

Cathédrale ou Duomo : Bâtie en marbre. Il y a une petite porte du 11ème siècle(1), bien sculptée. Les trois portes de bronze de la façade sont de Jean de Bologne. Elles représentent dans des tableaux distincts, différents sujets de l'Écriture sainte, en reliefs admirablement sculptés, un autre la passion de JC. Les encadrements de fleurs, de fruits, d'ornement sont d'un goût exquis. Chapelle de St Ramier, protecteur de Pise. En bas il y a 74 colonnes, 14 de granit et 60 en marbre. Au ciel du maître-autel, mosaïque colossale en verre coloré sur un fond d'or (JC entre 2 anges). Bénitiers élégants et de bon goût de Jean de Bologne. Belle fresque : la Communion des apôtres, vitraux petits, assez beaux.

(1) lors de la consécration de l'église (1053)


Page 61

Maître-autel en lapis-lazuli et en brocatelle d'Espagne, vert antique. Tableau : Sacrifice d'Abraham par Razzi, tableau ancien (il a passé quelque temps au musée Napoléon). Hôtel du St Sacrement, orné de statues en or et argent, à coûté 38 000 écus de 7 livres chaque. L'autel est aussi en argent d'orge (merveille) et a coûté au moins autant. Les plafonds sont sculptés, en rosaces, à encadrements carrés. Sculptures dorées, fond lapis-lazuli, richesse remarquable et bon goût. À l'un des autels on voit deux colonnes de vert antique, rapportées de Jérusalem. Dans les voûtes il y a beaucoup de mélanges de marbres blanc et noir, comme à l'église de St Laurent de Gênes, ce qui gâte l'harmonie du monument, et le rend plus bizarre que de bon goût. Les colonnes de l'église sont de marbre et d'ordre différent, beaucoup sont des conquêtes des Pisans. Cet assemblage nuit à l'harmonie de l'édifice. Lampe de Galilée. C'est d'après cette lampe de bronze suspendue par une longue corde, que Galilée a fait ses premières observations sur les oscillations du pendule ; elle est en bronze et formée d'anges dont les pieds appuient sur un cercle et qui soutiennent le cercle supérieur. Baptistère . Monument arrondi, surmonté d'un large dôme, couvert moitié en plomb, moitié en brique. Il renferme une belle chaire de marbre, sculptée par Nicolas de Pise. Elle repose sur des colonnes que supportent des lions. On célèbre un baptême. Au milieu une statue de saint Jean-Baptiste. Un seul cercle de grandes colonnes, surmontées par une galerie et par de plus petites colonnes. Sous ce dôme on a un écho fort prolongé, mais qui ne répète pas le son et le prolonge à la manière des cloches qui vibrent.


Page 62

Campo Santo. Grand cloître parallélogramme à colonnes, bâti pour conserver la terre rapportée de la Terre Sainte. Sur les parois, en dehors, fresques de 1300, en grande partie usées (1). Les galeries renferment beaucoup de tombes et de monuments grecs, romains, égyptiens, gothiques. Pasticcio [sic]. (Jean de Pise, architecte du Campo Santo) Construit en 1200. Tombeau d'un consul de la république de Pise. Il y a 640 tombeaux de familles nobles sous les dalles des galeries. Les murs sont couverts de grandes fresques des 13ème et 14ème siècles. Quelques-unes sont bien conservées, sur le côté exposé au midi, beaucoup sont en grande partie détruites. Il faudrait plus de 24 heures pour les étudier. Elles sont fort curieuses. Les peintres italiens ont exercé leur imagination dans toute leur extension. Je remarque surtout celle qui représente le Triomphe de la Mort, celle de l'Enfer et du Paradis. On devrait les faire copier avant qu'elles ne soient détruites. Beau modèle en plâtre d'une chaire qu'on doit sculpter pour la cathédrale. Petit médaillon en marbre, entouré d'ornement, représentant la tête de Michel-Ange sculptée par lui-même. Le plafond du Campo Santo est fait en charpente ce qui dépare le monument et lui donne l'air de tomber en ruine avant d'être achevé. Autrefois on enterrait tout le monde au Campo Santo. Maintenant il n'y a que les morts di qualita, de talento, qui peuvent y entrer sur un permis du grand duc. Aux quatre angles du Campo Santo, un cyprès, architecture gothique.

(1) Les peintures à fresque se font surtout sur des surfaces peintes en blanc et chagrinées, de manière que les couleurs appliquées s'incrustent en quelque sorte et ne se détachent pas par écailles par le temps, mais sont réellement usées et se râppent en blanchissant comme les étoffes. Elles ont la plupart, vu de près, une apparence veloutée ou de tapisserie qui tient à l'état de la surface qui les reçoit.

Il n'y a plus à Pise de vestiges della Torre della Fame, dans laquelle a péri le comte Ugolin.


Page 63

Les caccini. Belle promenade, longue allée d'une demi-lieue y conduit, 2 statues de marbre blanc à chaque extrémité. Établissements agricoles appartenant au grand duc qui y fait élever des chevaux. Il y a 58 mâles, 80 femelles vivants, ces dernières en liberté dans la forêt qui s'étend jusqu'à la mer. Les mâles seuls travaillent et vivent 25 ans. Les femelles vivent 30 ans. Les mâles portent jusqu'à 14 cents, bois, pierres etc. Le chameau ne mange ici que la moitié de la ration d'un cheval, ne boit qu'une fois en 24 heures. Ils sont en général d'une couleur café au lait, quelques brunâtres. Animal peu délicat, peu maladif. Belles écuries, abreuvoir avec un puits. Les chevaux ne travaillent qu'à 4 ans. Un beau chameau vaut 70 sequins à 12 livres le sequin. On ne vent que les infirmes pour les ménageries. Il en naît de 10 à 20 tous les ans. Pâturages qui leur sont destinés. Des hommes du prince font la chasse aux femelles. Les petits paissent dans la forêt. L'hôpital est en face du Campo Santo, de l'autre côté de la place.

9 mai. Mardi. Notre hôte nous fait l'éloge de Vacca Berlinghieri, qui habitait Pise. M. Regnoli le remplace. Je vais à 7 heures à l'hôpital. M. Regnoli arrive. Nous renouvelons connaissance. Bon accueil. Les salles sont grandes, spacieuses, la plupart des lits sans rideaux. La clinique chirurgicale contient 32 lits, 16 hommes et 16 femmes. Les élèves de service portent des habits de gros drap brun, collet rouge, bouton de métal. Il peut y en avoir 7 à 8. Ophtalmie catarrhale épidémique sur les militaires, traités par la méthode de Guthrie (nitrate d'argent). J'assiste à deux opérations : extraction d'un kyste cancéreux de la mamelle g. chez une vieille femme, l'extraction du cartilage tarse chez un homme d'environ 50 ans, pour un cas de trichiasis. Opération mal aidée, linge horriblement gros, peu d'ordre dans les aides. L'amphithéâtre est vaste, bien éclairé, entouré des planches de moulages coloriées. Le cabinet anatomico-path. est peu avancé et commencé depuis peu. Galériens : Les galériens, vêtus de rouge, portant sur le dos écrit en grosses lettres la nature de leur crime, balayent les rues, ceux condamnés à perpétuité vêtus en jaune. La peine de mort très rare en Toscane. Académie. Elle n'offre rien de remarquable. L'Arno à Pise a la largeur de la Seine à Paris, bord sablonneux, petit bac couvert. Chiesa della Spina. Petite église, située sur le quai gauche de l'Arno. Conserve une épine de la couronne de JC. C'est une sorte de chapelle en marbre blanc, avec trois petits clochers en obélisques, quelques clochetons, découpés en dentelle et une série d'assez jolies statuettes, en rang, au-dessus de la porte principale.


Page 64

St Stéphano. Piazza di cavallieri. Église des chevaliers de St-Étienne. Elle est simple, carrée, munie de colonnes seulement aux autels, éclairée par de petites fenêtres qui occupent sa partie supérieure. Entre ces fenêtres sont beaucoup de trophées d'étendards turcs conquis par les chevaliers de St- Étienne sur les Infidèles. On y voit quatre belles fresques en grisaille : une représente la Lapidation de saint Étienne, disciple de JC, 1er martyr, l'autre la Décollation de saint Étienne, pape, second martyr. Le plafond, relevé par des ornements dorés, sur fond d'azur, présente 6 jolis tableaux qui ont rapport aux combats et aux victoires des chevaliers de St-Étienne sur les Turcs. Il y a dans les armoiries beaucoup de croix semblables à celles de Malte. Le palais des chevaliers de St-Étienne, situé a côté de l'église, orné de bustes en marbre dans des niches, offre un bel escalier extérieur, en marbre blanc. Il appartient encore aux chevaliers de St-Étienne. Au devant de ce bâtiment est une statue colossale de Côme de Médicis, général des chevaliers et devant cette statue, un enfant en marbre verse de l'eau dans un petit bassin. Il ne reste plus de vestiges della Torre della Fame d'Ugolin. Je revois le campanile. Il pleut, nous ne pouvons y monter. Les gouttes d'eau du sommet tombent verticalement a environ 15 à 16 pieds de sa base du côté incliné. A Pise la vie est à bon marché. Regnoli me fait voir un superbe hôtel qu'on aurait pour 50 000 livres. Ville tranquille, excellente pour l'étude que j'habiterais volontiers. Les promenades des environs sont charmantes. La route de Pise à Florence est parfaitement entretenue, système de macadam, aussi belle que celles d'Angleterre. Les parquets sont en arcade de briques pour l'écoulement des eaux. Formes agréables. La terre est parfaitement cultivée. Les arbres servent de soutien à la vigne qui entrelace ses pampres dans leurs rameaux. Blé, riz, légumes. Meules soutenues au centre par une perche. On les taille. A moitié route, on suit la rive droite de l'Arno jusqu'à Florence. Paysages délicieux, air pur, pays tranquille, heureux. Les habitants paraissent dans l'aisance, sont propres, polis, leurs maisons bien peintes, d'une construction simple et élégante, quelques-unes peintes à fresques. Leurs granges en briques présentent une sorte de grille sur leur paroi qui est très favorable à leur ventilation. On voit beaucoup de fabriques de tuiles, de briques, de vases de terres ; près de Florence de belles carrières de calcaire, grès, compact. On fait glisser les blocs taillés sur des pentes douces jusqu'à l'Arno, où on les embarque. Toutes les femmes, les enfants font


Page 65

des tresses pour la fabrication des chapeaux de pailles, d'autres cousent ces tresses et font les chapeaux. Une grande activité dans ce peuple. Les femmes et les enfants surtout ont de jolis visages, ceux-ci surtout fournissent de bons modèles aux peintres d'anges et d'amours. La propriété paraît divisée. Les champs se cultivent à la binette. Pas d'oliviers. Le tempérament des habitants est en général lymphatico-sanguin (pays de plaines, humide). En arrivant à Florence, beaucoup de villas agréables. Les attelages de bœufs sont magnifiques. Tous les bœufs sont gros, gris, gras, bien nourris, gros ventre, longues cornes, ils portent un anneau de fer dans les narines. Cet anneau est retenu par une corde fixée aux cornes, moyen de les maîtriser.

Arrivés à Florence à 8h du soir. A l'entrée de la ville, passeport et visite de douanier que les préposés vous évitent en vous demandant effrontément à boire pour les employés. En France, ces gens seraient renvoyés comme des laquais fripons ! ! ! Logés à l'hôtel Schneider, sur le quai de l'Arno. Bel hôtel, ruineux bâtiment. Logés au 3ème.

Firenze (hôtel Schneider. Bon)

10 mai. Mercredi. Florence, la ville des fleurs, que d'après les récits des voyageurs et des écrivains, je regardais comme la fleur des villes, ne répond pas à mon attente. Circonscrite par une muraille crénelée, bien conservée, séparée en deux parties inégales par l'Arno dont on a retenu les eaux au moyen d'un barrage, elle offre des quais larges, dallés, moins beaux que ceux de Paris. Quatre ponts réunissent les deux moitiés de la ville. Ses rues, dont quelques-unes sont larges et bien alignées, sont dallées et toujours propres, les ruisseaux étant souterrains comme à Gênes et à Pise. Ses boutiques sont moins belles que celles de Paris. Ses maisons sont d'inégales hauteurs, quelques-unes a un ou deux étages, d'autres à 4 ou 5. Ses monuments publics sont en général lourds, dégradés par le temps et dans un assez mauvais état d'entretien. Le dallage des rues d'abord irrégulier, commence à prendre une forme plus régulière et plus agréable. Un des ponts est encore couvert de petites maisons et de boutiques, la plupart d'orfèvrerie et d'objets de fantaisie. 70 mille âmes à Florence. Le peuple des rues n'est pas beau. Les costumes sont à peu près ceux de Paris. Comme à Pise peu de femmes dans les rues.

Palais Pitti. L'un des plus vastes palais de Florence. Bâti pour le célèbre Pitti qui devint gonfalonier de Florence, et y employa non seulement une grande partie de sa fortune, mais y ajouta les dons volontaires des Florentins. C'est un édifice carré, à trois corps de bâtiment.


Page 66

Lourd et grossièrement décoré. Derrière est le jardin de Boboli. On prétend que ce palais, après les disgrâces du propriétaire, n'a jamais été payé à la famille des Pitti. Il est habité par le grand duc de Toscane qui est fort aimé dans tout son royaume, et qui reçoit dans son palais avec une noble hospitalité. Les gardiens et les soldats sont propres, bien tenus et honnêtes. L'entrée des galeries est publique, sans rétribution. Défense est même faite aux préposés de recevoir. Les appartements en sont grands, splendides, bien décorés ,et la galerie de tableaux que nous visitons se compose de plusieurs salles carrées, sur la même ligne, communiquant entre elles par de larges portes encadrées de marbre veiné. Le parquet est formé de stuc imitant le marbre ou de larges mosaïques de Florence, de tapis etc. Solide et de bon goût. Les plafonds chargés d'ornements, de dorures et de peintures à fresque. Les tableaux sont numérotés et un carton mobile, italien et français, en donne l'explication.

1er salon (de Vénus) J'y remarque surtout le n° 2. Le Mensonge, figure allégorique représentant un homme prêt à se couvrir d'un masque, par Salvator Rosa. N° 34 beau portrait de femme vêtue en noir, par Van Dyck. Les n°s 4 et 15 : deux belles marines et paysages de Salvator Rosa. Sur l'un, effet de soleil couchant. Les n°s 5 et 14 sont deux paysages de Rubens, représentant des pays de montagnes avec ville, port, mer. Médiocres comme paysages, cependant d'une belle composition. Le n° 18, La maîtresse de Titien, par le Titien.

2ème salon (d'Apollon). N° 37. Mme Paul de Véronèse, peinte par son mari, grosse femme d'environ 50 ans, laide et prétentieuse. N° 39 Une Vierge en robe bleue, avec l'enfant J. sur ses genoux par Murillo. La tête de la Vierge est pleine de grâce, d'ingéniosité et de noblesse. N° 42 Beau portrait de Marie-Madeleine par le Pérugin. N° 50 St Pierre ressuscite la fille d'une veuve par Guerchino. N° 60, portrait de Rembrandt par lui-même, superbe tableau, toque de velours noir, hausse col en fer, manteau brun, véritable tête d'artiste, spirituel et libre, d'environ 30 ans. N° 54 portrait de l'Arétin par le Titien. N° 66 portrait d'André del Sarto, par lui-même.

3ème salon (de Mars). N° 79 La Madona de la Seggiola (à la chaise) par Raphaël, admirable, cependant j'aime mieux celle de Lucques. N° 8[1] Le Pape Léon X par Raphaël. N° 96 La belle Judith de C. Allori, un peintre en fait une jolie petite copie. N° 94 La Sainte Famille de Raphaël. N° 92 Beau portrait d'homme du Titien. N° 8 Superbe portrait d'André Vésale par le Titien, autre que celui de notre académie.

4ème salon (de Jupiter). N° 111 La conjuration de Catilina par Salvator Rosa, d'un grand effet. N° 118. Portrait d'André del Sarto et de sa femme par lui-même. N° 133 Grande bataille de Salvator Rosa.

5ème salon (de Saturne). N° 151 Le pape Jules II par Raphaël. N° 164 Le Christ au tombeau par le Perugino, maître de Raphaël.


Page 67

N° 172. Dispute sur la Sainte Trinité par André del Sarto, très beau tableau.

6ème salon (de l'Iliade). N° 212. Portrait du grand duc Cosme 1er de Médicis par Bronzino Ange. Ces six salons sont garnis de bons et beaux fauteuils pour s'asseoir. Chacun renferme trois à quatre simples tables en porphyre, marbre et surtout mosaïque de Florence d'un très grand prix, représentant des fleurs, des vases étrusques, des fruits, des coquillages, des coraux, des perles etc… Dans d'autres salons on voit de belles fresques, une table en malachite, des meubles en forme de tambour et des fauteuils en cymbales, de beaux lustres, de riches meubles de la Renaissance en chêne, ivoire, incrustations, mosaïque en bois, en pierres dures. Dans un couloir de très beaux tableaux de paysages, de ruines en mosaïques dures. Dans une salle particulière, au centre d'une grille, sa Vénus drapée de Canova, bellissima ! ! ! On voit une salle de bain, en marbre blanc, ornée de statues, de bas-reliefs délicieux, tabouret en coquilles, excellent goût ! ! Nous reviendrons au Palais Pitti.

Académie des beaux-arts. Établie dans les bâtiments d'un ancien hôpital. Vaste établissement, école de dessin, de peinture, de sculpture et de mosaïque. La cour carrée renferme plusieurs statues de plâtre. La salle des modèles contient plus de 100 statues en plâtre d'après les meilleurs modèles. Il y a une salle des cartons des anciens peintres, une école de perspective, d'arabesques, de gravure etc. La galerie de tableaux mérite surtout de fixer l'attention. C'est une collection méthodiquement arrangée pour l'histoire de la peinture. En n° 1 est une Marie-Madeleine pénitente, ouvrage grec antérieur à la renaissance de la peinture. N° 2 une Vierge de Cimabue, plusieurs autres tableaux de Giotto, de Giottino peints à la tempera, espèce de gouache brillante, sur fond doré, d'un travail très délicat, semblable aux peintures qu'on retrouve dans les vieux manuscrits et livres d'Église. Sous le n° 22. St Jérôme dans le désert par Andrea del Castagno. Andrea del Castagno fut le premier peintre toscan qui peignit à l'huile après avoir appris cet art de Domenico Veneziano, il le tua par trahison, pensant par ce crime devenir l'unique possesseur de ce secret. Cette galerie contient 115 tableaux. Dans une petite salle superbe tête de Christ de Carlo Dolci. Il y a une autre collection intéressante de petits tableaux d'anciens maîtres. Le directeur de l'Académie est M. Pierre Benvenuti.

Santa Maria del Fiore. Cathédrale. Vaste édifice de 426 pieds de long sur 363 de large. Bâtie d'après le dessin d'Arnolph Lapo. La coupole présente la forme d'un octogone, dont le diamètre mesuré d'un angle à l'autre a 140 pieds de long. La voûte a été peinte par Frédéric Zuccheri. Le clocher bâti a côté de l'église est une tour carrée, de 280 pieds de haut, très élégante, ornée de statues et revêtue de marbres de différentes couleurs. L'église de [Santa] Maria del Fiore ne paraît


Page 68

point achevée en dedans. Elle est éclairée mal [sic] par de petites fenêtres placées en haut. Nous y reviendrons. En face de la cathédrale s'élève le baptistère que nous visiterons plus tard. En revenant nous visitons la boutique d'un marchand de bronze et de curiosités. Immense, quelques d'objets [?]. Sa fille parle français. M. V. achète une bague. Nous rencontrons un enterrement. Le corps est porté sur les épaules, tous les suivants sont habillés en pénitents noirs ? ? ? triste, lugubre. Je vais chez M. Lazzarini. Il est sorti ?

11 mai jeudi. Galerie de Médicis est placée près du Palais Vieux avec lequel elle communique. L'édifice fut construit par Vasari, par ordre de Cosme 1er. Le bas est occupé par les tribunaux, une bibliothèque, les archives. Au devant sous une longue colonnade sont de petites boutiques. L'étage supérieur, dit de l'attique est occupé par la galeries de tableaux. Il y a deux grandes galeries parallèles de 430 pieds chacune réunies par une galerie transversale de 100 pieds. On a adjoint à ces galeries des salons latéraux puis sur les maisons voisines on monte 126 marches d'un escalier assez doux. Dans un petit salon d'entrée nous voyons des bustes en marbre et en bronze de la famille des Médicis, Cosme, Laurent etc. Dans un salon suivant on distingue des statues antiques, grecques et romaines, un très beau cheval, un sanglier, deux énormes chiens et deux petites colonnes triomphales romaines quadrangulaires et surchargées d'armes sculptées. Curieuse sous ce rapport.

1er corridor immense. Le plafond peint d'arabesques, éclairé du côté droit. Sur le mur à gauche, en haut collection de portraits les plus distingués des personnages les plus distingués [sic] des temps anciens. Je remarque ceux d'Anne de Bolen et de Marie Stuart. Au dessous collection de tableaux de l'école de Florence de Cimabue, Giotto et beaucoup d'autres. De distance en distance des statues antiques sur leurs piédestaux, beaucoup de sarcophage grecs et romains. À droite du côté de la fenêtre, longue suite de bustes des empereurs et impératrices romains. Vers le milieu, un groupe antique, Hercule terrassant le centaure Nessus. Aux angles deux matrones romaines assises sur de longues chaises, parfaitement drapées.


Page 69

2ème corridor. Il a 100 pieds seulement. De chaque côté du plafond, continuation des portraits des personnages distingués de l'Antiquité. Ses murs sont tapissés de peintures. La série de statues de marbre continue (Cupidon, Bacchus, Pallas etc).

3ème corridor. Semblable au 1er pour les dimensions. Le plafond est peint à fresque, représentant la Renaissance des arts et des sciences et divers sujets historiques. Dans le voisinage du plafond continuation de la collection des portraits historiques. Au-dessus grand nombre de tableaux. Continuation des statues parmi lesquelles je distingue une copie de Laocoon par Bandinelli. Parmi les tableaux je remarque 1°) la tête d'une Madeleine par Allori, elle est parfaitement éclairée et d'un grand effet. Elle ressemble à Mme d'Orval. La copie me paraît mal dessinée. Le saint Jean-Baptiste exténué par le jeûne, statue de Donatello, est bien sculpté, mais fait peine à voir. Serait mieux placé dans un hôpital que dans un musée.

Cabinet des bronzes modernes. Riche. 1°) Mercure porté dans les airs par Jean de Boulogne. Demi-nature admirable ! ! ! 2°) Un grand buste (colossal) de Côme de Médicis par Cellini, d'une expression que je n'ai encore vue dans aucun buste de bronze. 3° un petit écorché de Cigolo 4° un petit modèle en cire du Persée, et sa statue correspondante, de 15 pouces de haut environ, par B. Cellini. Morceaux précieux conservés sous verre.

Cabinet des bronzes antiques. Ces bronzes sont renfermés dans 14 cases vitrées et classés méthodiquement par le célèbre Lanzi. Dieux, génies, divinités étrusques, portraits d'hommes et de femmes, animaux, symboles, instruments pour les sacrifices, candélabres, lampes, casques, éperons, bracelets, miroir d'un métal blanc, inscriptions gravées sur bronze, poids et balances, ustensiles de cuisine, serrures, clefs etc… J'ai remarqué surtout plusieurs petites statues, dont l'une captive M. V. Une aigle romaine appartenant à la 24ème légion, grosseur d'un petit pigeon. Le col est tendu, la tête dirigée en avant et les ailes horizontales. 2° un pied d'homme, bronze étrusque, admirablement modelé. Au milieu de ce cabinet, tête d'un cheval colossal ; la statue d'un orateur avec des caractères étrusques gravés sur sa roche, une chimère parfaitement conservée avec des caractères étrusques gravés sur l'une des jambes, trouvée près d'Arezzo. Un génie, figure nue, trouvée à Pesaro placé sur un piédestal moderne en bronze très bien ciselé. Grand trépied d'un temple. 4 bustes trouvés dans la mer, près de Livourne. L'un ressemble à Homère.


Page 70

Salle de Niobé. A l'extrémité est le groupe de Niobé avec son plus jeune enfant, admirable ; autour de la salle sont les autres enfants de Niobé dans diverses positions et attitudes exprimant la crainte d'un danger menaçant. Bien précieuse collection. J'ai surtout remarqué deux filles de Niobé et l'un des enfants qui est mort

Cabinet des vases étrusques. Elle est fort riche.

Cabinet des pierres précieuses. Une des plus belles collections que j'aie vue. Je remarque les statues des 12 apôtres, en pierres dures, colorés d'une manière bien remarquable, d'environ 8 pouces de haut, des bijoux d'or romains, vase énorme en onyx, beaux vases et colonnes de cristal de roche, une coupe en lapis-lazuli, enrichie d'émaux, de B. Cellini.

Salle de Baroccio. Beaucoup de bons tableaux. L'Adoration des bergers : ils sont placés autour de l'enfant J. dont le corps, léger, vaporeux, lumineux les éclaire. Tableau admirable de Gherardo delle Notte.

La tribune. Cabinet de choix. Statues. 1° la Vénus de Médicis trouvée dans la Villa Adriana, attribuée à Praxitèle, réparée en 13 endroits. 2° l'Apollon dit Apollino. 3° le Faune dansant. 4° l'Arrotino, trouvé à Rome, dit le Rémouleur, et que l'on croit l'esclave scythe au moment où on lui commande le meurtre de martyrs. 5° le groupe des lutteurs, trouvé avec la Niobé. Beaucoup de bons tableaux, 6 de Raphaël, entre autres Jules II et le portrait de la Fornarina, maîtresse de Raphaël. Deux Vénus mollement couchées sur des coussins par le Titien. Les autres de Guerchin, Paul Véronèse, Guide, Carrache, Van Dyck etc. Nous avons encore à visiter les cabinets des peintures française, flamande, hollandaise, celui de portrait de peintres etc. De la galerie de Médicis, par un pont couvert qui traverse la rue, on passe dans le vieux palais (Palazzo Vecchio).

Palazzo Vecchio. Situé sur la place du grand duc, c'est une sorte de forteresse élevée par l'aristocratie en 1298. Bâtiment carré, d'une architecture lourde, bâti en grosses pierres saillantes et couronné de créneaux. Au dessus de sa plate forme, il est surmonté d'une tour nommée Torre della Vacca. La grande cour est remarquable par les ornements qui surchargent ses colonnes et ses murailles. Au milieu est une fontaine, sorte de coupe en porphyre, surmontée d'une statue d'enfant en bronze. Au-devant du Palazzo Vecchio on voit le David colossal de Michel Ange et 1 Hercule colossal de Baccio Bandinelli.


Page 71

Au milieu de la place est la statue équestre en bronze de Cosme 1er, par Jean de Boulogne. À côté du Palazzo Vecchio est le Neptune colossal en marbre par l'Ammannati. Dans un bassin qui ressemble à une cuvette, entouré de divinités marines en bronze, je trouve ce morceau ridicule, l'eau n'y sort que par petits petits[sic], absurde ! ! !

La Loge des Lansquenets (la Loggia dei Lanzi) est placée sur la place du grand duc à côté du Palais Vecchio. La façade est formée de 3 grandes arcades, elle est ornée de la Judith en bronze de Donatello, du Persée en bronze de B. Cellini, du groupe de l'enlèvement des Sabines en marbre de J. de Bologne. Cette tribune servit autrefois aux orateurs de la république, aujourd'hui elle est destinée au tirage de la loterie. La grande salle du conseil (il Salone) du Palazzo Vecchio est immense. Beau plafond doré. Beaucoup de statues colossales autour, de Rossi, Michel-Ange, Bandinelli. Je remarque surtout un beau groupe, la vertu opprimant le vice par Vincent Danti. Dans une autre salle du même palais, collection d'ouvrages sculptés en ivoire, en ambre etc. Deux vases sculptés en ivoire par B. Cellini. Un Christ en ivoire avec deux statuettes de vierges ou saintes, groupe de J. de Bologne.

L'Annunziata. Belle église, bien décorée, incrustation de marbre, desservie par des moines noirs, dits servi di Maria. Dans le vestibule, belle collection de fresques d'Andrea del Sarto, que l'on pense enfin à conserver par des vitraux dont on a clos ce vestibule. Une de ces fresques qui représente le Mariage de la Vierge, n'ayant pas été payé au peintre ce qu'elle valait par les moines, il détruisit cette tête à coup de marteau ! ! ! ! Ce sont les plus belles fresques que nous ayons vues. L'église est somptueusement décorée, bien éclairée. La chapelle de la Vierge, qui détruit la régularité de l'église est surchargée de vases, de candélabres, de lampes d'or et d'argent (1) : le maître-autel est en argent donné par les Médicis. Armoiries en marbres et pierres dures incrustées. Belle coupole à fresque (2), beaux tableaux. Chapelle où est enterré Jean de Bologne. Elle renferme un grand Christ en bronze, et six bas-reliefs en bronze, d'un travail admirable de Jean de Boulogne. Ces bas-reliefs représentent la Passion de Jésus-Christ. Dans le cloître, on voit une fresque d'André del Sarto qui est la plus estimée. Elle représente la Vierge, l'enfant Jésus et saint Joseph. Elle est placée au dessus d'une porte. Ce chef-d'œuvre fut payé au peintre en un sac de blé. Il a représenté

(1) et de tableaux d'ex-voto, croutissimes ! [sic] (2) Fresque ruineuse de Valteranno, elle représente l'Ancien et le Nouveau Testament.


Page 72

St Joseph, appuyé sur le sol. Dans le cloître beaucoup de tombeaux ou pierres sépulcrales.

Santa Croce. Simple. Sa vaste enceinte est divisée en trois nefs par deux rangs de piliers octogones dont les chapiteaux sont surmontés d'arcs à cintre aigu : elle est riche en tombeaux parmi lesquels je note : 1° Le tombeau de Michel-Ange. Composé par trois sculpteurs habiles, Giovanni dell'Opera, Cioli et Lorenzi. La Peinture, la Sculpture et l'Architecture, entourent la tombe qui est surmontée du buste du célèbre statuaire. 2° Le tombeau de Dante. Élevé récemment par M. Étienne Ricci, professeur de sculpture à l'Académie de Florence. Le Dante est assis sur le haut de la tombe dans l'attitude de la méditation. D'un côté la Poésie pleure et de l'autre l'Italie montre ce vers de la Divine Comédie : " Onorate l'altissimo poeta ". 3° Le tombeau d'Alfieri par Canova. Il représente l'Italie couronnée de tours pleurant sur une urne funéraire.


Page 73

4° Le tombeau de Machiavel. Il est enterré dans cette église. Ce monument a seulement été élevé en 1787, par souscription à la tête de laquelle se trouve un Anglais Lord Nassau Dovering, comte Cooper. Le génie de Machiavel est assis sur sa tombe. De la main droite il tient le portrait du célèbre écrivain, de la gauche il balance le poids d'une épée par celui d'un rouleau de papier. Inscription : " tanto nomini nullum par elogium ".

5° Le tombeau de Galilée. Ancien. Galilée semble sortir de sa tombe. De la main droite il tient une lunette et de la gauche il appuie sur un globe. On voit encore dans cette église le tombeau de l'Aretin, celui de la comtesse d'Albanie, qui était fort attaché à Alfieri dont elle fit faire le tombeau.

Santa Maria Novella. Église très vieille. Sur la place deux petits obélisques en marbre veiné, soutenus chacun par quatre petites tortues. Michel-Ange appelait cette église la jeune épouse, ou plutôt la chapelle du fond qui renferme d'admirables vitraux. Le maître-autel qu'on a élevé devant cette chapelle est très élevé, riche, de bon goût, mais il cache ses vitraux et produit un mauvais effet comparativement à ce que devait être l'église auparavant. On voit deux beaux tombeaux en marbre blanc, l'un du chevalier Venturi, et l'autre celui de sa femme (française).


Page 74

Église du St Esprit (Santo Spirito). L'architecture en est simple et élégante, le dôme bien proportionné. On y voit 1° une bonne copie de la Charité, Jésus mort couché sur les genoux de la Vierge, de Raphaël, par Bandinelli. 2° une chapelle en marbre blanc, représentant Tobie avec son poisson conduit par l'ange, passant sous de grands arbres et des palmiers. Chapelle très pittoresque, marbre blanc. Le maître-autel, au-dessous du dôme, offre quatre superbes colonnes de vert antique. Il est tout incrusté de marbre et de pierres dures. Le tabernacle est entouré d'une dizaine de jolies colonnettes en lapis-lazuli. Belles lampes, avec des anges, ciselés en argent. (Nous recevons la visite du professeur Lazzarini via del cocumero)

Le 12 mai, vendredi. Seconde visite à la Galerie de Médicis. Salle des inscriptions. Elle renferme beaucoup d'inscriptions latines et grecques sur des pierres rangées méthodiquement et incrustées dans les murailles. La première salle contient plusieurs statues antiques, grecques ou romaines parmi lesquelles on doit distinguer surtout 1° une jolie statue de Venere Urania, à demi vêtue et portant un bracelet au bras droit. 2° Groupe très gracieux de Bacchus appuyé sur le jeune Ampelo. 3° une jolie statue de Mercure. 4° Vénus Genitrix. 5° L'Hermaphrodite, statue grecque semblable à celle qui est à Paris, également original. 6° Le torse colossal d'un faune restauré, remarquable par la beauté des détails anatomiques. 7° Un beau buste colossal d'Alexandre, exprimant la douleur, les yeux levés vers le ciel. 8. Un groupe représentant l'Amour et Psyché, à peu près dans la même attitude que celui de Michalon, mais les figures, hautes d'environ trois pieds, sont plus jeunes, plus enfantines et plus gracieuses. 8. Joli petit Ganymède qui présente un jeune oiseau à l'aigle qui est à ses pieds. Plein de grâce.


Page 75

8° Hercule enfant étouffant deux serpents : la vigueur et la constitution athlétique du jeune enfant sont remarquables sans nuire à la grâce. On voit dans la même salle le masque d'un satyre grimaçant, en marbre, que Michel-Ange sculpta à l'âge de 15 ans et qui le fit bien accueillir par Laurent de Médicis.

Cabinet d'antiquités égyptiennes. Il n'est point très riche, contient des manuscrits écrits sur papyrus, une belle momie avec son sarcophage et plusieurs cercueils de sycomores peints et emboîtés, rangés méthodiquement. M. Champollion a fait mettre dans cette salle une inscription en hiéroglyphes, composée par lui en l'honneur du grand duc de Toscane.

Cabinet de sculpture toscane. Beaucoup de bas-reliefs en marbre blanc, la plupart mutilés, mais dont les restes sont forts beaux. Peu riche.

Salle des portraits des peintres, peints par eux-mêmes. Elle renferme plus de 200 portraits, la plupart parfaitement exécutés. Peintres italiens, français, anglais, allemands, espagnols etc. Celui de madame Lebrun, celui de Rembrandt vieux, il ressemble encore au jeune Rembrandt de la galerie de Lucques. La plupart de ces portraits ont un air de famille, surtout dans l'expression des gens. Cette salle renferme le beau vase de Médicis, grec, de 6 pieds de haut, en marbre blanc, sur lequel est sculpté le sacrifice d'Iphigénie.

Petite salle dépendante de la tribune, petits tableaux. Je distingue la tête coupée de Méduse renversée et vue en raccourci. Les serpents qui hérissent cette tête et s'entortillent ensemble, le souffle inspiré qui s'exhale de sa bouche, les crapauds, lézards et autres reptiles qui sont autour, en font un tableau horriblement dégoûtant, mais plein de vérité par Léonard de Vinci. Un


Page 76

tableau de Mariotto Alberti, représentant la Vierge et sainte Anne sous un péristyle. La vivacité et l'harmonie des coloris sont admirables.

Scuola delle Pietre dure. Sous la protection du grand duc qui l'entretient sur sa liste civile. Directeur M. Siriès, auquel je donne une lettre du docteur Lazzarini et qui nous accueille très bien. Cette école emploie environ 20 ouvriers, maîtres et contremaîtres. Ils ont de 12 à 18 cents francs. Armoires où sont rangées les pierres dures, coupées par tranches minces et où l'on choisit les échantillons pour les travaux. C'est en quelque sorte la palette de l'artiste. Ces pierres ont été rangées et classées méthodiquement par le directeur, ainsi on voit successivement les diverses espèces de marbres, d'albâtres, de malachites, d'albâtre oriental, de lumachelle stellaire, d'agate, de calcédoines, de jaspes, de cailloux, de porphyres d'Égypte, de bois pétrifiés etc. Collection admirable. On nous fait voir un caillou d'Égypte où les veines représentent un œil parfaitement dessiné. On forme d'abord le dessin peint de ce que l'on veut représenter. Chaque partie est découpée sur un calque à carte et on cherche sur les échantillons la pierre dont la nuance de la couleur convient au sujet et on la découpe avec un fil de fer tendu par un archet et trempé dans l'émail +. Travail extrêmement long. Puis on ajoute successivement ces pièces une à deux, à trois, et ensuite successivement en les retenant par un marbre sur une ardoise, et on les remet ensuite pour former l'ensemble que l'on polit à l'émeri. Il y a des tables qui ont employé 15 à 20 ouvriers pendant 4 à 5 ans. Travail d'une admirable patience, mais bien beau, bien brillant. Les Anglais se sont emparés des meilleurs mines d'émail en Grèce et en font le commerce exclusif par Londres ! ! ! un ouvrier met quelquefois 5 à 6 mois à faire une pierre de 3 à 4 pouces de diamètre, ce qui rend ces ouvrages extrêmement chers. Ils ne se vendent pas. Le grand duc en fait des présents avec beaucoup de générosité.

+ le reste de l'ajustement se fait en arrangeant les surfaces contiguës avec des lames de cuivre enduite d'émail, qui agissent comme des limes.


Page 77

Nous distinguons 1° une table ronde, d'environ 2 pieds de diamètre, en fond vert d'Égypte, représentant une couronne de raisin et de jasmin. Elle vaut plus de 50 mille francs. Elle a employé pour sa confection 6 personnes pendant 5 ans. 2° Des bas-reliefs de fruit et de fleur pour la chapelle St Laurent. 3° Un encensoir couché sur un livre d'église en velours rouge, bordé d'argent et entouré de guirlandes de feuilles. 4° Un vase d'or dans une cuvette entouré de guirlande de feuilles de laurier et d'olivier, rattachées par une écharpe rouge. 5° Un calice couché sur une patère avec des guirlandes de raisin et de blé. 6° Un St Ciboire, sur une croix d'argent, avec des ornements semblables et comme les précédents, sur un fond de lapis-lazuli. Chacune de ces pièces sont au-dessus de tout éloge. Elles valent chacune plus de 20 mille francs, doivent être bordées avec les guirlandes de fleurs et de fruits en reliefs et sont destinés à la chapelle St Laurent. 8° Grande et belle table. Une flûte couchée sur une lyre, dont une corde est cassée. Nous voyons aussi plusieurs pièces, paysages etc et entre autres un portrait de l'un des hommes de médecine qui tiennent à la naissance de cet art chez les Florentins. Quand on veut scier les pierres dures, on les enferme dans du plâtre, en forme de poudding et avec un fil d'archet et de l'émeri on scie la masse et par conséquent plusieurs pierres à la fois. Nous voyons dans le même établissement un magnifique sarcophage en porphyre rouge d'Égypte, aussi poli qu'un miroir et fait à l'émeri. Travail d'une immense difficulté. Il a employé 20 ouvriers pendant 4 ans à 12 heures ½ par jour ! ! ! ! Le piédestal en granit de Corse, ornements et armes en pierres dures, couronne ducale incrustée de pierres précieuses, reposera sur un coussin de velours rouge (en jaspes), placé sur le tombeau. Commandé pour la princesse de Saxe, 1ère femme du grand duc. Ce monument sera placé à St Laurent.

Baptistère. Situé à côté de la cathédrale et du campanile. Temple de forme octogone, lourde. 16 statues de marbre autour. Toute la route est peinte en mosaïque, précieuse par conséquent mais d'un effet peu agréable. Beau maître hôtel. 3 portes de bronze, sculptées et ciselées


Page 78

par petits tableaux représentant des sujets religieux, et entourées de guirlandes de fleurs ou de fruits. Deux de ces portes sont d'Andrea del Grosso. Médiocre. L'autre est de Lorenzo Ghiberti et d'un travail parfait ! ! ! Nous voyons en même temps l'extérieur de la cathédrale et du campanile tout incrustés de marbre de diverse couleur.

Atelier de M. Bartolini. C'est un des plus habiles sculpteurs de Florence. (Porta St Fedriano). Nous voyons 1° la statue colossale qu'il avait exécutée pour Napoléon et ne lui a pas été payée. 2° La Vénus du Titien. Je la trouve plus belle et plus gracieuse que sur le tableau. 3° Une bacchante, couchée par terre. Le corps est admirable, la tête manque d'expression et serait plutôt celle d'une vierge. 4° La confiance en Dieu. Jeune fille nue, à genou, les mains croisées, rien de plus pur ni de plus gracieux. 5° les statues du monument de M. Dumidoff ( ?). Le monument coûtera plus de 300 000 livres. Belle statue de la vérité. Elle se dévoile en retirant son voile de la main droite et tient un miroir de la gauche.

Caccines. C'est la promenade publique principale, hors de la ville, sur la rive droite de l'Arno. C'est une des promenades les plus belles, les plus fraîches, les plus pittoresques que nous ayons vues. A droite l'Arno, à gauche les Apennins : partout de l'ombre, de la fraîcheur. C'est le rendez-vous de la bonne société de Florence. Dîner avec Lozzarini.

13 mai, samedi. Partis à 6 h ½ du matin pour Rome par Sienne, par voiturier qui loue 4 chevaux, un postillon et se charge de nous héberger pendant les 5 jours que doit durer ce voyage. Le chemin de Florence à Sienne est fort montueux, le pays bien cultivé, la route fort bien entretenue, et le paysage pittoresque, sans cependant offrir de ces grandes beautés que nous avons rencontrées dans d'autres parties.

" Bouteille de Toscane pour mettre le lait, le vin etc. Très mince, soufflée en ballon, entourée d'une natte de jonc. Ils bouchent la bouteille pleine de vin avec de l'huile. "


Page 79

" Colonne avec la louve, Rémus et Romulus. Il y a beaucoup de ces emblèmes à Sienne. En bronze, groupe antique. " " Partie de Sienne vue de la promenade publique "

Sienne

Arrivés à Sienne à 6 heures, après nous être arrêtés deux heures en route pour déjeuner. La ville est bâtie sur un monticule, entourée d'une forte muraille et de fossés en brique. Sous la porte d'entrée qui est double et crénelée, grande peinture à fresque. Sujet de dévotion. Les rues sont assez larges, bien dallées, propres, obscures, les maisons hautes, la ville triste. Beaucoup d'hommes, d'abbés, de prêtres dans les rues, peu de femmes. La promenade publique est un carré avec des allées, des bancs, des statues de pierres peintes en blanc : de la promenade on passe dans l'ancienne citadelle que le grand duc a fait convertir en promenade publique, et de laquelle on découvre une vaste étendue de pays, bornée par des montagnes à l'horizon. On joue beaucoup au ballon dans un grand emplacement près de la promenade.

" Gantelet en bois autour de l'avant-bras, hérissé de grosses tubercules coniques, pour frapper le ballon "

Les habitants de Sienne paraissent essentiellement ennuyés ?

" L'une des portes de Sienne "


Page 80

Sienne est aussi grande que Florence, mais ne contient que 19 mille habitants, un gouverneur et un évêque. Douane nous examine encore. Que le diable l'emporte. Logés à l'Aigle noire : très obscur, un peu galetas, assez propre cependant.

14 mai. Dimanche. Avant de partir nous visitons la Cathédrale. La plus belle église que nous ayons visitée jusqu'à présent. La façade produit un effet surprenant. Elle est bâtie sur une place carrée. En face est l'hôpital, à droite le palais du gouverneur et à gauche le palais de l'évêque. On y monte par un escalier de marbre de chaque côté duquel se trouve une colonne surmontée d'une louve, allaitant Rémus et Romulus, armes de la ville. L'escalier est de marbre blanc. La façade est admirable, ornée de colonnes sculptées, torses ornées de sculptures, de dentelles de bon goût, de statues, de statuettes ; frontispice azur relevé d'étoiles d'or. Marbre blanc, et noir et rouge. Le campanile à droite, le dôme au milieu. L'église a en longueur ce qu'elle devait avoir en largeur, parce qu'on n'a pu la finir vues les dimensions de son plan. Peut-être la peste qui à réduit le nombre des


Page 81

habitants de Sienne de 100 mille à 20 mille a-t-elle été la cause de ce changement dans la construction de l'édifice. Les bénitiers, en marbre blanc, en forme de coupe, au fond desquels sont sculptés des poissons et des coquilles, sont soutenus par des pieds également en marbre blanc, mais qui sont antiques et représentent des amours et des ornements d'un travail achevé ! ! ! L'intérieur de l'église, en harmonie avec l'extérieur, par les plans alternatifs de marbres blanc et noir et par le style de son architecture qui est gothique, à l'exception de la plupart des chapelles, est d'une richesse à nulle autre pareille. Chaque colonne est ornée d'une belle statue en marbre blanc. Au dessus de la frise, sont rangés tout autour de l'église les portraits de 171 papes, en bustes, tous couverts de la mitre, mais de figures différentes ce qui peut les faire regarder comme de vrais portraits, avec leur nom au-dessous écrit en lettres d'or. Le pavé de l'église est formé de mosaïques de diverses couleurs, représentant des dessins de bon goût, et orné d'une grande quantité de belles gravures en marbre blanc, espèces de mosaïque, se détachant sur un fond noir ou rouge, représentant divers sujets de l'Ancien ou du Nouveau Testament, le Massacre des Innocents, etc. Les figures en marbre blanc, gravées de traits larges et hardis, sont en général bien dessinées. On conserve sous des planches, plusieurs de ces espèces de mosaïques, qui sont dus à Vasari, et sont bien remarquables, sous plus d'un rapport. Ce sont des mosaïques à clair obscur.

" Siennoise à l'église ; Les grâces de la Libraria ; Tombeau de Mascagni "


Page 82

Sur l'un des autels, on voit à droite le piédestal d'une colonne antique admirablement sculpté en marbre blanc. Il représente Neptune et Amphitrite et plusieurs autres sujets de mythologie. Le piédestal de la colonne opposée est moderne et fait d'après l'antique. La chaire de la cathédrale, due à Nicolas de Pise est admirable. Exécutée en marbre blanc avec des bas-reliefs d'un travail précieux, elle est soutenue par des colonnes de marbre coloré, dont 4 reposent, deux sur des lions et 2 sur des lionnes. Les premiers dévorent des chevreuils, les lionnes allaitent leurs lionceaux. Sculptures remarquables ? ! ! ! Dans le fond du cœur sont des sculptures en bois nombreuses et non moins remarquables par leur fini, leur perfection, que les autres parties de cette église. Les fauteuils ont pour anses des anges ou plutôt des amours, dans des positions différentes, ornées de sculptures diverses pour chacune d'elles. On voit aussi de très belles mosaïques en bois. Sur l'un des autels on voit un joli Christ, d'environ 2 pieds de hauteur, en marbre blanc, sculpté par Michel-Ange. La libraria ou bibliothèque de la cathédrale, dans laquelle on entre par une petite porte, est une belle et grande salle admirablement bien décorée. Elle renferme dix fresques d'une conservation parfaite : la 1ère a été peinte par Raphaël, les 9 autres exécutées d'après ses cartons. Elles ont rapport à l'histoire du pape Pie II. Le travail en est d'un fini admirable et la composition, la pureté du dessin, non moins digne de remarque. Peut-être ces fresques sont-elles supérieures à celles que nous avons vues d'Andrea del Sarto. Il est vrai de dire qu'elles sont mieux conservées, que les couleurs en sont beaucoup plus vives et que l'or y est prodigué avec un goût et une délicatesse au-dessus de toute expression. On voit dans la même bibliothèque 29 volumes in-folio reliés en veau avec serrure et garniture en bronze, manuscrits de chant d'église en vélin, ornés des plus belles et fines peintures, où le carmin, le vermillon, l'azur, l'or et l'argent sont prodigués. Manuscrits d'un grand prix, du 14ème siècle.


Page 83

On trouve au milieu de cette salle, un groupe des Trois Grâces, antique, mutilé, trouvé dans les fouilles de l'église qui a été construite sur un temple consacré, à ce que l'on croit à Bacchus. Ce joli groupe, d'après lequel on été imitées les Grâces de Canova, de Pradier etc, est d'un travail achevé. Pureté de forme, grâce des contours, candeur dans la position de figures entièrement nues. La grâce du milieu n'a pas de tête. Les bras (gauche et droit) manquent aux deux figures extérieures qui ont une tête très gracieuse. Les 2 grâces latérales sont dans la même direction et opposées à celle du milieu. Ce groupe est soutenu par une sorte de candélabre élégant, en marbre blanc, moderne. Les figures ont environ 3 pieds. J'aime autant ces figures que la Vénus de Médicis ! ! Dans la même bibliothèque sont, vis à vis, deux tombeaux. L'un d'un principal habitant de Sienne qui s'est distingué par sa philanthropie ; l'autre est celui du célèbre Mascagni : très simple, en marbre blanc. Le génie de la science, assis sur le tombeau tient un ruban sur lequel est inscrit " vasorum lymphaticorum corporis humani historia et iconographia ", lettres en or. Mascagni habitait les environs de Sienne. Il faudrait plusieurs jours pour examiner cette magnifique cathédrale.

Piazza del Campo. Cette place située près de notre hôtel est grande, entourée de maisons et ressemble assez bien à une coquille de St Jacques, dont les rayons se réunissent au devant de l'hôtel de ville : le pavé est de briques placées de champ, comme dans la plupart des rues ou du moins dans celles qui ne sont pas dallés. Les rayons blancs qui se dessinent dessus et vont en divergeant, sont de pierres. L'hôtel de ville est bâti en manière de château fort, en brique, crénelé. A sa droite est une haute tour gothique, également crénelée, à la base de laquelle est une chapelle élevée après la peste qui a désolé Sienne, et réduit à 20 mille le nombre de ses habitants, nombre qu'elle n'a jamais pu récupérer ; elle en a 18 à 19 mille. En face du palais de l'hôtel de ville, est une ancienne fontaine en marbre blanc, mutilée


Page 84

par le temps et par la main des hommes. Son bassin est carré, ses statues et ses bas-reliefs en marbre blanc sont fort détériorés. On arrive à la place par 7 à 8 rues. Elle sert aux courses de chevaux au mois d'août. Elle est entourée de bornes. Maintenant elle est encombrée d'échoppes de bouchers et autres marchands. Nous quittons Sienne à regret. Parti à 6 h du matin pour la Scala. Le pays est montagneux, assez triste. Deux ou trois points pittoresques au plus pendant cette route. Le temps est froid et venteux. Nous arrivons à la Scala à 6 heures du soir. Auberge isolée comme celle des Adrets et de non meilleure apparence. Rencontre d'un bon curé qui vient de dix lieues les dimanches et fêtes (40 livres par mois) pour dire la messe dans une petite chapelle située vis à vis l'auberge. Bonnes gens. L'hôtesse ou plutôt la fermière, qui tient l'auberge pour un maître, jeune et assez jolie femme, vive, expressive, mère de 8 beaux enfants, son malheur ? ! ! ! Pays assez pauvre, la Toscane pouilleuse. Montagne de limon argileux. Bon souper, bon coucher. Locanda della Scala.

15 mai. Lundi. Nous partons à 5 heures ½ de la Scala pour Bolsena. Nous prenons congé du chapelain qui nous pronostique un beau temps. La route est très montagneuse, le pays triste, pauvre, continuellement attristé par des montagnes d'une terre argileuse grise, qui s'affaisse, se fendille et ressemble à d'énormes tas de boue grasse. Végétation peu active. Nous arrivons à Radicofani, ancienne forteresse construite sur le point le plus culminant des Apennins, reste de construction en basalte et pouzzolane taillée, enveloppée dans les vapeurs. Nombreux échantillons de laves de ce pays qui paraît essentiellement volcanique et a été souvent bouleversé par des tremblements de terre.


Page 85

" Montagnes argileuses et ravins des Apennins, passage de la Scala à Radicofani " " Apennins au-dessous de Radicofani " " Lac de Bolsena "


Page 86

Les environs de la forteresse sont couverts d'énorme portions de blocs de pierres volcaniques de différentes espèces. Spécimen. Le village de Radicofani est situé au pied du monticule où siège le château. Il est assez bien construit. Il contient la dernière douane toscane. La descente de ce village est longue et rapide, la route bonne. Au bas de la route on aperçoit dans le brouillard le château de Radicofani qui est d'un effet très pittoresque. On traverse ensuite un large et triste torrent sur un pont de bois et on entre sur les terres de S.S. Nous descendons à l'hôtel de la Poste (1), près la douane pontificale. Pour 5 livres les douaniers sont fort doux ? ? Mauvais hôtel, mauvais déjeuner. Nous goûtons le vin de Montepulciano, vin léger avec un léger goût de muscat, rouge. Dans cette auberge, en certain lieu, je trouve peinte en style lapidaire, une inscription italienne qui me paraît sale et de mauvais goût. Orage, vent, pluie, grêle, tonnerre, temps froid. Cet exécrable temps nous accompagne toute la journée. Acquapendente. Ville construite sur un rocher escarpé. On y monte par un chemin très pittoresque, qui longe une longue muraille de roches escarpées : une belle cascade sort au dessous des roches sur lesquelles la ville est bâtie. Celle-ci est entourée d'anciennes fortifications. Assez bien bâtie, mais les rues sont en échelle. Les habitants paraissent pauvres et stupides. Le gouverneur de la ville fait payer un paole par passeport. Soldats du pape assez mal tenus, et sales. Troupe de musiciens ambulants, troupe de fainéants qui exécutent une sérénade. Abondance de mendiants ? En sortant d'Acquapendente, le passage est pittoresque, la route est bordée de grosses

(1) à Ponte Gentino, village (Locanda della Posta)


Page 87

roches de pouzzolane, sous lesquelles sont creusées des cavernes. Moutons parqués avec des petits maintenus par des piquets. Nous arrivons à St Lorenzo, jolie ville bâtie sur une hauteur. En sortant on aperçoit tout à coup le beau lac de Bolsena devant soi et à gauche on aperçoit l'ancienne ville de St Lorenzo (Lorenzo Vecchio) dont il ne reste plus que des vestiges et des souterrains nombreux ouverts sur la route. Cette ville a été démolie à cause de son insalubrité, et reconstruite sur le sommet de la hauteur. Nous descendons jusqu'aux bords du lac de Bolsena, sur lequel on voit deux îles habitées. Nous tournons à gauche pendant quelques miles et nous arrivons à Bolsena, ancienne capitale des Volsques (1), dont il ne reste plus de vestiges. Le lac est admirable, poissonneux, et a 3 miles de diamètre. Logé à la Locanda del aquila d'oro. On y est fort bien.

16 mai. Mardi. La ville de Bolsena est bien bâtie, exposée au midi. Les environs sont riches et bien cultivés (blé, vigne, olivier). Les poissons sont à 8 ou 10 sols la livre (brochet, tanche etc). Il est agité par le vent. Il a plu et tonné toute la nuit. Le temps est affreux. Nous partons à 6 heures ½. La route suit la partie gauche du lac et présente les paysages les plus pittoresques dont nous ne voyons qu'une partie grâce au mauvais temps. On trouve à gauche de la route une montagne dont le flanc présente des prismes basaltiques inclinés vers le lac. Ces prismes sont plus petits que ceux de la chaussée des géants, et dans quelques endroits, ils présentent par leur réunion l'aspect d'une construction. A l'autre extrémité du lac, nous arrivons à Montefiascone, ville entourée de rempart, située sur une colline avec un dôme fort élevé et d'un aspect pittoresque. La route ne traverse pas la ville mais passe près de l'une des portes pour redescendre ensuite. Entre Montefiascone et Viterbe, à 10 ½, le thermomètre marque 6° ½ au dessus de zéro ! Au-delà de Montefiascone nous rencont[rons] une calèche escortée par deux chasseurs à cheval ou dragons du pape : probablement gens peureux ou peu confiants dans le caractère des habitants ?

(1) Porsenna. Patrie de Sejan, ministre de Tibère.


Page 88

" Montefiascone "

" Fontaine à Viterbe "

" Cavernes creusées dans la pouzzole, sur les bords de la route de Bolsena à Viterbe, près cette dernière ville "

" Maquignon de Viterbe "


Page 89

" Viterbe "

On peut se faire escorter par deux cavaliers pour dix paöles par poste (à peu près 5 livres). La route de Montefascione ( !) à Viterbe est triste, le pays peu accidenté, presqu'inculte, couvert de pouzzolane, de cendre et autres produits volcaniques. Les bœufs ont des cornes énormes et les bouviers, montés sur de petits chevaux très vifs, enveloppés de leur manteau, les poussent devant eux avec de longues lances. Le temps est affreux, les nuages très

" Lac de Vico. Ronciglione. "


Page 90

bas descendent presque dans la plaine et sont accompagnés de grêle et de torrents de pluie. Tout le long de la route et surtout en approchant de Viterbe, les masses de pouzzolane qui bordent la route, excavées de cavernes, creusées dans leur épaisseur et dans lesquelles les pâtres, les bouviers ou les passants viennent se mettre à l'abri du mauvais temps. Dans l'une d'elles, un homme y allume du feu pour se réchauffer. Nous déjeunons à Viterbe. Ville assez insignifiante. Auberge sale, mauvais déjeuner, salade en racine de fenouil. Il y a de jolies fontaines et de belles maisons. Les rues dallées. C'est aujourd'hui la foire aux chevaux. De nos fenêtres nous voyons les maquignons s'emparer des chevaux amenés à la foire pour leur passer le licol. Les chevaux sont presque sauvages et s'enfuient dès qu'on les approche. Le maquignon armé d'un lacet qu'il a roulé en cercle, s'approche à 25 ou 30 pas du cheval dont il veut se saisir et lui lance avec beaucoup d'adresse le lacet autour du col. Dès que le cheval se sent pris il veut s'enfuir, mais le nœud coulant du lacet lui serre le col à l'étrangler. 4 à 5 vigoureux gaillards tirent sur le lacet et la pauvre bête est bien obligée de se laisser mettre le licol. Ces gens sont fort adroits et apparaissent non moins vigoureux et brutaux. Arrivés à Ronciglione à 6 heures ½ par le temps le plus affreux. Logés à l'hôtel du Lion d'or. Ce soir on nous annonce qu'on [a] arrêté sur la route deux voleurs (de bestiaux).

17 mai. Mercredi. Pendant la nuit le temps est toujours horrible et nonobstant les chants joyeux des convives d'une noce qui se fait à l'hôtel nous dormons bien. Partis à 5 heures du matin pour Rome. Il a cessé de pleuvoir. En sortant de Ronciglione, à gauche, on voit des carrières basaltiques sur lesquelles sont bâties des maisons. Aspect pittoresque. Les campagnes couvertes de blocs de lave et peu accidentées, sont stériles et bien mouillées. Les routes en pouzzolane sont assez bonnes quoique molles. Les terres exhalent, à la chaleur du soleil, qui paraît enfin, des vapeurs sulfureuses, d'une odeur de vase. Mal cultivées ou incultes. Avant d'arriver à Monterosi, on trouve à g[auche] de la route un ancien rayon de lave, exploité pour ferrer et paver la route.


Page 91

[Vue de Boccano]

Depuis Monterosi, on prend un petit chemin en pavés de lave fort dure et la route est bonne. Nous voyons plusieurs pâturages couverts de chevaux et de bœufs pêle-mêle. Les meules de récolte sont grandes et couvertes de genêts bruni par l'air ce qui donne à leur toit l'apparence d'une immense peau de chèvre. Baccano, renommé pour l'insalubrité de son air, se compose de deux ou trois maisons, assez propres, dont une est poste et auberge. On y est assez bien. Visage jaune des habitants, tête romaine. Casernes de carabiniers. Beaucoup de jolies fleurs. Baccano est situé au milieu d'une vaste plaine que traverse la route et qui est entourée circulairement de montagnes de tuf volcanique, couvertes d'une pauvre végétation. Plusieurs coupes dans ces montagnes montrent leur organisation, toute de cendres volcaniques. Nul doute que la plaine de Baccano ne soit le cratère d'un ancien volcan éteint depuis des siècles. La plaine est cultivée mais les moissons sont pauvres. La plaine de Baccano est traversée par un ruisseau que fournit une source, naissant elle-même des montagnes qui l'entourent. Ce ruisseau s'échappe par une coupure que l'on a pratiquée pour dessécher le lac qui l'occupait. En sortant de Boccano à pied, nous cueillons des fleurs sur le bord d'un fossé et courrons [le] risque d'être renversés par trois moines, gras, dodus, bien vêtus, portant plaque brodée sur la poitrine et peu maître des bons chevaux qu'ils montaient. Le plus jeune de ces frères est d'une fraîcheur et d'une beauté remarquables. A quelques centaines de pas et par contraste, nous rencontrons deux charrettes contenant chacune huit bandits, enchaînés 2 à 2, et escortées par les carabiniers pontificaux. Ce sont de ces animaux qu'on aime mieux voir en cage qu'en liberté, sur un grand chemin surtout.


Page 92

" 1ère vue de Rome "

" Tour avant Pontemolle "

" Tombeau de Néron "

En sortant de Baccano, du haut de la route, on aperçoit pour la 1ère fois la ville de Rome, que l'on distingue sur l'horizon par le dôme de St Pierre et par une élévation plus à gauche, que nous jugeons être le Capitole. A gauche de l'horizon on aperçoit les Apennins entourés de nuages et couverts de neige sur quelques-uns de leurs pics. Beaux effets de lumière d'un ciel orageux. Puis à gauche de la route on trouve une petite tour carrée et on entre sur la partie de la route appelée Via Cassia et indiquée par des bornes milliaires. On arrive à la Storta, village insignifiant comme le paysage qui lui succède. Avant d'arriver à Pontemolle, le paysage devient plus accidenté, plus pittoresque : les collines couvertes de verdure et d'arbustes, les Apennins forment toujours la gauche du tableau et entre eux on aperçoit une immense vallée que nous supposons être celle du Tibre. Sur la droite de la route on trouve une nouvelle tour carrée, avec de petites fenêtres et qui est plus étroite à sa base : même architecture que le haut de la tour de Sienne ? ? On arrive à Pontemolle, en entrant sur la voie flaminienne (mais avant d'y arriver, on voit à droite de la route,


Page 93

sur une petite élévation le tombeau de Néron. Il est en marbre blanc noirci par le temps et a été placé sur une base de maçonnerie moderne. Il offre des bas-reliefs. Sur les angles des chapiteaux, des aigles et un guerrier tenant une lance et un bouclier. Sur les côtés, une sorte de chimère. Le tombeau semble avoir été placé à l'envers, puisque l'inscription qu'il porte sur l'une de ces faces regarde la plaine. Peut-être est-ce à dessein, pour la préserver des insultes des passants ? ? Pontemolle que l'on trouve à un mille de Rome et qu'on pourrait considérer comme un faubourg est bien bâti, propre, la route parfaitement entretenue. On traverse le Tibre sur un beau pont, orné à chaque extrémité de deux grandes statues de marbre blanc, on passe sous un arc de triomphe et enfin on arrive à Rome.

Rome

Rome. Sensations que l’on éprouve en entrant dans cette ancienne capitale du monde. Nous passons sous la porta del popolo à 3 heures et nous trouvons sur la belle place qui semble servir de salon d’attente aux voyageurs. Nous sommes obligés d’aller faire visiter superficiellement nos effets à l’hôtel de la d[o]uane, établie dans un ancien temple d’Antonin et dont le péristyle est orné de 11 superbes colonnes de marbre blanc, mutilées par les vandales et noircies par le temps. Les douaniers romains, au moyen de quelques misérables bâtisses, s’y sont établis comme les rats et les chauves souris dans les vieux édifices.

Nous descendons à l’hôtel britannique (Baldi) Piazza del popolo. Hôtel confortable, fréquenté surtout par les Anglais et les Américains. Bel et commode appartement, vue sur la place.

A peine arrivés nous allons en voiture pour visiter l’église St Pierre. Nous traversons le Tibre sur un beau pont orné de statues, en face duquel nous voyons le château St Ange. Nous arrivons à St Pierre. Des échafaud[age]s sont dressés pour la Fête-Dieu. Cette église nous produit une impression moindre. Cependant peu à peu elle semble grandir à mesure qu’on la considère et qu’on en examine les détails. Belle enceinte circonscrite par deux colonnades. Obélisque au centre, deux fontaines jaillissantes de chaque côté, pavé graduellement ascendant jusqu’à la façade, précédé d’un escalier de marbre. Nous visitons superficiellement l’intérieur de l’église. Nous visitons également et rapidement le Colisée, l’arc de Constantin. Les galériens, vêtus d’habits rayés brun et blanc, balayent les rues sous la conduite de gardes. Nous revenons par le Corso. Grande quantité de monde, moines, abbés, mendiants, putains, beaucoup de voitures, deux ou trois de cardinaux.

18 mai. Jeudi. A 9 heures je vais à l’église de St Antoine des Portugais. Petite chapelle. Le sacristain depuis 35 ans est attaché à cette église. Il se rappelle les enterrements. Les cercueils n’ont pas eu de pierre, ils sont en bois, rien ne peut les faire reconnaître


Page 94

aujourd’hui. Il n’y a dans l’église qu’un tombeau en marbre blanc. Jeune femme pleurant sur une tombe. Elevé pour Alexandre Emmanuel de Sonza par son fils Pierre de Palmela. Je vais chez Verdejo, via d[e]i condotti. La mosaïque sera raccommodée dans 8 jours, 30 livres Dans la rue, je suis rencontré [sic] par le doct[eur] Nicora.

Au 1er abord le peuple de Rome me paraît chétif, souffrant, jaune, hâve, bouffi, sale, souvent difforme, lent dans ses mouvements et contrastant avec les gens qui viennent des campagnes ; les femmes sont au-dessous du commun. Dans le clergé, les capucins, les moines surtout sont plus frais, plus gras et plus gais que les prêtres séculiers. Je trouve de l’obligeance dans les gens du peuple pour m’indiquer les chemins. Nous passons devant l’hôtel de don Miguel qui continue de se vautrer, auquel on donne le moins d’argent possible et dont on voudrait bien se débarrasser mais il paraît qu’il se plaît à Rome et ne pense pas à reconquérir son royaume. A Rome les voies digestives font mal leur fonction. Il y a beaucoup de saburres intestinales, d’engorgements dans les viscères abdominaux. Les fièvres intermittentes abondent. Depuis plus de 20 ans, l’Académie des beaux arts de France n’avait usé autant de sulfate de quinine.

Palais du Vatican. Habitation des papes (1), tenant à l’église St Pierre et par conséquent dans le quartier transtévérin. Immense bâtiment destiné à recevoir les monuments les plus précieux des grands hommes de l’Antiquité.

On y entre à droite de l’église, par la colonnade droite de la place. Garde suisse, hallebardiers bariolés de rouge, de bleu et de jaune, larges culottes courtes, chapeau rabattu à plumes, assez passablement ridicule. Ce palais serait mieux en harmonie, gardé par des moines, qui n’ont rien à faire !

On y monte par un escalier large, doux, mais obscur. Ce palais renferme 12 mille chambres et 22 cours, la plupart avec des bassins et des eaux jaillissantes. Au niveau du péristyle de l’église, on voit la statue

(1) pendant l’hiver ; l’été ils habitent Monte Cavallo ou le Quirinal.

[note en haut à droite]

(3 livres pour 3 messes à un prêtre)

[image]

Piazza del Popolo

Douane, Porta del popolo, Sta Maria del popolo, Hôtel Baldi, Villa Médicis, V. du Baboin, Sta M. di Monte Santo, via del Corso, Sta M. des miracles, V. de Ripetta (Tibre).


Page 95

de Constantin. De l’autre côté du Vatican, c’est-à-dire à gauche, est la statue de Charlemagne également à cheval.

Chapelle Sixtine. Très vantée. Le fond est occupé par l’immense fresque de Michel-Ange, le Jugement dernier. Cette fresque vient d’être copiée par un artiste français et sera exposée à Paris. C’est un grand tableau un peu altéré par le temps, enfumé, fantastique, dont les figures sont en général correctement dessinées. J’avoue n’avoir pu ni le comprendre ni l’admirer ! Le plafond, également de Michel-Ange, avec ses figures colossales m’a paru plus beau. Beaucoup d’autres fresques. Tribunes. Trône des papes en velours rouge, simple.

Salle ducale ou antichambre. Grande salle remplie de fresques de Salviati et autres. C’est à St Pierre que le pape tous les ans lave les pieds des pauvres. Ces pauvres sont [pour] la plupart des prêtres ou moines étrangers, mendiants, auxquels le pape fait un bon cadeau.

Au Vatican il y a trois rangs de galeries à colonnades superposées. Le pape habite au second étage et il peut se rendre de ses appartements au château St Ange par une immense galerie, Papeduc, qui est pratiqué sur l’ancien mur de la cité léonine, a plus de 420 mètres de longueur et sous lequel un des papes a fait pratiquer des arcades que nous voyons au-dessus des maisons en traversant le quartier transtévérin. C’est une échappatoire pour sortir d’embarras aux jours de danger et qui a servi plusieurs fois à S.S. Les appartements du pape sont gardés par les Suisses bariolés. Nous voyons une

1° Grande galerie remplie de sarcophages, et d’inscriptions lapidaires, classées méthodiquement et incrustées dans les murailles. Richesse immense pour les antiquaires.

Bibliothèque du Vatican. Elle est publique à certains jours. Avec la permission du bibliothécaire on peut lire les livres défendus. Dans la salle d’entrée, manuscrits égyptiens encadrés, sur papyrus, et deux belles mappemondes chinoises. Portraits de tous les cardinaux qui ont été successivement bibliothécaires. Grande et superbe salle de la bibliothèque, ornée de belles fresques sur les murs et au-dessus des armoires qui renferment les livres (qu’on ne voit pas). Belle et nombreuse collection de vases antiques, les uns grecs (figures noires sur fond rouge) rares, les autres étrusques (figures rouges sur fond noir) beaucoup plus communs. Il y en a plus de 800. Les fresques représentent les conciles etc. Dans la même salle, belle pendule en porcelaine de Sèvres, donnée au pape par Charles X. 2 magnifiques et grandes tables, en granit


Page 96

égyptien soutenues chacune par 12 hercules en bronze. 2 beaux candélabres de porcelaine de Sèvres, donnés au pape par Napoléon, et grand vase de porcelaine donné par Charles X. Almanach à figures, sous verre, qui s’enferme dans une boîte en croix. Grosse toile d’amiante antique, sous verre.

Du Vatican on voit les jardins du pape, qui l’entourent, sont grands, mais peu gracieux et assez mal entretenus.

2 autres immenses galeries de la bibliothèque ornées de fresques, de vases etc. Nous remarquons une fresque qui représente l’érection de l’obélisque du Vatican.

Grande salle avec des sarcophages, des bas-reliefs, des sculptures trouvées dans les catacombes. Armoires contenants des martinets de fer, des crochets et autres instruments de flagellation ou de supplice des 1ers martyrs chrétiens, trouvés dans les catacombes.

Nombreuses sculptures d’ivoire, de reliques des catacombes. Beaucoup d’antiquités, de vases, de calices, de verres, d’ornements, de l’origine du christianisme, trouvés dans les catacombes.

Portrait à fresque de Charlemagne, assez bien conservé, trouvé dans une fouille.

Salon des Papyrus. Bien orné, de marbre et de porphyres, canapés commodes, monuments sous glaces ; belle fresque, fraîche, faite il y a environ 100 ans.

Grande salle à rideaux verts. Armoires contiennent une belle collection de peintures d’église grecques, bien conservées, de diverses dimensions, bonne pour l’histoire de l’art.

1 sphère céleste peinte par Jules Romain.

1 salle contenant 5 à 6 mille sceaux romains, en terre cuite, incrustée dans les murailles antiques. Dans deux des salles, les fresques représentent l’histoire de Pie VI et de Pie VII, curieux.

Cabinet d’antiquités en bronze, très riche. Portion d’un bateau de Tibère, en sapin, traversée par de longs clous de bronze. Ce morceau peut avoir 9 à 10 pieds de longueur. Il a été trouvé dans le lac de Nervi ?


Page 97

Tête d’Auguste en bronze, bien conservée, trouvée près du Forum.

Armoire remplie d’antiquités, de camées, de petites sculptures en bronze, ivoire, jaspe, marbre, jaune antique, très riche.

Dans cette bibliothèque il y a 17 salles sur la même ligne qui offrent une longueur de 1200 pieds !

3 tables d’Alexandre Sévère gravées sur bronze bien conservées.

1 bouclier d’argent, sculpté.

1 belle mosaïque dans un tableau. Elle est du temps d’Adrien, représente un paysage avec des animaux, remarquable sous le rapport de la richesse des coloris.

2 belles colonnes de porphyre rouge, trouvées près l’arc de Constantin, et surmontées chacune de deux petites figures sur des appuis.

Galerie des statues antiques. Nous y reviendrons.

A 5 heures je vais visiter M. Latour-Maubourg et me trouve en consultation avec les docteurs Alberti d’Aix la Chapelle et Maggiorani de Rome.

Nous dînons avec un jeune prélat, d’une jolie figure, homme d’esprit et de bon ton. Visite de Nicora . Sa médaille du choléra morbus d’Ancône.

19 mai. Vendredi. Vu M. L. Maubourg avec M. Maggiorani. Il pleut. La pluie tombe presque toute la journée qui est froide.

Heures. A Rome les étrangers sont déroutés pour compter les heures aux horloges. Il est 5 heures, j’entends sonner 9 [heures]. On se règle d’après la marche du soleil et tous les 15 jours

[en haut]

Portion du bateau de Tibère

[au milieu]

Tables d’Alex[andre] Sévère

[en bas]

Colonne en granit rouge


Page 98

on remonte les horloges. Cela est fort incommode.

Repas. Ils n’ont rien de réglé. Beaucoup de gens dînent à midi ou 2 heures, les autres à 4 et enfin d’autres à 6.

Prélats. Les prélats sont comme le tombeau de Voltaire à Ferney ; ils s’appuient sur l’Eglise, et ont les pieds dehors. Ils portent un costume que nous regardons comme ecclésiastique : chapeau rond à larges bords un peu retroussés, cravate serrée sans col, sorte d’habit noir à la française, petit manteau tombant des épaules, culottes courtes, souliers à boucle. Les prélats peuvent, sans prendre les ordres, parvenir au cardinalat, mais pour avoir voix délibérative au chapitre, ils doivent prendre les ordres. Ils peuvent quitter leur prélature et se marier. Dans les rues, leur présence doit faire cesser les coups de poing et de pied dans les rixes. Ils ont beaucoup de considération, portent le nom de monsignore. Ils se distinguent par la couleur des bas et du cordon de leur chapeau. Ceux de 1ère qualité ont bas et cordon rouges, ceux de 2ème bas et cordons violets, ceux de 3ème noirs. Ils ne peuvent sortir en costume sans être suivis d’un valet. M. avec lequel nous avons dîné est un fort joli petit prélat, qui a été élève de l’école de St Cyr, qui est français de cœur, et se fâche quand on le prend pour un Romain. Il cause avec grâce et finesse.

M. M. V. veut faire une visite à la comtesse de [blanc], tante de notre jeune prélat, au palais Justiniani. Ce grand palais, à peine habité, comme le sont la plupart à Rome, est plein de statues, de bas-reliefs, de sarcophages antiques, à moitié mutilés, noircis par le temps et altérés par la pluie.

St Pierre. Seconde visite. Cette église me produit plus d’effet que la 1ère fois que je l’ai visitée. Elle grandit par l’habitude qu’on a de la voir. La belle colonnade, surmontée de statues, qui circonscrit son parvis demi-circulaire, ce parvis qui monte insensiblement jusqu’aux marches du temple, le bel obélisque qui en occupe le centre et les deux fontaines jaillissantes qu’on voit sur les côtés, sont d’un effet prodigieux. La façade de l’église est belle, mais trop surchargée, ce qui semble en diminuer les proportions. Du parvis à peine voit-on le sommet du dôme. A droite et à gauche, sous les colonnades sont les avenues qui conduisent au Vatican. On monte au péristyle par un bel escalier de marbre blanc. Ce péristyle est spacieux, ses demi-colonnes sont énormes. Trois hommes pourraient à peine embrasser la moitié de leur circonférence. De chaque côté du péristyle sont de petites fontaines, dont l’usage est semblable à celui de notre opéra italien. Sous le péristyle et sur les murs de [l’]église sont des inscriptions lapidaires écrites trop fin et placées trop haut pour être lues. Elles ne sont là que pour la forme ?


Page 99

Les portes de l’église sont fermées, comme celles de la plupart des églises d’Italie par un épais rideau rembourré, qu’on ne soulève qu’avec peine, qui retombe sans bruit, mais pourrait contusionner sinon écraser une personne délicate.

Les statues équestres et colossales, de Constantin à droite et de Charlemagne à gauche, sont lourde, pesantes et sans grâce. Le bel obélisque du centre du parvis est soutenu immédiatement par 4 petits lions de bronze qui reposent sur un socle carré.

Le pavé de l’église présente des dessins réguliers et de bon goût en marbre de diverses couleurs. Au centre, grande rosace de marbre avec les armes et la légende du pape Innocent X. Sur le milieu du pavé de l’église on lit de distance en distance la longueur ou la hauteur des principales églises comparées à St Pierre (St Paul de Londres, cathédrale de Florence, de Milan, Ste Sophie, St Pierre de Rome). Il y a sur le pavé beaucoup de rosaces en bronze, découpées à jours, pour éclairer les souterrains. Devant la chaise de St Pierre, on monte sur deux longues marches en porphyre rouge d’Egypte. Les voûtes présentent des ornements d’or, très finis, très bien sculptés, de bon goût, qui se détachent sur un fond blanc.

De chaque côté de l’église on trouve cinq petits dômes (10 en tout, dont chacun formerait le dôme d’une fort belle église). Ils surmontent les chapelles latérales. Ils sont brillants de moulures dorées, de belles mosaïques dont les couleurs vives, brillantes, imitent des fresques nouvellement peintes. La plupart des tableaux en mosaïque de ces dômes, et les figures qu’on trouve en bas sont d’un travail achevé et d’un grand effet.

Le grand dôme est d’une largeur et d’une hauteur prodigieuses. La voûte est d’un bon goût, chargé d’ornements, de mosaïque, avec une galerie intérieure, circulaire, et aux 4 angles du chœur qui le soutiennent sont 4 mosaïques colossales, des apôtres, d’un effet prodigieux.

[en haut]

St Pierre [plan]

[en bas : un garde suisse]


Page 100

Les piliers de l’église, de forme carrée et d’un volume plus qu’ordinaire, sont revêtus à leurs angles de marbre blanc et incrustés sur leurs faces de marbre rouge jaspé. Sur chacun de ces piliers sont incrustés des médaillons réguliers, sculptés en relief, et en marbre blanc sur un fond jaune antique. Les médaillons du haut et du bas portent une colombe qui tient dans son bec une branche d’olivier (à peine un homme avec la main peut-il atteindre à la colombe d’en bas). Le médaillon du milieu représente deux anges qui soutiennent les armes de la papauté (tiare et clefs). Au-dessus et au-dessous, un médaillon, où deux anges portent le portrait d’un saint avec sa légende en lettres d’or.

Bénitiers. Deux anges, de grandeur colossale (6 pieds), en marbre blanc, soutiennent une coquille en marbre jaune. La draperie est en marbre gris veiné. Ces figures vues de près sont lourdes, de formes peu correctes, et sont en sculpture une exagération des figures de Rubens, mais de loin, ces groupes font un excellent effet.

Tombeaux. Les galeries en dehors de la nef contiennent beaucoup de tombeaux, la plupart de dimensions colossales, en marbre blanc ou mélangé, en bronze etc. Quelques-uns sont fort beaux, mais d’autres sont lourds, mal dessinés ou de mauvais goût. Voici leur position en faisant le tour de l’église de droite à gauche :

Tombeau de Christine Reine de Suède ; en face celui de Léon XII.

2° Tombeau de la comtesse Mathilde, élevé par Urbain VIII et en face celui du pape Innocent XII (Pignatelli).

3° Celui de Grégoire XIII ; en face celui de Grégoire XIIII [sic] : simple sarcophage.

4° Celui de Benoît XIV.

5° Celui de Clément XIII. Il est de Canova. La statue du pape qui surmonte le mausolée est parfaite. Il est à genou, sur un coussin et en prière. Le génie qui est à droite du spectateur et les deux lions de la base sont bien sculptés et bien dessinés, mais la figure de la religion qui est à gauche est lourde, brutale, et ressemble assez bien à une poissarde de halles. Elle dépare le tombeau.

6° Celui d’Urbain VIII : à droite de la chaise de St Pierre, en bronze et marbre blanc, lourd, mal dessiné.

[à gauche : Tombeau de Clément XIII ?]

[à droite : pilier de l’église Saint-Pierre]


Page 101

7° Celui de Paul III, à gauche de la chaise de St Pierre est celui qui m’a le plus frappé par son exécution et sa beauté. Les deux figures allégoriques, la jeune femme couchée et couverte d’une chemise de bronze, qui est à gauche, et la femme âgée qui est à droite sont d’une beauté parfaite. Je donnerais tous les autres mausolées pour celui-là.

8° Celui d’Alexandre XIII, bronze et marbre blanc.

9° Celui d’Alexandre VII : en bas, la mort ou un squelette doré soulève un lourd rideau de marbre rouge. Mauvais ?

10 Celui de Pie VII. Canova n’a pas été heureux pour ce monument, il a choisi un marbre gris, terne ; les groupes ne sont pas en proportions, dans ce sens que deux petits génies, mesquins (adultes) se trouvent au-dessus de deux figures colossales.

11° Celui de Léon XI et en face celui d’Innocent XI.

12° Celui de Pie VIII, plus que simple, sarcophage sans décoration, en pierre, peint en blanc. En face celui d’Innocent VIII. Il paraît être le plus ancien, vieilles statues de bronze, d’un assez mauvais effet.

13° Celui de Maria Clementina Niber, et en face celui de Jacques II par Canova. Il est simple, bien entendu, et d’une exécution parfaite. Au-dessous des 3 bustes en relief qui décorent la pyramide, deux génies dans l’affliction sont d’une pureté admirable.

Chapelles. Elles sont en général simples, mais fort remarquables cependant. Les autels sont décorés en mosaïque, et surmontés de grands tableaux en mosaïque, copiés d’après les grands maîtres et qui sont d’un bel effet (communion de St Jérôme). Il y a au moins 30 de ces tableaux ! ! ! (richesse) de 15 à 25 pieds de haut. Ils ont de la ressemblance avec les belles tapisseries des Gobelins. Sur la 1ère chapelle, en entrant à droite, se trouve l’admirable groupe de la Pitié de Michel-Ange en marbre blanc. La Vierge tient sur ses genoux le corps de Jésus.

Statues colossales en marbre blanc. Il y en a beaucoup, elles sont renfermées dans des niches surmontées d’une coquille. Quelques-unes sont belles. Le plus grand nombre m’a paru médiocre, quelques-unes mauvaises.

Grand maître autel. Placé sous le dôme, au milieu du chœur. Le temple en est énorme. Soutenu par 4 colonnes torses en bronze, avec des torsades de branches de laurier dans lesquelles montent de petits anges

[croquis de la Pietà de Michel-Ange]


Page 102

et soutenues par des piédestaux de marbre incrusté. Le baldaquin est magnifique, de bronze et d’or (ces bronzes ont été extraits du Panthéon). L’autel où est le St Sacrement est très simple, peu élevé. Le pape qui officie 4 à 5 fois par an à St Pierre se place derrière l’autel et tourne la face au peuple. Personne que lui n’officie à St Pierre ; dans cette église il n’y a pas de chaise, et le voyageur fatigué est obligé de s’asseoir sur les dalles ou de s’appuyer sur quelque prie-Dieu ou base de colonne.

Au-devant du maître autel on descend par un double escalier, entouré d’une balustrade, dans une sorte de fosse incrustée, décorée, brillante qui mène dans les caveaux. Au milieu de cette fosse est la statue de Pie VI en prière par Canova. Autour de la balustrade et dans la fosse sont au moins 80 lampes en cuivre. Les fidèles abondent autour de cette balustrade : moines, bourgeois, paysans etc.

Statue de St Pierre. Elle est placée à droite de la nef, près du chœur. Le saint en bronze (provenant d’une ancienne statue de Jupiter) un peu plus grand que nature, est assis dans un fauteuil en marbre blanc. De la main gauche il tient ses clefs, de la droite il donne la bénédiction et avance hors du socle le pied droit dont le gros orteil est usé par les millions de baisers qu’il a reçus car les fidèles font queue pour cette cérémonie. Chacun commence en général par essuyer avec sa main ou sa manche, quelques-uns avec leur mouchoir ou un petit chiffon, le pied du saint. Après l’avoir baisé, ils appliquent dessus le front, le rebaisent de nouveau et s’en vont en faisant le signe de la croix. Les mères élèvent leurs petits enfants pour leur faire appliquer leur petite bouche sur ce bronze, qui heureusement n’est pas oxydé ! La statue est surmontée d’un baldaquin auquel est suspendue une lampe.

Chaise de St Pierre. Elle est placée au fond de l’église, soutenue par des figures colossales. 4 docteurs de l’église, en bronze, à mitres dorées, surmontés par une gloire avec des rayons d’or au milieu de laquelle est un transparent avec le St Esprit. Toutes ces figures sont colossales, les piédestaux en marbre précieux. La chaise de bronze renferme la véritable chaise de Pierre trouvée dans la maison de Pondente.

Porte Sainte. Elle est en avant de l’église, en entrant à droite, près de la 1ère chapelle. Cette porte ne s’ouvre ou plutôt ne se démolit que tous les 25 ans, le jour du jubilé. Elle est faite de brique, peinte en marbre gris. Quand on la construit,

[en haut : baldaquin]

[en bas : chaise de saint Pierre]


Page 103

le pape et les cardinaux enferment dans ses briques des médailles. Quand on la démolit, chacun emporte une brique ou une médaille, comme relique ou objet de commerce. Il y a concours de monde ce jour-là, à la démolition.

Au-dessus de cette porte, on voit un beau portrait de St Pierre en mosaïque.

Nous ne pouvons continuer notre visite au Vatican, parce que le pape doit sortir et qu’on évacue la maison. Cependant nous visitons au rez-de-chaussée l’

Ecole de mosaïque. Vastes salles. En entrant deux beaux bustes antiques, de femmes surtout. Pierres artificielles, colorées, taillées à la meule, vitrifiées. On fait la mosaïque sur un fond de cuivre, auquel est fixé un mastic, sur lequel sont les dessins qu’on y suit en y adaptant et en y collant les fragments de pierre. Nous voyons plusieurs tableaux : 1 tête de Christ (3 ans de travail), la Sibylle du Dominiquin (5 ans de travail), St Augustin de Raphaël, grande mosaïque sur une énorme pierre, 2 jolies tables d’après des fresques d’Herculanum. Grand magasin de pierres artificielles : 10 300 teintes !

Sancta Maria Maggiore. Jolie église, située sur une partie élevée de la ville. Nous entrons par derrière : obélisque égyptien, petit, dressé par Sixte V. Elle est simple. Les deux bras de la croix renferment l’un la chapelle Borghèse, remarquable par sa richesse, ses statues et ses bas reliefs en marbre blanc, ses incrustations de marbres précieux, de jaspes etc, l’autre, la chapelle du St Sacrement. 2 belles colonnades, régulières, de colonnes d’une seule pièce en marbre grec, gris. Pavé délicieux en mosaïque dure (jaspes, porphyre, marbre) représentant les dessins les plus gracieux. Voûte plate : or et blanc. Petit maître autel très élégant et riche, soutenu par des colonnes de granit à torsade de feuille d’or, couvert de cierges allumés. Exposition du St Sacrement. Plusieurs jolis tombeaux. Sur le devant de l’église est une colonne, provenant du Temple de la paix, surmontée de la statue de Sta Maria Maggiore sur un croissant. Petite fontaine au-devant. Aujourd’hui on a fait un cardinal (espagnol), réjouissance dans le quartier, préparatifs d’illumination, orchestres etc. On nous apprend qu’une femme a été assassinée ce soir sur la place d’Espagne.

[image]

Chaise de St Pierre


Page 104

20 mai. Samedi.

Monte Pincio. Situé à gauche de la porte del popolo, à droite de notre hôtel. C’est une promenade publique, commencée par les Français, et qui se compose d’une suite de terrasses, par lesquelles on arrive au moyen de pentes douces, au sommet de la colline, occupé par une grande et belle esplanade. Le mur demi-circulaire qui sépare cette promenade de la place del popolo est occupé au centre par une belle fontaine qui représente Rome avec des figures allégoriques, et au-dessous de laquelle est une belle coquille qui répand de l’eau en abondance dans un bassin demi-circulaire. De chaque côté sur le mur des sphinx en marbre blanc comme les statues de la fontaine. Au-dessus sont deux belles colonnes rostrales en granit rouge : ornements en bronze. Puis la façade de la 2ème terrasse ornée de statues dans 3 niches et au-dessus 4 statues d’esclaves. La façade de la 3ème terrasse ornée d’un grand bas-relief de Stocchi, en marbre blanc, représentant la gloire qui couronne les génies des armées de terre et de mer. La 4ème terrasse est occupée par une sorte de temple auquel on monte par un double escalier de travertin (1), et qui est décoré de 4 belles colonnes de granit rouge, et d’un péristyle peint à fresque. Du haut de l’esplanade qui est derrière cette 4ème terrasse on a une vue admirable : à droite, de l’autre côté de la muraille de Rome, on voit au-dessous de soi la villa Borghèse, puis le mont Marius, dit Villa Mellina, placée sur une colline et entourée de noirs cyprès. Aux pieds du mont Marius coule le Tibre. En face on voit St Pierre et le château St Ange et plus à gauche, sur le mont Janicule, la Villa Pamphili avec sa forêt de pins. En bas, la piazza del popolo, ses ornements, ses 3 églises, notre hôtel, à gauche

Pierre calcaire, coquillière, poreuse, très dure, plus durable que le marbre, mais beaucoup moins belle, d’un aspect rugueux, sale, qu’on extrait sur les bords du Tibre et dont sont bâtis les beaux édifices modernes de Rome.

[image : colonne rostrale en granit rouge ?]

[croquis]

Santa Maria Maggiore


Page 105

la masse du Panthéon et la fontaine dite l’Aqua Paola. Sur l’esplanade, statue d’Esculape mutilée, au centre un petit obélisque égyptien ; à gauche, sous l’esplanade, un élégant café, et plus à gauche, y attenant, les jardins de la Villa Médicis, occupée par l’Académie de France. La façade de cet édifice n’a rien de remarquable. Au-dessus de la porte « Académie de France » avec le livre de la charte, ouvert, entouré de drapeaux tricolores et dessus « les Français sont égaux devant la loi », décoration ou ornement dû à H. Vernet. Au-devant du bâtiment est une terrasse, avec une rangée d’arbres touffus, taillés, et qui laissent au milieu une voûte de verdure sous laquelle est une fontaine jaillissante. De cet endroit, qu’on a souvent dessiné, la vue est admirable, on plane sur Rome.

Après, nous allons avant déjeuner, au Capitole. Nous passons devant la fontaine de Trévi, adossée au Palais Piumbini, beau monument, statues colossales en marbre blanc, l’eau coule en nappe, en cascades et jets, et en abondance, des rochers dans le bassin. L’eau, aqua virgine, la meilleure qu’on boit à Rome, vient par l’aqueduc ancien, de monte Agrippa.

[à droite : jardins de la Villa Médicis]

Derrière le palais Piumbini, on descend dans une petite cour, sale, mouillée, occupée par des laveuses d’herbes, mendiantes, naïades d’une nouvelle espèce, et on voit dans cette grotte humide une portion de l’aqueduc ancien avec une inscription.

Nous passons devant le Palais Doria, jadis occupé par le général Miollis devant l’immense couvent des jésuites.

Nous rencontrons la voiture du sénateur pleine de ses pages en grand costume.

[à gauche]

Palais Piumbini. Fontaine de Trévi.


Page 106

Mont Capitole. Placé sur la rive gauche du Tibre, au centre de l’ancienne Rome ; on y monte par une pente douce, opposée à la voie sacrée, jusqu’à l’église de Santa Maria [blanc] qui en occupe le centre ? ? Le centre de ce palais est occupé par le sénateur. L’aile droite renferme le musée des statues ; l’aile gauche le musée de tableaux et les logements des conservateurs. L’escalier et le bâtiment dus à Michel-Ange. En haut de l’escalier sur la balustrade, les statues équestres de Castor et Pollux, opposées : les frères sont à pied et tiennent leurs chevaux, marbre blanc, antique, trophées de … [blanc] colonne miliaire. Au centre belle statue équestre de Marc Aurèle, bronze, antique. Le palais est gardé par les gardes nationaux. En montant l’escalier du palais, fenêtres des prisonniers pour petits délits, qui implorent la pitié des passants. Salle ou tribunal au-dessus. Du sommet de la tour, qui est carrée, on plane sur Rome et on peut s’orienter. Au-dessous de nous, nous voyons d’un côté, le Forum, irrégulièrement carré, le petit temple de Romulus ou de Vesta, le Colisée, et la Voie Sacrée qui de ce point passe successivement sous les arcs 1° de Constantin, 2° de Titus et 3° de Septime Sévère. Ce dernier est au pied du Capitole ; on fait des fouilles à sa base. Nous constatons l’élévation du terrain. Nous voyons les thermes de Titus, ceux de Caracalla. A droite, la Roche tarpéienne, couverte de maisons, surmontée d’une terrasse, regardant le Tibre qui aujourd’hui en est éloigné par des atterrissements, sur lesquels on a bâti. Nous voyons les 7 monts de Rome, placés des deux côtés du Tibre. Nous apercevons les colonnes de Trajan, d’Adrien, au loin l’immense aqueduc de Claude qui conduit l’eau à Rome, les restes de l’aqueduc de Néron, la tour de Néron, moderne ? les restes du temple de la Fortune virile, de Jupiter tonnant, de Jupiter Stator, du temple de la Paix, de celui de Faustine, la colonne de l’empereur Phocace, les bains de Titus, près de l’aqueduc de Claude, les restes du temple de Minerva Medica, la place de l’ancien Champ de Mars occupé par des maisons ; une grande partie des remparts et plusieurs des portes de Rome. Une portion de la Voie Sacrée est entourée d’arbres, fermée par une chaîne. Les voitures n’y passent pas. Pavé. Nous visitons rapidement le musée des statues. Magnifique. Nous y reviendrons.


Page 107

Après déjeuner en allant au Palais Corsini nous passons devant la fontaine de Ponte Sisto alimentée par l’eau de l’aqueduc d’Auguste qui vient du mont Janicule.

Nous traversons le Pont Janicule aujourd’hui Ponte Sisto. Nous entrons chez les transtévérins, devant le mont Janicule. La race ne me paraît pas plus belle que dans les autres quartiers de Rome.

Palais Corsini. Situé dans le quartier transtévérin. Immense bâtiment, façade régulière, insignifiante. La cour est séparé du jardin par des pilastres réunis par des grilles, surmontés de vases. Cour remplie d’herbe et de foin. Le jardin dans le genre de ceux de Lenostre. Belle allée de laurus nobilis. 3 bassins avec jets d’eau. Le jardin est en pente, dominé par le mont Janicule. Les galeries sont publiques. Grandes : bronzes de Florence, nombreux et en général médiocres. Beaucoup de tableaux, entre eux : 1° 11 jolis petits tableaux, peints à l’huile par Callot, d’un fini et d’un esprit admirable, représentant les misères de la guerre. Celui des pendus et celui des gens qu’on fusille sont surtout remarquables. 2° Une belle tête de Vierge de Carlo Maratta (l’Annonciation), jolie femme avec son enfant, espèce de madone campagnarde, par Murillo. 4° St Jérôme de Ribera L’Espagnolet 5° La femme adultère du Titien 6° Portrait d’homme de Van Dyck 7° 4 Ecce homo, 1 de Carlo Dolci, 1 de Carrache, 1 du Guide, et enfin 1 du Guerchin, qui vaut à lui seul les 3 autres et toute la collection. Rien de plus beau, de plus expressif, de plus touchant que la tête du Christ. Ce sont deux tableaux rares qui émeuvent ! ! !

Deux petits enfants qui se battent, marbre blanc antique, très joli.

Chaise curule, en marbre blanc, ornée de bas-reliefs, sujets de chasse, curieuse.

Maison farnezienne. Presque en face du Palais Corsini. Parmi les fresques, nous distinguons les Trois Grâces de Raphaël et la belle fresque du triomphe de Galatée qui a été très bien gravé par Richomme.

[en haut]

Fontaine de Ponte Sisto

[en bas]

Chaise curule


Page 108

Mont Janicule. Situé sur la rive droite du Tibre, il domine le quartier transtévérin. De son sommet on voit très bien Rome. Dans le lointain on voit de droite à gauche Albano, Frascati, en face Tivoli, plus près le mont Palatin. Nous voyons le grand palais blanc de Godoy ! A droite pays plats jusqu’à l’horizon, on ne trouve pas de montagne jusqu’à Terracine. De ce côté sont les marais pontins. Au sommet est bâtie l’église de S. Pietro in Montorio, habitée par de pauvres moines ; derrière l’église est un joli petit temple rond, à colonnes, au centre duquel on conserve le trou dans lequel on a planté la croix où a été crucifié St Pierre. Le trou peut avoir 15 pouces de circonférence. C’est une sorte de puits, garni de marbre et au-dessus duquel brûle une lampe.

Fontaine dite Acqua Paolina. Occupe le sommet du mont Janicule. Très belle par l’abondance de ses eaux qui arrivent par l’aqueduc d’Auguste.

[croquis]

St Pierre de Montorio

Dîner à l’ambassade avec la famille de M. de M. G. et M. de Ludier, 1er secrétaire d’ambassade. Le courrier parti avant hier a été volé à 4 heures de Rome. Le pape a une sorte de liste civile. Celui actuel [sic] est pauvre, il n’a demandé que 500 scuderos, à peu près 2500 [livres]. Il peut avoir de l’argent en plus, mais en indiquant son emploi.

Dimanche 21 mai. La journée commence par un fort orage, accompagné de torrents de pluie et de fréquents coups de tonnerre dont les échos nous sont renvoyés par les sept collines !

A 9h ½ nous allons entendre la messe à la Chapelle Sixtine. Nous attendons dans l’antichambre jusqu’à 10 ½. En attendant nous voyons passer dans cette salle force moines, abbés, bedeaux, gardes du pape.

1° Chapelle. L’autel très simple, situé au fond de la chapelle, au-dessous de la grande fresque du Jugement dernier de Michel-Ange. Baldaquin en velours rouge. Le trône du pape, au fond, à gauche, également élevé sur des gradins ; baldaquin rouge, fond blanc en soie, doré, grand fauteuil en soie blanche brodée. Le milieu est occupé par une grande enceinte

[image]

Acqua Paolina


Page 109

avec des bancs garnis pour les cardinaux. A droite, la tribune aux musiciens, une grille avec porte moyenne sépare la salle en deux, au-dessus de la grille sont placés 8 grands candélabres quand le pape officie, six quand cardinal, 4 quand archevêque. Derrière cette grille à droite est la partie destinée aux dames, garnie de simples bancs et à gauche la tribune des souverains, rouge et or, elle est vide. Les gardes occupent les avenues. Les évêques sont placés au fond à droite, puis viennent les patriarches, les généraux des ordres, les autres ecclésiastiques et enfin le public de choix. Nous sommes placés fort bien sous la tribune des chantres. A droite, le public homme est debout.

Personnel. Le pape, vieillard de bonne figure, petit, d’un embonpoint assez prononcé, vêtu en soie blanche brodée d’or. Grand manteau qui descend des épaules aux pieds et l’enveloppe entièrement et le suit à 4 à 5 pieds derrière lui. Mitre ou tiare en or, très légère, s’ouvrant comme un claque. Cheveux blancs, très courts, couverts d’un petit serre-tête blanc. Souliers rouges. Il est lent, grave et a beaucoup de dignité dans ses mouvements, sans affectation. Le pape a une voix forte et parle distinctement.

Cardinaux. Il y en a 31 de présents. Ils sont chacun accompagné d’un porte queue vêtu en noir et violet. Vêtus en rouge écarlate, à l’exception des souliers. Petite calotte rouge sous leur bonnet. Parmi eux, je distingue, 1° le cardinal Fesch, gros, court, figure brune, un peu mélancolique, perruque noire, circulaire 2° le cardinal Doria, vieux petit bonhomme, de 4 pieds de haut, ratatiné, demi-paralytique, chancelant, soutenu par 3 ou 4 personnes 3° le cardinal Spada, grand et assez bel homme, maigre et pâle, à long nez, aux yeux saillants, rouges comme ceux d’un homme mal éveillé, cheveux châtains, tumeur sur la partie gauche de la mâchoire inférieure, essentiellement triste, mélancolique, ayant l’air d’un homme ennuyé de la vie. Il ressemble à [illisible].

[image]

Chapelle Sixtine. Plan


Page 110

Les autres ecclésiastiques n’ont rien de remarquable. Les bedeaux ont une camisole blanche à manches brodées. Il y en a de toutes dimensions et qualités.

La chapelle est gardée par les gardes suisses bariolés dont les officiers ressemblent beaucoup à ceux de nos anciens suisses, rouge et or, et par les gardes nobles du pape, espèces de grands et beaux jeunes gens, à chapeau à trois cornes très élevé, surmonté d’un panache de plume de coq ; grosses bottes à l’écuyère, épaulettes, enfin ressemblant beaucoup à nos anciens gardes du corps. Les gardes sont honnêtes et très obligeants. Le public est peu nombreux. On doit être en habit et en noir. Il n’y a que sept à 8 dames, la famille du consul américain, jolies personnes. Don Miguel seul à Rome peut aller à la tribune des souverains ! !

Les chantres, placés dans une tribune à balcon, sont environ 15 à 20, de tous âges, vêtus en prêtres. Deux soprano de 25 à 30 ans, jolis garçons mélancoliques, à air timide et féminin, gras, pâles, la peau lisse comme un vélin ! ! ! ! ! Leur voix n’a rien d’agréable, elle ne frappe que l’oreille sans aller au cœur. Au reste la musique, toute vocale, est détestable, ou du moins m’a paru telle.

La cérémonie de la messe est simple et paisible, comme elle le serait dans un cloître. Chaque cardinal en entrant s’agenouille au milieu de leur enceinte, ôte son bonnet, fait une courte prière. On le relève, car ils sont vieux pour la plupart, on le conduit à sa place. Son porte queue s’assied au-dessous de lui. Il n’y a que 4 à 5 cardinaux encore un peu jeunes. Trois seulement lisent leur missel. Quand le pape entre, tout le monde se lève, il s’agenouille devant l’autel ; on le relève et le conduit à son trône, où il s’assied enveloppé des pieds à la tête dans son manteau. Un cardinal de chaque côté pour ouvrir son manteau, quand il veut se moucher, mettre dans l’encensoir la résine d’olivier etc. C’est un prêtre qui lui donne son mouchoir, qui est rouge, et quand S.S. s’est mouché, le prêtre serre le mouchoir dans sa propre poche. Le cardinal Fesch est l’assistant assis devant le pape, à sa gauche. Le pape fait baiser sa main successivement aux cardinaux et il soulève seulement son manteau sans la découvrir. Je lui vois 2 fois baiser le pied droit par 3 ecclésiastiques. Pour lors, les deux cardinaux latéraux ouvrent le manteau, et le pape allonge le pied. Cela se fait très vite. Plus tard, le pape donne l’accolade à chacun des cardinaux qui vont en procession, à la file les uns des autres, les uns la queue retroussée en bandoulière derrière le dos, les autres se la faisant porter.

[image : trois ecclésiastiques]

Chapelle Sixtine


Page 111

On encense l’autel. Le pape, les cardinaux latéraux, chaque cardinal 4 coups d’encensoir entre deux salutations, les évêques deux coups, les généraux des ordres un coup, les autres ecclésiastiques, rien ! ! Le pape lit l’évangile d’une voix forte et intelligible. Il nous donne sa bénédiction. Un moine vêtu en blanc, long, sec, noir, fait un long sermon latin, désagréablement cadencé, où je distingue qu’il parle de Platon, d’Aristote et beaucoup de la Santa trinitate. La cérémonie finie, l’assemblée se retire en silence.

Théâtre de Marcellus. Pour y arriver nous passons dans le quartier des juifs, qui sont les mêmes que partout, sales etc, et ont conservé leur type national. Il y a 7 portes à ce quartier, on les ferme pendant la nuit. En sortant de ce quartier, nous voyons d’abord le portique d’Octavie dont il ne reste plus que la frise en marbre blanc avec un reste d’inscription et ensuite le théâtre de Marcellus qui forme le côté d’une rue, demi-circulaire, à colonnes et arcades. Celles-ci sont murées et servent d’habitations et celles d’en bas de boutiques et on a élevé des maisons au-dessus du faîte de ce théâtre, qui est noirci, calciné, et dont quelques parties seulement sont bien conservées.

Pont sénatorial (Ponte Rotto). Il n’en reste que trois arches qui forment sur le Tibre un point d’arrêt pour des bateaux de pêcheurs. Ces pêcheries se font avec de grands troubles qui tournent comme les roues d’un moulin. Un homme arrête les troubles quand il y a des poissons de pris. Nous en voyons prendre.

Nous voyons un peu plus bas, sur la rive droite du Tibre, la seule pile qui reste du Ponte Sublicius, le plus ancien de Rome, qui avait remplacé celui en bois d’Horatius Coclès.

[en haut]

Théâtre de Marcellus

[en bas]

Pêcheries du Tibre


Page 112

Restes d’une ancienne maison de Rome, surchargée de moulures et de petites figures sculptées en marbre blanc.

Temple de la Fortune virile. Il a été déblayé par les Français et restauré à sa façade. Il ressemble un peu à la Maison Carrée de Nîmes (bâti par Servius Tullius).

Le temple de Romulus ou de Vesta. Circulaire, entouré de jolies colonnes cannelées, surmonté d’un ignoble toit moderne, sert de chapelle.

Nous visitons l’église [blanc] bâtie sur l’emplacement du temple de [blanc]. Les principales colonnes du temple ancien sont restées en place pour l’église moderne. A l’intérieur il y a beaucoup de jolies colonnes de différents marbres provenant de ce temple. A gauche du portique, nous voyons un immense masque en marbre blanc, de la grandeur d’une meule de moulin (5 pieds de diamètre) de 10 pouces d’épaisseur. C’est celui de la terreur. Les yeux, nez, bouche percés à jours.

Cloaca maxima. Le grand cloaque, bâti par Tarquin. C’est encore un des grands égouts de la ville. On y descend par une ruelle étroite, humide, herbeuse, pittoresque. Sur le dessin l’arcade en avant est l’égout moderne, celle du fond est celui de Tarquin. A gauche, sous une petite voûte, une source d’eau minérale qu’on dit purgative et s’écoule dans l’égout. Je la trouve insipide, mais les eaux du Tibre très hautes refluent dans l’égout.

[en haut]

Temple de la Fortune virile

[au milieu]

Temple de Romulus

[en bas]

Figure de la terreur


Page 113

[à gauche]

Grand cloaque

[à droite]

Arc de Janus

Le mont Palatin. 1er établissement des Romains. Sur le sommet, le Palais des Césars, immenses ruines en brique, on en a retiré tous les marbres pour bâtir St Pierre et d’autres églises de Rome. Du sommet, on voit le mont Aventin et le mont Coelius, les bains de Caracalla, les restes de l’aqueduc de Néron, l’Arc de Constantin, le Colisée. Les aqueducs de Néron étaient à arcades superposées. Le chemin les coupe.

[image]

Palais des Césars


Page 114

[en haut à gauche]

Aqueduc de Néron

[en haut à droite]

Arc de Constantin

Arc de Janus. A l’extrémité du Forum. Il est lourd, semblable sur ses quatre faces, de là Janus quadrifronte. Près de là, on voit une jolie arcade bien sculptée, avec une inscription, élevée par les orfèvres de Rome en l’honneur de Septime Sévère et de sa femme.

On nous dit « que la Voie triomphale commençait au Vatican, passait le Tibre sur le Pont triomphal, passait ensuite par la via retta, le temple de Bellone et se réunissait à angle avec la Voie Sacrée près de l’Arc de Constantin ; celle-ci passait sous l’Arc de Constantin, à gauche de l’Arc de Titus, sous l’Arc de Septime Sévère et se terminait au Capitole ».

[croquis de gauche]

5 pieds : pavé de la Voie Sacrée

[en bas à droite]

Arc de Titus


Page 115

L’Arc de Constantin. A 3 arcades. En haut de chaque côté, les 4 statues des rois barbares prisonniers. Il y a beaucoup de bas-reliefs, quelques-uns bons, d’autres médiocres. Ceux du bas sont misérables.

L’amphithéâtre Flavien (arènes, Colisée), où se donnaient les combats de gladiateurs, est le plus grand de ceux que l’on connaisse. Il contenait 100 mille spectateurs. Il est elliptique. Ruines immenses !!!!! Entre l’Arc de Constantin et le Colisée est un bassin de brique au milieu duquel s’élève un gros cône en brique. Ruines d’une ancienne fontaine.

Voie Sacrée. Formée de grosses pierres volcaniques noires, irrégulières, légèrement bombées à leur surface.

Arc de Titus. Plus petit que celui de Constantin, a une seule arcade, très simple, restauré ?? Près de l’Arc de Titus nous voyons passer une procession à pénitents gris, beaucoup de peuple à la queue ? ?

Ruines du Temple de la Paix. Près de là, église bâtie sur l’emplacement du temple de Vénus et de Rome. A droite de la Voie Sacrée, restes du Temple de Rémus. On y a bâti une petite église, deux colonnes de granit rouge. L’énorme porte en bronze, creuse, à deux battants, antique, avec serrure est fort curieuse. Elle ne roule que sur deux gonds et les deux tables qui la forment sont soudées à queue d’aronde sur le bord.

A droite toujours 10 énormes colonnes du Temple de Faustine.

Les 3 colonnes du Temple de Jupiter Stator.

Arc de Septime Sévère. Nous le reverrons.

Lundi 22 mai. Nous visitons sur la place d’Espagne le modèle en bois du Colisée, fait par Carlo Lucangeli, qui a employé 24 ans à sa petite construction, tandis que le Colisée paraît avoir été bâti en 4 à 5 ans par les juifs esclaves de Jérusalem. Il y en avait 40 mille employés. Ce modèle est admirable, il a 10 pieds de longueur. L’original en a 600. Bâti sous Vespasien, décoré par Titus. 3 rangs de colonnes et d’arcades superposées. 4 portes principales aux diamètres de l’ellipse, 2 impériales. Ces 4 portes sont de deux pieds plus larges que les autres et étaient chacune surmontée d’un quadrige en bronze, tandis que les autres portes n’avaient que de grandes statues, dans chaque arcade une statue. Trous de la circonférence, mâts, supports des mâts pour tendre les toiles ou les tentes comme un rayon. Mâts en bois couverts de bronze.

[croquis du Colisée]


Page 116

La galerie circulaire du haut était occupée par le peuple et garnie de colonnes circulaires et de grilles. Puis venaient trois rangs de gradins auxquels on parvenait par des escaliers et des vomitoires particuliers. Il y avait des salles pour se restaurer. Il y a 117 portes ou vomitoires sur l’arène. Il contenait 100 mille spectateurs. On y entrait par billet. Chaque porte était numérotée. Les animaux sortaient de dessous le sol de l’arène, dans des cages qui s’élevaient et s’ouvraient par un mécanisme très simple.

Palais Borghèse. Très grand. Nous distinguons dans la galerie de tableaux 1° St François pénitent, par Cingoli 2° La chasse de Diane du Dominiquin 3° Descente de croix de Van Dyck 4° Une sibylle du Dominiquin 5° La déposition de la croix par Raphaël 6° Les 4 saisons de l’Albane 7° Ste Famille d’Andrea del Sarto 8° Vénus au bain par Jules Romain 9° Portrait de César Borgia par Raphaël 10° Petit portrait d’homme cachant une lumière avec sa main par Guerardo della Notte 11° Danaë du Corrège 12° Lot avec ses filles par G. della Notte 13° Ste F[amille ?] Je vois le Prince Borghèse dans sa galerie, il s’informe de la santé de M. de M. environ 55 ans, parlant bien français !!!

Vatican. Seconde visite. Les loges de Raphaël occupent les galeries du second étage. On les a vitrées. Sous chaque arcade, 4 petits tableaux carrés de Raphaël, à fresque ; histoire sainte, comme en général bien conservés. Echelle avec petite esplanade. Le dessin et la composition de ces fresques sont admirables. Quelques-uns ??? beaucoup de visiteurs le nez au vent ?

Nous visitons la grand salle peinte à fresque, avec des statues de saints à fresque dans des niches et beaucoup d’ornements. Une autre salle avec la grande bataille de Constantin à fresque, par Jules Romain, et d’autres fresques. Quelle abondance de composition, quelle richesse d’idées !!!

Les chambres de Raphaël où sont les plus belles fresques de lui, l’Ecole d’Athènes, l’incendie etc, admirable !!!!!!

Galerie de tableaux. Peu nombreux mais presque tous des chefs-d’œuvre. Nous distinguons

1° Le couronnement de la Vierge, Raphaël ! La Vierge de Foligno, Raphaël !!!!! La transfiguration !!! St Romuald d’Andrea Sacchi (?) Le crucifiement [sic] de St Pierre par le Guide. La pitié de Michel-Ange. Caravage !!!!! La figure ! ! Ste Micheline par Barrocchio. La Vierge aux quatre saints du Pérugin. Les vertus théologales, petits carrés en grisaille par Raphaël.


Page 117

Galerie de statues antiques. Belle et grande salle, décorée avec goût, richesse et simplicité, remplie d’une innombrable quantité de statues antiques, de bustes, de vases, d’urnes, de cénotaphes. L’Apollon du Belvédère, le Laocon, immense bassin de porphyre soutenu par 4 pieds de bronze dans une rotonde pavée en belle mosaïque antique, entourée de statues. Le beau torse antique. La salle des animaux : prodigieux. Il faudrait 15 jours pour bien voir ce musée !!!!! Chevaux, cerfs, chiens, crocodiles, oiseaux, lions etc, c’est la Création en marbre !!!!

Mardi 23 mai. Cardinal Fesch. Nous allons à son hôtel situé sur les bords de la rive gauche du Tibre en face du mont Janicule qui est de l’autre côté. Admirable et riche collection. Dans cet endroit le Tibre a la largeur de la moitié de la Seine à Paris. Ses eaux limoneuses tourbillonnent en raison de son fond de roche. En face le Palais Corsini et la Villa Farnèse de l’autre côté du fleuve. A gauche au-dessous le Ponte Sisto (Pont Janicule).

Assez bel hôtel, les salons ne sont pas très vastes, mais remplis de tableaux de choix, tous des chefs-d’œuvre. Nous distinguons 1° L’Ascension du Guide, un beau tableau doré, vieux, de Fiesole. Trois jolis tableaux de l’Albane et parmi eux les Stes femmes au tombeau du Christ, avec l’ange. La Fortune du Guide, la Magdelaine du Guide, elle ressemble à la princesse de Belgioso. Deux beaux portraits de vieillards demi-nus de Salvator Rosa. L’enfant prodigue du Bassan, Semiramide de Raphaël Menzi : la tête de la femme est ce qu’on peut voir de plus beau !!!! Beaucoup d’autres tableaux du Titien, de Ribera l’Espagnolet. Une belle Magdelaine de Van Dyck et une Sainte Famille du même auteur dans la chambre à coucher du cardinal, et près d’eux, un magnifique portrait d’homme de Rembrandt.

Nous visitons le cardinal, court, gros, frais, d’environ 75 ans, aimable. Il me consulte, reçoit avec plaisir des nouvelles de M. de Marboeuf, nous fait voir les chefs-d’œuvre de son cabinet.

Il n’a d’exposée que la sixième partie de ses tableaux. Il possède dix magasins de tableaux empilés !!!!! cui bono !!! Nous distinguons encore dans sa galerie une Madone avec son Enfant d’Augustin Carrache, le Crucifiement [sic] par Raphaël à 18 ans !!! Une Sainte Famille d’Andrea del Sarto !!! Portrait de Mazzianello et celui de sa mère. Le héros a l’air d’un franc gamin, fort ridicule sous son accoutrement. Sa mère, laide (elle ressemble à Mme C.) s’est fait peindre en belle dame, en turban et tenant sur ses genoux le petit chien de rigueur. Ô vanitas vanitatum !!!

[image : portraits de Mazzianello et de sa mère]


Page 118

Adoration des bergers de G. della Notte. Deux beaux vases de porcelaine de Sèvres avec des peintures sujets de chasse de Napoléon.

Atelier de M. Thorvaldsen. On y entre par une sorte d’écurie. Beaucoup de fig[ures] en marbre et surtout en plâtre. Nous remarquons 1° Un Christ colossal en plâtre, il manque de feu sacré. Une assez belle statue de Poniatowski à cheval. Un petit bas-relief, faisant partie d’un monument votif, représentant 3 petits anges s’enlaçant et voltigeant, charmante composition ! Groupe de Trois Grâces, marbre blanc, très gracieux. Le bas-relief des Trois Grâces, très agréable, coûte 5 mille francs. Statue colossale de Gutenberg, plâtre. Un joli bas-relief, la marchande d’amour avec une demi-douzaine de figures allégoriques, très gracieux !

En allant à la Villa Albani nous voyons une partie des anciens remparts de Rome reconstruits par Honorius. Ils sont couverts d’arbres et se dessinent à peine au milieu de leur massif. Nous laissons à gauche une villa, ancien jardin de Lucullus, occupé par le Prince de Piumbino, espèce d’avare fou, qui s’enferme dans sa propriété comme dans une forteresse et n’y laisse pénétrer personne !! Nous traversons la Porta Salaria, qu’Honorius substitua à l’ancienne Porta Collina de Tullius, et par laquelle étaient entrés les Gaulois et par laquelle Hannibal se proposa d’attaquer Rome.

Villa Albani. Construite par la cardinal Albani, sur le mont Sacré. On entre par une grande grille à laquelle succède le jardin, avec des allées régulières en haut buis, taillis assez monotone, comme les anciens jardins français. La cassine est composée d’un grand appartement, sous lequel du côté des jardins est un beau portique, soutenu par des colonnes de marbre. Le jardin est orné de terrasses, de bassins ornés, de fontaines etc. En face de la colline est un portique demi-circulaire à colonnes. Le nombre des statues, bas-reliefs, bronzes, tombeaux, bustes, est très considérable. Nous remarquons 3 cariatides trouvées dans la Villa Adriana à Tivoli, jolie Vénus à demi vêtue, plusieurs statues de muses, de Vénus etc, Agrippine, mère de Néron, assise dans un fauteuil, deux statues nues qu’on dit l’une être César, l’autre Brutus armé d’un poignard, joli bas-relief des enfants de Niobé, joli faune portant une outre pleine sur son épaule. Dans une salle, belle tapisserie de Duranti de Rome (1743). Salle remplie de jolies statuettes, divinités en marbre, porphyre, albâtre etc.

[image : Villa Albani ?]


Page 119

belle statue de Junon en albâtre coloré et en bronze. Jolie petite statue d’Hercule en bronze, trouvée au mole Adriana. Statue de Diogène avec sa coupe et son chien. Beau bas-relief. Buste d’Antinoüs ! ! ! Belle statue de Jupiter, en marbre bl[anc], avec son aigle à ses pieds. Admirable galerie en marbre de couleur, porphyre, mosaïques, fresques d’une richesse surprenante et de bien bon goût. Joli bas-relief d’Icare et de Dédale ! ! ! Joli bas-relief de vestales offrant un sacrifice ! ! Un faune portant un petit Bacchus sur ses épaules. 2 prêtresses étrusques. Enorme colonne d’albâtre veiné, demi transp[arent], beau buste de Jupiter, en basalte. Peinture à fresque trouvée au Campo Vaccino. Un jeune enfant caché derrière un masque colossal ! ! !

Bassin de marbre bl[anc], de 22 pieds de circonférence. Au centre, la tête de Méduse, autour, en bas-reliefs, les travaux d’Hercule. Trouvé à 8 milles de Rome, sur la voie appienne où Domitien construisit un temple d’Hercule dont on voit encore les ruines. Un Jupiter assis au milieu des signes du zodiaque soutenu par Atlas. Une mosaïque égyptienne (romaine). Petit modèle antique, représentant la statue et le bassin du Tibre, avec de petits jets d’eau qui allaient encore dernièrement, marbre blanc. Plusieurs petites statues de comédiens, en scène, avec leur masque. Un satyre femelle. L’Abondance, statue égyptienne. Statue d’Esope ! ! ! ! Figure spirituelle ! ! Deux tableaux de mosaïque antique, l’une est une école de philosophes, l’autre Hésione délivrée du monstre.

De la Villa Albani, la vue sur Rome, sur les campagnes voisines et les Appenins est délicieuse.

En revenant nous visitons l’église de Santa Maria della Vittoria. Eglise riche, bâtie près de l’endroit où a été trouvée la fameuse statue de l’Hermaphrodite. Beaucoup de belles chapelles, statues et tableaux. Sur l’un des autels on nous fait voir Ste victoire en cire, habillée, égorgée, à la manière de Curtius. Quelques drapeaux pendus aux voûtes.

[en haut : jeune enfant caché derrière un masque colossal]

[en bas : statue d’Esope ?]


Page 120

Je vais au Quirinal, palais du pape, voir le cardinal Lambrucchini qui a une affection chronique du larynx et de la trachée artère. Il est ministre de l’instruction publique. C’est le plus capable de tous les cardinaux. Le pape l’aime beaucoup et avec raison a grande confiance en lui. Il est fort lié avec M. L. M. Il est grand, bien constitué, âgé de 62 ans, d’une belle figure souriante, haut en couleur, de beaux yeux noirs d’une expression charmante. Il est difficile de trouver un homme de forme, de manière et d’expression de physionomie plus agréable. Il parle bien français et toujours avec esprit et finesse. Il me donne deux belles médailles et deux gravures relatives à la bibliothèque. Il est bibliothécaire, logé modestement, comme on peut l’être dans un château royal, mais de sa chambre à coucher on plane sur de beaux jardins et on a une vue admirable.

Nous dînons avec le jeune prélat.

Mercredi 24 mai. Orage et pluie continuelle. Temps froid. J’apprends par le docteur Alesti la mort de notre pauvre ambassadeur qui a succombé hier vers les 9 h du soir.

L’obélisque de la place del Popolo est de 3 pièces. Il était en Egypte placé dans le temple du Soleil. Il a 75 pieds ?, est surmonté d’une étoile et d’une croix. Ses caractères sont plus nombreux et gravés plus profondément que sur notre obélisque. La place est balayée par les galériens en habits rayés. Quelques-uns portent une chaîne qui s’étend d’une jambe à l’autre.

L’église de Santa Maria del Popolo renferme de belles statues, quelques beaux tombeaux, des mosaïques. C’est la plus belle des 3 églises de cette place. Dans une niche, la Mort en marbre de Sienne enveloppée d’un linceul de marbre blanc ! ! ! Les églises de S. Maria [blanc] et de Sainte Marie des Miracles sont nulles ?

Villa Médicis. Académie de France, sur le mont Pincio. Grand palais tombant en ruines. Superbe position, vue admirable. La façade du côté du jardin, ornée de bas-reliefs. Magnifique jardin, orné de bassins avec des jets d’eau. Belle galerie d’étude de statues et de bas-reliefs moulés en plâtre. Quelques élèves y dessinent. Cette école est triste, sale et peu digne ! Un peu plus loin, le couvent de la Trinité des Monts, au-devant terrasse avec obélisque. Vue admirable. Je remets la lettre de M. de N…

Le Quirinal, sur le mont Quirinal ou monte Cavallo. Palais du pape et des cardinaux secrétaires d’Etat. Triple façade sur la place qui est décorée d’un bassin avec les statues et les chevaux colossaux de Praxitèle et de Phidias.

[image : figure de la Mort]

Eglise de Santa Maria del Popolo


Page 121

[en haut à gauche]

Prisons de Jugurta, de St Pierre

[en haut au milieu]

Empreinte de St Pierre !

[en haut à droite]

Roche tarpéienne

[en bas à gauche : plan situant les différents monuments visités vus du Capitole]

Bains de Titus. Arènes. Arc de Constantin.

Arc de Titus. Palais des Césars.

Faustine. Chapelle. Arc de Septime Sévère. Colonne de Phocace

Prisons de Jugurta. Ici le Capitole.

[en bas à droite]

Débris de statues colossales. Capitole.


Page 122

L’intérieur est une vaste cour carrée, avec une galerie autour, comme un cloître : je reviendrai, la pluie m’empêche de pousser plus loin mon examen.

Palais Scierra. Dans l’antichambre, grand trône avec baldaquin sous lequel sont les armes du seigneur propriétaire comme dans tous les palais romains. Appartements pauvres et sales. Galerie. Une Magdelaine du Guide. Copie de la Transfiguration de Raphaël par Jules Romain. Tableaux de l’école hollandaise, de Claude Lorrain. St Sébastien du Pérugin. Une autre Magdelaine du Guide, mais plus pâle et plus expressive que la 1ère. La modestie et la vanité de Léonard de Vinci ! La maîtresse du Titien, par le Titien. Beau portrait sous verre ! ! ! Un joueur de violon par Raphaël, sous verre ! ! !

Palais Doria. C’est le plus beau palais de Rome par sa construction, sa richesse, sa propreté. Galeries. Grande salle remplie de paysages à l’aquarelle par Gaspard Poussin. Autre salle remplie de grands paysages à l’huile par Gaspard et Nicolas Poussin. Les animaux entrant dans l’arche de Noé, du Bassan. Beau portrait de Machiavel par Andrea del Sarto ! ! Portrait de deux jurisconsultes en conférence, par Raphaël ! ! ! ! La Piété d’Annibal Carrache ! ! Tableau allégorique d’Andrea Doria et de sa famille sur un vaisseau, avec étendards, écussons etc. Des tritons se jouent autour du bâtiment et des Turcs s’y noient ! Femme allant au bain de François Tédesco ! La Charité romaine de Valentin.

Belle galerie carrée, circulaire, vitrée, ornée de glaces, bustes de Venise, de marbres. Les meubles en soie brodée, couverts de housses de cuir ! Le célèbre moulin de Claude Lorrain ! ! Lot avec ses filles, buvant à la lueur de l’incendie de Sodome par G. della Notte ! ! Temple de Delphes de Claude Lorrain ! Portrait de la princesse Doria, morte à 41 ans, belle, très bien peinte par Cardadera, espagnol. 3 tableaux du Guerchin : l’Enfant prodigue, Ste Agnès et St Jean ! ! ! Bélisaire de Salvator Rosa ! Ste Famille de Sassoferrato ! Luther avec sa femme et Calvin ! Un vieux berger de Rembrandt ! ! 5 tableaux de Brugala : la terre, l’eau, l’air, le feu et le paradis terrestre ! !


Page 123

Le Samson du Pérugin ! ! Sacrifice d’Abraham du Titien ! Le dîner de campagne de Tennius ! ! La jeune reine de Naples, par Léonard de Vinci ! ! ! Portrait du Titien, dans sa vieillesse, par lui-même. Beau portrait d’Andrea Doria par Sébastien del Piombo !

Capitole. La statue en bronze de Marc-Aurèle est très belle et encore en partie dorée ! Le musée de statues très riche ! Dans une cour du musée, pieds(1), mains, bustes colossaux en marbre blanc ! ! Un lion sur la croupe d’un cheval id. ! ! Deux statues d’esclaves en basalte et belle statue de Jules César. Salle avec les bustes des hommes célèbres d’Italie, en marbre blanc. Morgagni, Bardi, le Guide, Corrège, Tasse, Galilée, Raphaël d’Urbin, Pétrarque etc. Tombeau de Canova, Pie VII de Canova. Dans l’escalier de la galerie de tableaux 6 bas-reliefs très beaux venant de l’arc de Trajan qui a été détruit ! Belles fresques représentant Romulus et Rémus avec la louve, l’enlèvement des Sabines, combat des Horaces et de Curiaces, bataille de Tullius Hostilius etc. Louve en bronze, antique, allaitant Rémus et Romulus (les enfants sont modernes), bas-reliefs en marbre. Le temple de Janus, les portes sont ouvertes, très beau ! L’enfant qui se tire une épine du pied, bronze antique ! ! ! Beau buste en bronze de Junius Brutus ! Scie du poisson scie trouvée dans le Tibre.

Ste Famille de Jules Romain ! Salle du Sénat romain, ornée de tapisseries. Statues antiques, en marbre blanc, de Virgile et de Cicéron. Portrait d’homme de Velazquez ! Ste Famille de l’Albane ! ! Miniature de Subleyras, la Magdelaine aux pieds du Seigneur ! ! Ste Marie Magdelaine du Guide ! Magdelaine laide, mais très expressive, du Tintoret. Sibylle de Cumes du Dominiquin. Triomphe de Flore par N. Poussin. Magdelaine de l’Albane. St Jean Baptiste du Guerchin ! ! ! ! Romulus et Rémus avec la louve et le berger par Rubens.

Le gros orteil a la longueur de mon avant-bras et de ma main étendus ! Le pied a au moins 7 pieds ½ de longueur ! Fragments de statues mutilées.

[image]

Procession de la Fête-Dieu. Rome 25 mai 1837


Page 124

Ste Pétronille du Guerchin, tableau colossal, admirable, dont on fait une copie pour la Russie ! ! La femme adultère du Titien. La tête du Christ est d’une beauté parfaite ! ! ! Bataille d’Alexandre et de Darius par Pierre de Cortone. L’enlèvement d’Europe (en robe de damas !) par Paul Véronèse. Sacrifice d’Iphigénie par Pierre de Cortone. La tête d’Iphigénie est admirable. Ce tableau a trop poussé au noir [sic].

Roche tarpéienne. Par les atterrissements elle se trouve éloignée du Tibre et n’a guère que 50 pieds de haut. On y voit encore quelques constructions anciennes. Elle est couverte de maisons et dominée par une terrasse. Spécimen. Souvenir.

Prisons de Jugurta et de St Pierre. Creusées dans l’épaisseur de la roche, sur le revers du Capitole qui regarde le Forum, non loin de la Voie Sacrée et de l’Arc de Septime Sévère. On y entre par une petite chapelle, bâtie au-dessus. Elles se composent de deux chambres, situées l’une au-dessus de l’autre et dans lesquelles on descend par deux escaliers modernes. La 1ère chambre peut avoir une vingtaine de pieds dans tous les sens et ressemble assez bien à un grand four. Construite en grosses pierres bien jointes, elle offre, en haut et au milieu, une ouverture arrondie, d’environ 2 pieds de diamètre, par laquelle on descendait les prisonniers, bouchée par une grille, en bas une semblable ouverture qui communique avec la prison inférieure, à l’aide d’un trou carré, sorte de cheminée qui était occupée par un escalier qui servait à remonter les cadavres des prisonniers mis à mort. La prison inférieure est plus basse et plus étroite que la précédente. Elle n’a pas plus de six pieds de hauteur. On y voit, sur le côté opposé à l’escalier, une borne, entourée d’une grille de fer et qui a servi à attacher St Pierre. Au milieu un petit puits en marbre auquel est joint un petit bassin. C’est la fontaine miraculeuse, source qui garde constamment le même niveau (au moyen d’un canal d’écoulement qu’on aperçoit sur le pavé) et dont les eaux fraîches sont agréables, comme nous le constatons en les buvant dans une grande cuillère à pot que nous présente le moine. Spécimen. Sur l’escalier on fait voir, contre la muraille, le profil de la tête de St Pierre qui fut violemment poussé par un gardien. Cette empreinte évidemment sculptée est couverte d’une grille de fer.

Arc de Septime Sévère. Situé aux pieds du Capitole, a 3 arcades, très dégradé, à 30 pieds au-dessous du sol, entouré d’un rempart. On fait des fouilles aux environs. Pavés larges de la Voie Sacrée. Nous constatons à 7 à 8 pieds au-dessous un autre pavé plus beau, dallé ? ? Nous admirons l’activité des ouvriers qui travaillent en manteau et carrick ! ! ! Tas de fainéants ! !


Page 125

Jeudi 25 mai. Nous y allons à 8h. L’incertitude du temps a rendu l’assemblée moins nombreuse cependant le monde afflue de toute part. La place St Pierre est cependant loin d’être pleine. La procession se fait autour de la place, sous les arcades de la colonnade qui sont garnies de bancs, de chaises qu’on loue d’un à deux paoli par personne. La galerie est sablée, l’intervalle des colonnades couvert de tentes. On sème du buis sur le passage. Un piquet d’infanterie fait évacuer le milieu des galeries, chacun est à son poste, la procession sort. Nous voyons défiler successivement les congrégations des capucins, des augustins, des carmes, des serviteurs de Marie, des dominicains, de St Basile, les olivettains, les bénédictins, le collège des jésuites (très élégants), les séminaristes, tout le clergé de Rome (distingué par des cierges triples ou quadruples), le clergé des 7 basiliques, chacune est précédée d’une croix avec écusson auquel est pendue une cloche, que le porteur sonne de temps à autre au moyen d’une clochette et vient ensuite pour chacune une sorte de tente portée par plusieurs hommes. Les prélats bénéficiers, les généraux des ordres, les tiares du pape, les premiers prélats de Rome (rouges et violets), les chambellans, la musique de la Sainte Chapelle (sans musique), les évêques, le grand [blanc] grec (il est superbe), les cardinaux, le sénat, le pape, porté sur un dais blanc, doré, surmonté d’un baldaquin mobile à 8 bâtons, soutenu par 12 porteurs ecclésiastiques, entouré de 4 lanternes, suivi de deux énormes éventails en plume d’autruche. Il ne lui passe que la tête. Il est assis, mais rembourré en arrière, de sorte qu’il paraît à genou ! Devant lui le St Sacrement. Il ferme les yeux, penche sa tête blanche découverte, a l’air d’un vieillard agonisant qui n’a plus la force de se soutenir Tout à fait différent du pape que nous avons vu il y a 3 jours à la Chapelle Sixtine. Il paraît que ce mode d’aller l’incommode beaucoup ! Il aime à marcher ! ! Après le pape viennent les hérauts d’armes, des cuirassiers à pied, les gardes du corps ou garde noble à cheval (habit écarlate, éblouissant d’or), la garde civique à cheval, les carabiniers, les grenadiers à cheval, les dragons (la cavalerie est superbe, hommes et chevaux), puis enfin l’infanterie. Quand le pape sort de l’église et pendant toute la cérémonie on tire le canon au fort St Ange. Cette cérémonie est belle, imposante, se passe avec ordre et sans trop d’ostentation. Les premiers ordres sont sales, surtout les capucins (gamins aux cierges), les autres ont des costumes très brillants, très propres, parfois coquets. Couleurs brillantes, beau linge, dentelles, broderies d’or etc. Nous rentrons à St Pierre. Cette église est bien loin d’être pleine. Nous voyons repasser la procession dans l’église. Après déjeuner, pour aller à la grotte d’Egérie, nous repassons sous le mont Palatin et le palais des Césars. Nous croisons l’ancienne voie triomphale ; à droite nous voyons le mont Aventin et les ruines des bains de Caracalla. Plus loin à gauche nous passons devant le tombeau des Scipions ; nous passons sous

[image : détail du cortège de la procession de la Fête-Dieu]


Page 126

l’Arc de Drusus qui se trouve à 60 pas de la Porta Appia par laquelle nous sortons de Rome. Du côté de cette arc qui regarde la porte, il y a deux colonnes qui ne peuvent se voir sur mon croquis. Nous continuons d’aller sur la Voie Appienne qui est très bien entretenue. Nous laissons à gauche un ruisseau assez abondant. C’est l’Almon dont les eaux étaient sacrées et auquel se rendaient en procession les prêtres de Cybèle. Plus loin, toujours à gauche nous voyons les ruines d’un ancien tombeau, en briques et en pierres, sur le sommet duquel on a bâti une petite maison : on le regarde comme celui de la sœur des Horaces ? A droite de la route nous voyons les ruines du temple de Mars extra muros. Un peu plus loin à droite l’embranchement de la Via Ardeatina par laquelle on prétend qu’est arrivé Enée lors de son entrée en Italie ? ? A gauche plusieurs ruines ruinées [sic] inconnues ! ! Nous continuons notre route par la Voie Latine qui est d’abord assez bonne puis détestable. Nous tournons à gauche, derrière les ruines du temple de Bacchus sur lesquelles on a bâti la chapelle de St Urbin. On voit encore deux colonnes de ce temple. A droite nous voyons le Bois Sacré de Numa ! Nous descendons à gauche, dans un vallon, à travers des foins épais, et enfin après un petit détour à droite, sur le penchant d’un monticule, nous arrivons à la fameuse grotte ou fontaine d’Egérie ! ! formée de deux arcades, l’une externe plus grande, l’autre profonde plus petite, bâtie en briques et au fond de cette dernière, à 3 pieds environ d’élévation, une statue mutilée d’éphèbe [ ?] couché est soutenue par 3 gouttières desquelles s’échappe une eau claire et fraîche, fort agréable, qui tombe dans un bassin naturel ou plutôt dans une excavation carrée du sol. L’eau s’échappe ensuite par deux ruisseaux placés sur le pavé, le long des arcades. Au-dessus de la statue un trou qui n’aboutit qu’à des constructions profondes. Sur les parois de l’arcade, de chaque côté trois niches, deux latérales plus petites que la moyenne, plus en dehors à gauche une grande arcade, deux fûts de colonnes renversés sur le sol. Tuyaux de fontaine enterrés dans l’épaisseur du mur. Air frais, délicieux, silence, calme, riches végétations. Pampres de lierre retombent en guirlande au-devant de la grotte, lui font ombrage et lui donnent un air mystérieux. C’est un des endroits les plus romantiques que nous ayons vus ! ! ! ! !

[image du haut]

Arc de Drusus.

[image du bas]

Ruines à droite de la Voie Appienne qu’on dit être le tombeau de la sœur des Horaces !


Page 127

[images]

Grotte d’Egérie


Page 128

Cette fontaine regarde sur un joli vallon, dans lequel on nous dit avoir été placé le camp d’Hannibal. Plus loin on aperçoit les ruines du Temple du Ridicule. Non loin de là on voit les ruines immenses des aqueducs de Claude. A droite de la Voie Latine, nous trouvons l’Arc de Romulus, fils d’Auguste Maxence, restauré par le duc Turloni ! C’est sous cet arc que passaient les vainqueurs de la course aux chevaux du grand hippodrome qui est placé devant, qui a la forme d’un carré long et se trouve entouré de chaque côté par une longue muraille, et à l’extrémité opposée à l’arc, des ruines demi-circulaires où se trouvaient probablement les tribunes des pages de la course ? et à chaque extrémité une sorte de tour ronde avec des cubes. Ce sont les carcères où l’on enfermait les chars. L’hippodrome se trouvait placé entre la Voie Latine et la Voie Appienne.

En remontant la Voie Appienne, on trouve à gauche le beau mausolée de Caecilia Metella : tour énorme, en pierre, bien conservée, reposant sur une base carrée en maçonnerie solide. La partie supérieure a été ajoutée parce qu’on l’avait convertie en citadelle. Au centre grand puits qui remonte en entonnoir jusqu’en haut, où est une large ouverture. Belle construction. On arrive au puits par une ouverture pratiquée dans une partie ruinée de l’édifice. Autour débris de marbres. Au fonds du puits, pouzzolane. On a trouvé dans ce puits le beau tombeau de Metella qui est à Naples ! ! Une inscription en marbre, ancienne, porte le nom de Caecilia Metella et regarde la route.

En revenant nous visitons à droite les restes d’un temple qu’on dit avoir été bâti à Romulus. Il ressemble plutôt à un cellier. Construction solide. Un pilier moyen à niches soutient la voûte qui est circulaire. L’intérieur éclairé par des fenêtres en niches. L’édifice a la forme d’une tour large et basse !

[à gauche]

Arc de Romulus, fils de Maxence Auguste

[en haut à droite]

Plan de l’hippodrome

[en bas à droite]

Carcères


Page 129

Toujours en revenant, à droite je visite une carrière de pouzzolane qui n’a rien de particulier.

A droite nous entrons dans la basilique de St Sébastien par laquelle on descend aux catacombes. Cette basilique est assez belle : l’escalier de descente est commode, large. Dans une chambre souterraine on voit un beau buste en marbre de St Sébastien percé de flèches et son autel. Son corps y est déposé. Les catacombes elles-mêmes sont de longues

[en haut à gauche]

Temple dit de Romulus ?

[en bas à gauche]

Catacombes

[en haut à droite]

Temple de C. Metella

[en bas à droite]

Coupe du tombeau de Metella


Page 130

et sinueuses galeries creusées dans la pouzzolane, tuf tendre, brun ; ces galeries sont inégales, tortueuses, étroites (deux personnes ne peuvent le plus souvent y passer en se donnant le bras), leurs parois sont creusées de fosses horizontales, deux à trois sur la même hauteur. Ce sont des tombes ouvertes. On en voit d’enfant, de toute une famille, beaucoup ayant appartenu à des papes, à des Sts martyrs. A travers la fente d’une tombe non ouverte nous voyons des ossements. Nous visitons l’autel de St Philippe de Néry et sa chapelle. Portion du ciment calcaire dont le tuf est enduit et qui lui donne de la solidité. Nous voyons la tombe de St Maxime, de Ste Cécile. Les catacombes sont immenses. Elle vont jusqu’à la mer, à plusieurs lieues. Plusieurs personnes s’y sont égarées et y sont mortes. Le moine qui nous conduit pourrait y marcher pendant 4 heures sans se perdre ! ! ! Elles forment une immense ville souterraine, ne sont pas très humides, ont servi de refuge aux premiers chrétiens. On y a trouvé une immense quantité d’antiquités et de reliques précieuses. Dans l’église, sous un autel, beau St Sébastien, mort, couché, marbre blanc. Nous rentrons à Rome par la porte Capena. Nous traversons le quartier juif. Pain azyme ; sale, malpropre, quantité prodigieuse de femmes, molles, bouffies, éraillées, dégoûtantes et d’enfants à l’avenant ! !

[image]

Porta Capena

Vendredi 26 mai. Je rencontre dans les rues les marchandes de fraises, bacchantes modernes, en chapeau de paille, qui suivent en dansant, chantant et jouant du tambour de basque, l’homme qui porte les fraises qu’elles viennent vendre à la ville.

Je vais avec N. à la petite église St Onofre située sur une élévation près l’hôpital St Esprit. Le Tasse s’était retiré dans son petit presbytère. Il y est mort. Les frères lui ont élevé une pierre tumulaire et sur le pavé est sa pierre sépulcrale


Page 131

à gauche, en entrant dans l’église. Monument aussi simple que le poète était grand ! Au bas de son tombeau on voit écrit au crayon :

« O d’armi e cavalier gentil cantore

bacio tua tomba e vi depongo un fiore.

F. M. Piave. »

[image : monument funéraire du Tasse]

Hôpital St Esprit. Hôpital des fous.

L’hôpital des fous contient 432 malades des deux sexes. Bâtiment carré qui ressemble à une ménagerie sale et puante. L’infirmerie est cependant propre. Divisions des hommes et des femmes. Les fous couchent dans de petits dortoirs communs. Leurs lits sont faits et roulés comme dans les prisons. Les femmes sont plus bruyantes que les hommes. Leur corps de bâtiment est semblable. Le doct[eur] Valentini médecin. Il n’y a pas beaucoup de fous furieux. Le nombre des aliénés a augmenté par les événements politiques et cette augmentation porte plus sur les hommes que sur les femmes. Environ 80 guérisons par année. La cuisine est beaucoup trop petite et très sale ! !

Hôpital St Esprit. Je suis conduit par Monsignore le directeur, homme fort poli et très avenant (chapeau à 3 cornes, ruban rouge, manteau, bas violets) âgé d’environ 55 ans, lequel comme directeur jouit de 25 mille livres de rente et auquel on fournit logement, nourriture, feu, voiture, chevaux et domestique ! Le pauvre homme ! ! ! Son obligeance pour moi est parfaite. L’hôpital est fort riche. Nous visitons la division des enfants abandonnés. L’hôpital en entretient 2214 au-dehors. Il y a 500 filles dans la maison. Il y a à peu près 25 nourrices, belles, fraîches, bien nourries (30 onces de pain, 16 de viande, soupe, vin par jour). Chaque nourrice a deux enfants placés bien proprement à côté l’un de l’autre dans un berceau large. Les enfants sont très petits mais en général jolis. Les salles des nourrices sont propres, bien tenues, inodores!  Enfants emmaillotés à partir de dessous les bras. Nous visitons les magasins à farine, la fabrique de pâte, la boulangerie. Beau pain des malades. Fort bien administré. Immenses magasins de la pharmacie, masses de quinquina, d’émétiques etc. Dans un ancien sarcophage, on a établi des divisions avec un courant d’eau pour les sangsues, qu’on fait dégorger dans la cendre et qu’on fait resservir indéfiniment en les mettant pendant quelques jours dans ce magasin qui en contient 10 mille. Exemple à suivre. Moulin à quinquina mu par une chute d’eau. En 24 heures 30 livres de quinquina impalpable. Beaucoup de tonneaux de chlorure de chaux contre le choléra ! ! ! Les salles de l’hôpital sont immenses, très élevées, fort propres, lits de fer. Salle de 220 malades. Deux rangs de lits bout à bout.


Page 132

Chapelle au milieu. Au milieu, conduit souterrain pour enlever les immondices. Beaucoup de fenêtres, bonne ventilation. Salle des opérés. Elle donne sur le Tibre dans lequel on pêche par une fenêtre d’une chambre voisine. Le Tibre est très rapide. La vue est admirable de cette partie de l’hôpital. On voit une grande partie de Rome et en face le château St Ange.

[croquis : l’hôpital du Saint-Esprit]

Cabinet anatomique. Il est beau, propre, bien entretenu. Au-dessus des armoires sont les portraits des grands médecins ou anatomistes d’Italie. Belle préparation anatomique de Flajani. Les systèmes artériel, veineux et nerveux isolés. Ce dernier système est complet et les nerfs sont soutenus à distance dans leur situation respective. Préparation admirable, complète, à faire exécuter pour l’école ! ! Beaucoup de pièces d’anat[omie] pathol[ogique]. Enorme crochet de fer courbé en S extrait du rectum ! ! ! ! Histoire ! ! ! Bains d’eau, de vapeur, douches ? ? Bains de vapeur dans des lits pour les tétaniques. On en a guéri plusieurs ! ! Belle terrasse sur le Tibre. Table de dissection propre, bien éclairée, donnant sur le Tibre, abondamment fournie d’eau, table de marbre. Etau pour scier les têtes très commode. Lingerie. Salle de clinique médicale, placée en haut, précédée d’une petite chambre pour les leçons. Elle ne contient que 12 lits. Salle des maladies chroniques, au rez-de-chaussée, froide, humide, mais propre.

La succursale du St Esprit, située de l’autre côté de la rue, est un immense bâtiment, auquel on a ajouté de nouvelles constructions pour le cas échéant de cholera morbus. Une seule salle peut contenir 600 malades à l’aise ! Une petite division, sorte de lazaret à grille, au bout de cette salle, pour les cholériques, brancards, fauteuils, civières ou réserve ! En un mot on a multiplié les moyens de défense à la peur que l’on a de l’attaque et cette peur doit être furieusement grande ! ! !

En allant à la villa Pamfili nous passons à gauche de St Pierre que nous revisitons. Dans les niches du tour de la nef sont les statues colossales en m[arbre] b[lanc] des saints et saintes fondateurs des ordres religieux, avec l’habit de l’ordre et l’indication de cet ordre. A celle de St Ignace de Loyola, il y a simplement son nom et l’inscription en rouge est différente de celle des autres ? Tribune de Ste Véronique ! L’orgue est petit, séparé, placé à gauche et au-devant de la chaise de St Pierre. L’église a 84 pas de largeur. Nous passons à gauche de St Pierre le long des prisons de l’Inquisition ! ! On ne sait jamais s’il y a ou non des prisonniers et ce qui s’y passe.

Villa Pamfili (1). Grande et superbe propriété qui appartient au prince Doria. Pour y arriver, après avoir laissé St Pierre à droite, nous montons le mont Janicule, à la gauche nous avons l’aqueduc d’Auguste qui fournit l’eau à l’Acqua Paolina ; nous passons sous une porte de Rome au-dessus de laquelle passe l’aqueduc, de sorte

ancienne demeure de Galba !


Page 133

que l’ayant d’abord à notre gauche, nous l’avons à notre droite. [croquis]

Longueur et amène les eaux du lac Breschiano ?

En entrant nous visitons de nouvelles fouilles, superficielles, desquelles on a extrait des statues, des bas-reliefs, et qui ont mis à découvert des chambres sépulcrales ou columbaria comme des paniers à pigeons. Les petites niches sont revêtues d’un stuc qui adhère au tuf. Spécimen. Pots en terre ! ! ! Bâtisse en brique. Columbaria communs, in plebs ! Le palais est petit, carré, a deux corps de bâtiment superposés, bien décorés de statues, de bas-reliefs en [illisible] et d’un aspect agréable. Salle de tous les Pamfilii en marbre, bronze etc, bustes. Beaucoup de statues antiques, quelques-unes belles. Je remarque une Vénus pudique, à demi vêtue, ayant une pomme à la main et l’Amour à ses pieds, plusieurs vues intéressantes de l’ancienne Venise, avec petites figures. Beaucoup de mauvais tableaux et de copies. Appartements mal entretenus. Le mobilier a 200 ans. La concierge est dans la maison depuis sa naissance et sa famille depuis 100 ans ! En haut du bâtiment, salle du trésor, garnie d’une énorme grille de fer, où étaient autrefois les diamants de la famille et dont les armoires aujourd’hui sont remplies d’étrusques, de verroterie, d’œufs d’autruche, de cocos, de sculptures d’ivoire, de morceaux de marbre, de vieille vaisselle, vraie boutique de m[archand] de bric à brac !

De la terrasse du haut, on a une vue magnifique, un horizon fort éloigné. La moitié à peu près de cet horizon est borné par des montagnes et l’autre moitié par un pays plat. Les jardins sont dans le vieux style français : force bassins, jets d’eau, lacs, grottes ou statues. Buis taillé aux armes de la famille avec d’immenses fleurs de lys dans le parterre. Une partie des jardins est publique. Beaucoup de bosquets, de charmilles en laurier. Jeunes filles dansant sur la pelouse ? Belle plantation de pin d’Italie ! ! ! Deux beaux sarcophages, dont l’un a été trouvé à la villa Pamfili. Dans le monument dit les bains, orné de statues, une roue met en mouvement un jeu d’orgues, et au-devant des jets d’eau sortent de terre et inondent les badauds !

Tombeaux des Scipions. A gauche de la voie appienne. On y descend par un escalier de cave. Galeries semblables à celle des catacombes, un peu plus larges, soutenues par des piliers de brique de construction moderne. Sur la muraille, plaque de marbre

[images : vues des columbaria]


Page 134

de distance en distance, avec les noms des Scipions. Au fond, grande excavation d’où l’on a tiré le tombeau de Scipion et portion de corniche en pierre indiquant l’ancienne entrée du caveau. Ces caveaux sont très profonds, peu intéressants. Les pierres ne sont que des copies, les originaux ayant été enlevés.

Columbarium de la porte latine. Situé plus loin que le tombeau des Scipions, toujours dans la ville, près de la porte latine qui est condamnée. Monument des plus intéressants. On y descend par un escalier d’une 30 [trentaine de] degrés, assez rapide et on arrive dans un caveau voûté d’environ 12 pieds de diamètre, de 8 à 9 pieds de haut. Sur le mur de l’escalier, des excavations avec des petits tombeaux ou des pots et des niches pour les os brûlés. Au- dessus de la porte intérieure du caveau, excavation avec un tombeau en mosaïque, incrusté de coquilles. Tout le caveau incrusté de stuc blanc, avec des peintures légères à la voûte, représentant des pampres, des fleurs, de petits amours et des oiseaux. Sur la voûte est aussi une sorte de soupirail condamné. Tout autour du caveau sont de jolis petits temples et monuments, circonscrivant des cases ou des niches qui renferment soit de jolis petits tombeaux de marbre blanc, soit des pots de terre remplis d’eau calcinés et recouverts d’un couvercle. Ces petits temples sont en brique recouverte de stuc ! ! ! ! Dans la cour beaucoup de fragments de marbre sculptés ? ? ? Cercueil en brique d’une seule pièce. Beaucoup d’ossements. Urne de verre remplie d’os calcinés.

[en haut]

Columbarium

[en bas à gauche : détail de quelques niches]

[en bas au milieu : urne de verre]

[en bas à droite : petit temple]


Page 135

[à gauche]

Villa Pamfili

[à droite]

Ruines des thermes de Caracalla

Palais et thermes de Caracalla. Nous visitons ces immenses ruines. Tous les marbres ont été enlevés et la terre est jonchée de fragments de mosaïque, de marbre etc. Voûtes, arcades, salles immenses escaliers. 260 pas de longueur dans une partie ! ! ! ! Nous y reviendrons.

Samedi 27 mai. Je reçois la visite de M. Grégoire (un de mes ex malades qui a renoncé aux affaires, et depuis 2 ans vit en Roger Bontemps en Italie. Il a été complètement guéri à Marseille). Mosaïque raccommodée 34 livres. En allant au columbarium, je passe par le marché aux chevaux. Buffles gris, à tête noire, attelés à des chariots. Chez un marchand de bronze nous voyons de beaux serpents, lézards moulés sur nature. Chez M. Paumier m[archan]d d’antiquités, nous voyons beaucoup de statues, bustes. M. V. achète un Esculape 200 [livres]. Belles colonnes polies. Joli collier à pendeloques et boucles d’oreilles en or, chaînes fines trouvés dans un tombeau. Beaucoup de vases étrusques, en marbre, de pierres fines gravées. Bracelet de dame romaine, élastique, en or d’un côté, en argent de l’autre. [croquis] M. X nous donne des renseignements curieux. Il est instruit, parle bien. Le gouvernement lui achète ses plus belles découvertes. Il fait faire aussi des fouilles à Naples. Dans le joli columbarium que nous avons visité, la chambre était remplie de terre et on y a pénétré par la voûte, à genou, en tirant peu à peu la terre. Dans ce columbarium, qui est du temps d’Auguste et bien postérieur au temps des Scipions, on trouve la sépulture du parfumeur de Tibère, de la coiffeuse de la fille d’Auguste, du secrétaire d’Auguste etc. On y a trouvé plusieurs têtes de chien enterrés avec leur maître. Il y a un enfant de six ans, et un vieillard de 80 ans, ce qui est fort rare, car d’après les


Page 136

inscriptions tumulaires il paraît que les Romains mouraient jeunes en général. Sur la terre de ce caveau on a trouvé le mari et la femme enterrés sans avoir été brûlés. La femme avait un beau collier d’or. On les a laissés en repos après avoir pris le collier (les Romains paraissaient sur les derniers temps [avoir] renoncé à l’usage de brûler les morts). Au milieu du caveau on voit sortir le goulot d’un immense vase qui est rempli d’os calcinés et paraît avoir été une fosse commune où l’on mettait les cendres du menu peuple ! ! ! Nous voyons encore la statue en terre cuite d’un enfant emmailloté. Ex-voto d’une mère. Deux beaux patères à sacrifice, en terre, sculptés, avec une boule creuse dessous pour mettre les doigts afin d’assujettir le vase pendant les libations. [croquis] Les médailles, les pierres gravées, les petits bijoux se trouvent dans les terres aux environs des ruines des grands édifices. On en trouve rarement dans les fouilles. On passe la terre à travers des claies ou des cribles.

En allant à St Paul, nous laissons le mont Aventin à gauche et nous avons à notre droite la rive gauche du Tibre que nous longeons. Nous voyons sur le Tibre la ripa grande (ancien navalia), grand port du Tibre où remontent de petits bâtiments de commerce, endroit où les Romains faisaient venir le marbre etc et où ils avaient d’immenses magasins. Le Tibre se rend à la mer à 60 milles de Rome, à Fiumicino ? Plus loin nous voyons une colline d’au moins 130 pieds de haut. C’est le monte Testaccio, ainsi nommé parce qu’il est formé par des tessons et débris de poteries. Nous arrivons aux remparts de Rome et à leur niveau, à droite de la route, nous voyons le tombeau ou la pyramide de Caius Sextus. En face de la pyramide est un cimetière orné de sépultures modernes et circonscrit par un fossé profond en maçonnerie. C’est un cloaque au fond duquel on voit le pavé de la via ostiensis (antiquissima) usé dans plusieurs endroits par les roues des chars qui y ont fait des ornières+. On descend à la pyramide par un escalier d’une quarantaine de degrés, à raison de l’exhaussement du terrain. Cette pyramide très régulière, parfaitement conservée, c’est un des beaux monuments de Rome sous ce rapport. Sur l’une des faces de la pyramide est une porte par laquelle on pénètre dans les chambres antérieures. Sur les faces sont des inscriptions gravées en grands caractères. A chaque angle du côté de Rome, une belle colonne. La muraille de Rome bâtie par Aurélien s’appuie sur la pyramide. Avant qu’elle ne fût déterrée à sa base, un pape l’a fait percer vers le milieu de l’une de ses faces pour y pénétrer. On y a trouvé de fort belles antiquités ! !

+ on a aussi incrusté sur les parois de ce fossé de belles mosaïques antiques.


Page 137

Nous sortons de Rome par la via ostiensis et nous continuons de longer la rive gauche du Tibre jusqu’à St Paul qui s’en trouve à 500 pas.

St Paul. Cette magnifique église a été brûlée en 1823. Des ouvriers plombiers ont laissé du feu, et l’incendie qui a duré 15 jours a commencé par les combles. Il y avait 130 colonnes de marbre de 56 palmes de haut. Elles ont été détruites. Les portes de bronze ont été fondues. Travaux immenses de réparation, échafaudages. On a déjà replacé presque toutes les colonnes en granit du Simplon d’un beau poli, de 56 palmes de haut et 16 de circonférence. Belle voûte moderne en brique ! ! On répare les grandes mosaïques. Atelier de sculpture, de menuiserie, briqueterie etc. Les mosaïques de la façade de l’église sont presque toutes détruites. Nous voyons sculpter les deux grandes statues colossales de St Pierre et de St Paul ! ! Nous visitons les bords du Tibre à l’endroit où l’on débarque les marbres. Sables fins, grisâtres, eaux bourbeuses. Courant très rapide. Largeur : le tiers de la Seine à Paris. En rentrant en ville, nous rencontrons une procession dans la via del corso !

[image]

Pyramide de Caius Sextus

Dimanche 28 mai. Nous partons pour Albano à midi. Il y a 15 milles de distance. Nous passons à Rome devant les ruines du temple de Pallas. Il ne reste que deux belles colonnes avec une partie de la frise qui font partie d’une maison. Nous visitons.

St Jean de Latran. C’est la 1ère basilique du monde et la 1ère église fondée par Constantin. Bâtie en travertin. Belle façade ornée en haut de statues colossales au milieu desquelles est celle du Christ qui tient la Croix. Le péristyle est en marbre. Les piliers sont carrés et je ne sais quel pape a fait faire ces piliers autour de superbes colonnes qu’on a laissées au centre. Dans des niches, les 12 statues colossales des apôtres. Plafond plat, en bois, à compartiments, doré. Pavé en grosse mosaïque de marbre. Chapelle de Corsini à gauche, elle renferme le tombeau du pape Clément XII et on lui a donné le sarcophage d’Agrippa trouvé au Panthéon. Il est en porphyre rouge magnifique ! ! A St Jean de L[atran] il y a beaucoup de beaux tombeaux en marbre, bronze, et quelques bons tableaux.

[note en bas à droite] 180 dessins


Page 138

[à gauche]

Tombeau d’Ascagne, Porte d’Albano

[en haut à droite]

Temple de la Fortuna muliebre

[en bas à droite : aqueducs de Claude ?]

Nous sortons de Rome par la porte Caeli Montana, en suivant une route nouvelle (via appia nova). C’est la route de Naples. Nous laissons à gauche les restes du temple della Fortuna muliebre près duquel est un magasin de foin. C’est en cet endroit que Coriolan a reçu sa mère ! ! A gauche les aqueducs de Néron, puis ceux de Claude. Ces derniers ont 20 milles de longueur. Ils sont en ruines et ont servi en partie à la construction du nouvel aqueduc fait par le pape Sixte V qui conduit l’acqua felice. Jadis il y avait 14 qualités d’eau à Rome, aujourd’hui 4 seulement. Les aqueducs de Claude avaient été réparés dans quelques endroits et soutenus par une seconde voûte ! ! A 5 milles de Rome nous laissons à droite les ruines de la Roma vecchia, ancien faubourg de Rome ! ! ! et les ruines de réservoirs et beaucoup d’autres ruines inconnues. A droite les ruines de l’aqueduc Crabra.


Page 139

[en haut à gauche : ruines]

[en haut à droite : habitant d’Albano ?]

[en bas]

Lac d’Albano


Page 140

Les campagnes de Rome de ce côté sont d’immenses plaines sans arbres, pâturages, pallages, quelques endroits à peine cultivés et mal. Route excellente. A gauche on voit les Apennins couverts de neige. Beaux et bons chevaux. Troupeaux de bœufs gris. Lézards verts. Dans un endroit à gauche de la route, terres sulfureuses, blanchâtres, infectes ! ! ! Près d’arriver on voit sur la gauche Frascati, Castel Gandolfo, Grotta Furata, Marino, et à droite l’horizon est plat et borné par la mer. On voit dans cette dernière direction un petit village sur le bord de la mer, c’est Ardea, endroit où débarqua Enée ! ! ? A gauche de la route ancienne construction romaine réticulaire [croquis]. Enfin on aperçoit la porte d’Albano et avant d’y entrer à gauche de la route les ruines du tombeau d’Ascagne ?

Albano ressemble beaucoup aux villages de la rivière de Gênes, seulement moins orné. Paysannes propres, bien coiffées, assez jolies. Sur la route de Naples, qui s’est défoncée et s’est écroulée dans des carrières de pouzzolane, nous voyons à gauche de cet écroulement le tombeau des Horaces et des Curiaces qui est le lieu du combat. Nous voyons en passant les ruines de l’amphithéâtre de Domitien, plusieurs villas et le joli lac d’Albano, placé dans le cratère d’un volcan. De là nous voyons, en face, un village placé sur le sommet d’une colline, c’est l’ancienne position d’Albe. La partie interne de l’émissaire ou canal creusé par les Romains à travers la base de la montagne, au-dessous de Castel Gandolfo, pour l’écoulement des eaux du lac. Les ruines du temple de Diane. Castel Gandolfo. Nous allons à Castel Gandolfo par un chemin délicieux, couvert d’arbres, le long du lac. Couvent de franciscains réformés, ossuaire. Beau chêne vert au centre des chapelles de stations. Aqueduc en colonne. Castel Gandolfo. Belle mère nourrice ! ! Palais du pape. Prisonniers. L’eau de l’émissaire fait tourner 3 moulins. En revenant, nous laissons à gauche une grande ruine couverte de lierre, c’est le tombeau de Pompée ! Nous arrivons à la porte. Le pauvre homme qui la tient est ruiné depuis 3 ans par les mesures du cordon sanitaire. La journée a été extrêmement chaude. De 7 à 8h l’air est très froid. Aere cattivo. Vapeur atmosphérique. Climat insalubre.

Lundi 29 mai. La nuit dernière il y a eu un tremblement de terre à Albano !

Consultation pour une pauvre femme affectée d’un cancer. Nous visitons la colonne trajane. Au milieu des fûts de colonnes qui faisaient partie du Forum.


Page 141

Bains de Titus. Situés derrière le Colisée, il n’en reste plus que des ruines à peine dignes d’être vues. Bâtis sur la maison d’or de Néron qui est bien mieux conservée. Dans une grande chambre on conserve beaucoup de fragments de colonnes, de bas-reliefs, de poteries cassées, de mosaïques etc. Pots énormes à couleur contenant encore de l’ocre jaune ! Près de là est une ancienne chapelle chrétienne du 6ème siècle avec un vieil autel de pierre et quelques vestiges de fresques. Dans une grande chambre voûtée, au plafond quelques vestiges de fresques. Belles constructions de brique admirablement conservées. On voit dans une sorte de caveau une belle mosaïque bien conservée appartenant à l’une des anciennes maisons que Néron avait fait raser pour bâtir son palais. Les antiquaires pensent que cette mosaïque appartenait à la maison de Mécène ! ! Nous visitons la maison de Néron, formée d’une suite de grandes salles voûtées au plafond et sur le haut desquelles nous voyons de beaux restes de fresques très élégantes, dans le genre de celles de Pompeïa (figures, animaux, gazelle, vache ; esclave etc). On pense que c’est sur ces fresques que Raphaël s’inspira pour les loges. Salle à manger. Grande niche, dont le haut est peint à fresque en coquille et dont le bas était incrusté de marbre. On pense que c’était là où était le Laocon ! Titus, avant de combler la maison de Néron, pour y bâtir ses thermes, en avait extrait les statues et objets précieux. Cloaques de la maison ? Portion du jardin de Néron, avec une fontaine et une sorte de bassin circulaire pour cultiver les fleurs, couvert de voûtes établies au-dessus pour servir de base aux bains de Titus. La maison de Néron forme une sorte de rez-de-chaussée au-dessus duquel étaient les bains de Titus. Les Romains pour bâtir les voûtes en brique leur donnaient la forme d’un coin. Elles étaient très grandes et larges comme des tuiles ? [croquis] Nous voyons dans un passage les vestiges de deux serpents peints sur la muraille avec une inscription latine qui attire la colère de Jupiter et celle des dieux infernaux sur ceux qui imperare ou calare ! ! comme aujourd’hui on met à Rome une croix sur les murailles pour en éloigner les orduriers. [croquis]

Presque toutes ces fouilles ont été faites par les Français.

L’abbé savoyard au parapluie ! !

[en haut]

Colonne trajane

[en bas à gauche]

Pasquino

[en bas à droite]

Fontaine Navone


Page 142

Beaucoup de parties de la maison de Néron ne sont pas encore déblayées. On ne sait où mettre la terre ? Des bains de Titus on voit de l’autre côté des arènes d’autres ruines du palais de Néron qui occupait la place de ces arènes. On avait conservé cette portion de son palais pour tenir les bêtes féroces.

Pasquino. On nomme vulgairement ainsi à Rome une statue mutilée que l’on croit être celle d’un soldat, et qui est placée sur un piédestal à l’angle d’une maison. Nous la voyons en passant au coin du palais Braschi.

Vatican. Nouvelle visite. Deux beaux tombeaux en granit rouge, sculptés, de 7 pieds au moins de hauteur. L’un est celui de Ste Hélène mère de Constantin. Les bas-reliefs représentent des triomphes. L’autre est celui de la sœur de Constantin. Enfants en vendange, foulant des raisins, trouvés dans le temple de Bacchus. Magnifique mosaïque circulaire avec tête de Minerve au centre, trouvée dans la Villa Adriana ! ! L’immense vase de granit rouge a été trouvé dans les bains de Caracalla !

Thorax d’adulte en marbre blanc antique. 13 côtes de chaque côté ? La poitrine ouverte d’un enfant. On voit la trachée artère, le cœur, les poumons, le diaphragme et une partie de l’estomac. Marbre blanc ! ! !

Panthéon. Nous le visitons de nouveau. Le monument le mieux conservé de Rome. Belle colonnade de granit. Immense porte de bronze. Ouvert par le haut et au centre plan excavé pour entraîner l’eau de la pluie. Quand le Tibre est très haut, il reflue par l’égout et emplit le Panthéon qui est situé dans la partie la plus basse de la ville. Bâti par Agrippa. Les deux clochers sont nouveaux. A l’intérieur belles colonnes de marbre jaune. Autels bien décorés. Pavé de bric-à-brac (granit, porphyre rapetassé). Tombeau de Raphaël (simple inscription) mort à 37 ans, enterré dans cet endroit à droite de l’autel. A la gauche est celui d’Annibal Carrache.

Fontaine Navone. Elle occupe le milieu d’un marché. Des rochers supportent un obélisque. Aux quatre angles sont assis sur les rochers les statues colossales du Tibre, du Rhin, du Danube et du Rio Grande. Dieux marins, crocodiles etc. Les eaux jaillissent en abondance (Acqua virgine).

Mardi 30 mai. Les habitants de Rome sont plus malpropres que pauvres (en faisant exception des mendiants qui fourmillent et sont autant l’un que l’autre et dont beaucoup sont patentés avec la médaille en cuivre au côté). Les femmes sont aussi sales, négligées, mal rattachées, mal chaussées : elles ont de vilains pieds, les formes grosses, la tête volumineuse. Quelques-unes soignent bien leurs cheveux. Elles sont en général


Page 143

courtes, trapues, ont de larges hanches. Leur visage est pâle, bouffi ou jaune, maladif, leurs yeux grands, noirs, plus languissants que langoureux et par conséquent peu expressifs. Leur voix est assez agréable. Elles ne manquent pas de politesse et sous ce rapport l’emportent de beaucoup sur nos provençales.

Il y a à Rome, au milieu de la foule en haillons, beaucoup d’équipages, plus brillants que beaux, rouges, or ; laquais dorés sous toutes les coutures. Les fiacres sont des espèces de calèches, élégantes et commodes : elles vont bien et leurs chevaux sont assez beaux. Le duc de Turloni et le sourd muet ? ? ?

Pour aller au temple de Bacchus, nous sortons par la Porta pia (P[orta] Nomentana). A droite nous laissons le château de Turloni qui est en construction.

Nous entrons à gauche de la route, qui est fort belle et a été réparée par Pie VII, dans l’église de Ste Agnès extra muros. On y descend par un large et bel escalier en marbre blanc, dont les murs sont couverts d’inscriptions qu’on y a enchâssées et qu’on a trouvées dans le temple. Toute l’église est bâtie avec des marbres du temple et ses colonnes sont d’ordres et de marbres différents. Nous remarquons deux de ces colonnes en marbre qui sont cannelées et dont chaque saillie porte 7 baguettes. Elles sont d’une légèreté et d’une élégance parfaites. La sainte Agnès qui est sur le maître autel était une déesse païenne en albâtre : on lui a mis une tête, des mains et des pieds de bronze et la voilà sanctifiée. Sur un autel on voit un buste du Christ en marbre blanc par Michel-Ange. Il est admiré des connaisseurs. Moi je lui trouve peu d’expression et un défaut de symétrie remarquable entre les deux côtés du visage.

Le temple de Bacchus, situé à 150 pas de l’église Ste Agnès, est circulaire et a été transformé en une

[en haut]

S. Isidoro

[en bas]

Coupe du temple de Bacchus

(Eglise de Ste Constance)


Page 144

autre église nommée Ste Constance. Il est entouré et le dôme est soutenu par des colonnes disposées deux à deux fort élégantes et autour desquelles règne une galerie circulaire dont la voûte est couverte de mosaïques anciennes fort bien conservées qui représentent des enfants faisant la vendange, conduisant des chariots chargés de raisin, le foulant dans des cuves ou le recueillant, avec beaucoup d’ornements légers, de médaillons etc. On répare ces mosaïques. Dans une chapelle on a trouvé le beau tombeau de Ste Constance en granit rouge qui est au Vatican.

Nous revenons du temple de Bacchus à la Villa Borghèse en suivant les remparts extérieurs de la ville. Beaucoup sont anciens, d’autres réparés ou reconstruits par les papes. Ils sont ordinairement en brique, hauts de 36 à 40 pieds, très épais, flanqués de distance en distance de tours carrées. Derrière le mont Pincio nous voyons la partie qu’on nomme Muraille d’Aurélien et qui est formée d’une longue série d’arcades très élevées, incrustées de briques en maçonnerie réticulaire. Ces arcades ressemblent à des chambres sépulcrales ou à des salles de bains. Nous passons sous une portion des remparts qui s’enlisent comme la tour de Pise et qu’on nomme muro retorto.

[image : muraille d’Aurélien]

Villa Borghèse. Placée hors de la ville, à côté du monte Pincio dont elle n’est séparée que par les murailles et un chemin. L’entrée fort belle est située en dehors de la Porta del Popolo. Les jardins sont fort grands, bien plantés. Les statues, les balustrades, les bassins et jets d’eau, lacs, y sont en grand nombre, les routes belles pour les voitures. Cette villa appartient au prince Borghèse qui l’a rendue promenade publique en quelque sorte. Le palais est fort beau, bien conservé, très orné et renferme de belles galeries de statues. Dans la 1ère nous remarquons la statue équestre de Curtius qui se précipite dans le gouffre. Très hardi ! Marbre blanc antique. Dans les autres salons la statue de Cérès, Vénus sortant du bain avec l’Amour qui sourit à ses pieds. Le salon d’Hercule : 3 amours endormis et couchés l’un sur l’autre, moderne, Apollon et Daphné de Bernini. Beaux vases en porphyre, en marbre blanc sculpté et en marbre noir antique. Ces deux derniers vases ont coûté chacun 1.000 écus de façon. 18 bustes d’empereurs ou de consuls romains antiques


Page 145

en granit rouge avec le trône en albâtre gris, dur. Tombeau d’Adrien, en granit rouge, trouvé dans le moles adriana (château St Ange). Hermaphrodite antique ! ! Bas-reliefs mutilés venant de l’arc de triomphe de Trajan.

Nous remontons par le monte Pincio, nous passons devant la villa Médicis, Notre-Dame des Monts et en tournant à gauche nous allons à l’église des Capucins qui n’a rien de remarquable ; de là par la via de Saint Isidoro, nous allons visiter l’église de St Isidore. On y monte par un pavé détestable. Petite église, sorte de chapelle déserte, solitaire. Escalier en dehors. Sur la façade à droite St Isidore, à gauche St Patrizio en marbre. Dans une chapelle du fond beau tableau de Carlo Maratta, représentant la conception de la Vierge. Le manteau bleu de la Vierge, sa tête sont fort beaux, la carnation de l’enfant très fraîche. Quelques sculptures en marbre blanc. Eglise pauvre en partie badigeonnée ! ! ! ! ! !

Hôpital St Jacques. Situé près de notre hôtel. Il est assez vaste, mais obscur, sale. Le professeur de clinique. Seulement 16 à 18 lits (chirurgie, maladies syphilitiques), ces dernières très communes à Rome.

Mercredi 31 mai. Il fait une chaleur étouffante. Le vent qui souffle (sirocco) est redouté à Rome pour la santé !

Palais Farnèse. Appartient au roi de Naples. Grand bâtiment de forme carrée, bâti en travertin du Colisée ! ! ! Couvert de fleurs de lis. Sur la place sont deux beaux bassins, en granit, d’une seule pièce, trouvés dans les thermes de Caracalla, surmontés de fleurs de lis avec jets d’eau. Dans la cour sarcophage de Cecilia Metella, en marbre blanc. Il est d’un assez mauvais style. Beau sarcophage couvert de bas-reliefs (bacchantes) trouvé dans les thermes de Caracalla où il servait de fontaine. Belles fresques de Caracci, du Guide, de Vasari. Beaucoup de statues, de bas-reliefs trouvés dans les thermes de Caracalla. Modèle en plâtre de l’Hercule de Farnèse dont l’original a été trouvé dans les mêmes thermes. Beau plafond à caissons dorés. Ce palais est désert, sale, mal entretenu.

Palais Spada. Situé sur la place di Capo di Ferro, il est spacieux : à l’extérieur des statues de guerriers, armés d’épées. Cour carrée à colonnes avec beaucoup de statues de Vénus, de nymphes dans un grand état de nudité, qui doit blesser les yeux du cardinal qui l’habite. Dans le grand escalier boîte en bois (scritture per l’emo spada). Sur les murs beaucoup d’épées [croquis] sur des écussons. Idem sous le baldaquin de l’antichambre dans lequel se trouve la statue


Page 146

de Pompée : colossale, en marbre blanc, nue. Le bras droit étendu, le gauche plié soutient une draperie et la main correspondante tient une pomme (?). C’est aux pieds de cette statue que César fut assassiné par Brutus et on fait voir sur la jambe gauche une tache rouge (sang de César ! ! ! ! !). C’est tout simplement une couleur du marbre. Palais mal entretenu.

Palais Colonna. Une partie occupée par l’ambassade de France. Les galeries en sont belles, la grande galerie surtout. Beaucoup de tableaux. Portrait du vieux Colonna par Holbein. Beau meuble en ivoire sculpté et en ébène, représentant beaucoup de tableaux de l’Histoire Sainte, soutenu par des esclaves enchaînés, en noyer et ivoire : l’artiste a mis 30 ans à le faire ! ! ! On y voit les Loges de Raphaël, le Jugement Dernier de Michel-Ange etc. Fait il y a 2 siècles. Autre meuble en ébène et en pierres précieuses. Belles fresques au plafond. Beau portrait de la duchesse Colonna par Van Dyck. Les jardins du palais Colonna remontent sur le Quirinal et pour y entrer on passe par 3 ponts jetés sur la rue. En haut de ces jardins, énormes débris de corniches du temple du soleil en marbre blanc, sculpté, noirci par le temps. Un seul de ces fragments a 17 pieds de longueur et gros en proportion ! ! ! !

Palais Rospigliosi. Situé sur le mont Quirinal. Nous montons au jardin par un escalier inondé. Le palais n’est pas très grand. En dehors couvert de beaux bas-reliefs bien conservés, les plus petits sont de l’école grecque, les plus grands romains (1). L’Aurore du Guide sur le plafond du salon d’entrée ! ! ! ! Triomphe de David du Dominiquin, très beau tableau. 12 portraits des apôtres et celui de Jésus-Christ. Colossale nature, par Rubens ! ! ! !

Le mortier de cuisine de Michel-Ange. Anecdote : lorsque Michel-Ange vint à Rome à la demande du pape, il excita la jalousie de ses confrères. L’un d’eux lui dépêcha sa servante pour lui commander un mortier de cuisine. Michel-Ange fit le mortier, véritable chef-d’œuvre, et l’envoya à son confrère en le chargeant de faire le pilon ? ? ? Ce mortier a 4 petites têtes et des ornements délicieux. Andromède du Guide, tableau ! ! Samson renverse les colonnes de Louis Caracci. Buste antique de Scipion l’Africain avec une cicatrice en plus sur le côté droit du front.

(1) trouvés dans le Forum romanum


Page 147

[en haut à gauche]

Château de l’eau claudienne

[en dessous]

Amphithéâtre Castrensis

[en bas à gauche]

Campo Santo (cimetière)

[au milieu : Fontaine devant le palais du Quirinal]

[en haut à droite]

Sarcophage de Cecilia Metella

[en dessous]

Statue de Pompée

[en bas à droite]

Mortier de cuisine de Michel-Ange


Page 148

Quirinal. Palais du pape, situé sur le mont Quirinal ou monte Cavallo. Sur la place fontaine surmontée d’un obélisque, et de chaque côté, sur des piédestaux séparés, deux écuyers nus tenant par la bride des chevaux qui se cabrent. Ouvrage de Praxitèle et de Phidias trouvé sous les débris du temple du soleil. L’encolure des chevaux est trop forte, et les hommes beaucoup trop grands pour les chevaux qu’il faudrait autrement regarder comme des poneys malgré leur taille colossale. Les façades du palais du pape sont belles et d’une bonne architecture.

Derrière l’église Sta Maria Maggiore, colonne en granit, surmontée d’un Christ avec des fleurs de lis. Le pape la fit élever lorsqu’il leva l’excommunication lancée contre Henri IV.

Route de Tivoli. Aqueduc de l’acqua felice. Porta tiburtina (St Laurent) antique, bien conservée, belle.

St Laurent extra muros. Petite église avec de belles colonnes, de très vieilles fresques. Un beau sarcophage en marbre blanc, représentant sur ses bas-reliefs un mariage romain. Jolie chaire incrustée de mosaïques antiques. Contre cette église est

Le Campo Santo ou cimetière : c’est un grand enclos, entouré de murs ; il y a des caves recouvertes de pierres régulières, de distance en distance, numérotées. Sur l’ouverture des fosses en usage, couvercle en bois qu’on lève avec un levier en chèvre. Au milieu croix et lanterne allumée. Au bout quelques pierres tumulaires avec inscription en dalles de marbre. Les enterrements se font la nuit. Prêtres, pénitents, cierges.

Nous suivons en dehors de Rome la voie prénestine , et nous rentrons par la porte majeure pour aller aux ruines du temple de Minerva medica, ainsi nommé parce qu’on y a trouvé la Minerve au serpent qui est au Vatican. Ruines peu intéressantes mais en passant nous voyons le château de l’eau claudienne, très élevé, qui contenait trois aqueducs, placés l’un au-dessus de l’autre et qui conduisait 3 eaux différentes. L’acqua felice seulement traverse l’inférieur.

Ruines du temple de Vénus et Cupidon.


Page 149

Eglise Ste Croix de Jérusalem. Fondée par Constantin, assez insignifiante, si ce n’est qu’on y conserve la croix de Jésus-Christ et une quantité d’autres reliques dont le catalogue est placardé sur un pilier de l’église. Dans le chœur, grande fresque, mauvaise, représentant Ste Hélène qui retrouve la vraie croix ! !

Amphithéâtre Castrensis. Tenant aux murailles de Rome et saillant au-dehors. Bâti en briques, à petites colonnes en briques. Les arcades en sont murées. L’enceinte est occupée par un couvent de religieuses.

Théâtre Valle. Appartient à Turloni. On y joue l’opéra, commence à 10 heures. Loges grandes, peuvent communiquer ensemble. Salle assez grande, obscure (lustre à 20 becs), peu décorée, toile détestable. Les femmes vont au parterre. Horloge romaine au-dessus du rideau. Peu de monde, pas de grande toilette, vrai théâtre de province. Othello. Grand diable de noir, sec, usé, sans moyens, à mouvements automatiques. C’est depuis l’Othello de Covent Garden le plus mauvais que j’aie vu. Mme Garcia (Desdemona) a une belle voix, beaucoup d’applaudissements, on lui fait répéter un morceau et reparaître 3 fois, aux applaudissements nombreux de 25 ou 30 des 200 spectateurs au plus qu’on voit de distance en distance. Theatro cativissimo. Rentrés à minuit.

1er juin. Jeudi. Passé la matinée à visiter des Mazagrin ( ?), Fiopphi (1) etc. Vu au Corso le palais Vérosne, où a habité M. de M. Deux colonnes avancées soutiennent un pavillon vitré. Le bas est occupé par deux cafés, dont l’un est celui des échecs ! !

Eglise St André. Fresque du Dominiquin.

Eglise St Charles a catenari. 0.

Eglise de Jésus. Belle. On dit le Salut. Bénédiction du St Sacrement. Beau devant d’autel en balustrade de marbre de diverses couleurs. Tous les chapiteaux des colonnes dorés. A un autel énormes colonnes cannelées plaquées en lapis-lazuli avec baguettes d’or. Beaucoup de bronze et d’or. Belle mosaïque de marbre sur le pavé. Belles fresques. L’orgue joue.

(1) de Rossi fondeur en bronze. antiquaire (Corso, Condetti)


Page 150

Eglise de Ste Marie sur Minerve. Bâtie sur les ruines du temple de la belle Minerve qui est au Vatican. Beaucoup de tombeaux très beaux, quelques-uns fort anciens. A gauche de l’autel, superbe statue de Jésus-Christ portant sa croix par Michel-Ange. Tout en est parfait. Le pied droit qu’il avance et que les dévots baisent est en bronze et chaussé d’un cothurne. Le pied gauche est nu et en marbre comme la statue. La tête est pleine de douceur et d’expression ! ! !

Eglise de St Ignace ou des Jésuites. Superbe fresque à la nef, del Patre Pazzi, jésuite. C’est une des plus belles décorations que j’aie encore vues. Elle représente l’apothéose de St Ignace et son empire sur les 4 parties du monde. La perspective en est remarquable. Autel de St Louis Gonzalve. Cercueil en lapis-lazuli. Belles colonnes de marbre torses, ornées de bronze ! ! ! Eglise très riche.

2 juin. Vendredi. Visite à St Pierre. Nous montons au dôme et à la boule. Bel escalier, très doux, en marches de brique et de travertin. En haut de cet escalier sont incrustées dans la muraille des tables de marbre blanc sur lesquelles sont inscrits les noms des souverains, souveraines ( ?), princes (ainsi que la date) qui ont monté à la boule de l’église St Pierre. Monuments de vanité.  J’aime mieux les pierres tumulaires ? Je voudrais savoir si pour son argent, un bourgeois pouvait s’y faire inscrire ? Nous visitons les terrasses. Les statues au-dessus de la corniche, en travertin, doivent avoir de 12 à 15 pieds de hauteur. Paratonnerres sur tous les dômes. Nous visitons les deux galeries circulaires qui règnent en dedans autour du dôme. Perspective effrayante ! ! ! Belle mosaïque de la voûte du dôme principal. On monte ensuite par des escaliers commodes, dans lesquels on est incommodé par les courants d’air, vrais tuyaux de soufflets de forge. Puis on passe à un soleil brûlant. Transition très brusque de température ! ! ! Nous regardons en dedans l’église par les croisées les plus élevées, celles de la lanterne du dôme. Enfin on arrive à l’échelle en fer, contenue dans une sorte de tuyau et verticale qui conduit à la boule. Celle-ci est creuse, supportée par de fortes barres de fer qui se croisent à l’intérieur et qui vibrent par la force du vent. Il y a de petits trous à la boule, pour voir en dehors. Immense perspective de Rome et de ses environs. Les Apennins, la mer, Rome, le Tibre, les campagnes de Rome. Il pourrait tenir de 15 à 16 personnes dans la boule mais il n’y a pas de quoi s’asseoir et il est plus difficile d’en sortir que d’y entrer. On vous met proprement à la porte par un escalier que vous n’avez qu’à descendre sans pouvoir visiter une seconde fois ce qu’on vous a fait voir en montant.


Page 151

Sacristies. Il y en a 3 : celle des étrangers, celle des chanoines et celle des bénéficiers. Elles communiquent ensemble, sont remarquables par leurs richesses, leurs marbres, leurs statues, leurs tableaux (Marie de la fièvre ?). Belles boiseries. Elles forment un beau et vaste palais. Tableaux à fresques. Cette sacristie a coûté 5 millions.

Le Trésor. Dans une grande chambre remplie de grandes armoires à doubles portes et à tiroirs. Beaux candélabres de vermeil de Bernini. Croix de vermeil et de lapis-lazuli de Michel-Ange. Le pied de cette croix, qui est du même artiste, et où brillent l’or, le lapis-lazuli et les sculptures en cristal de roche, est admirable ! ! ! Beaucoup de Sts ciboires. Nous remarquons, parmi les Sts Sacrements, un en cristal, un en ambre jaune et un en vermeil orné de diamants très gros, en guirlande. Ce dernier ne sert que 5 fois par an à de grandes fêtes. Beaucoup de chasubles brodées en or etc, très pesantes et riches, agrafe énorme en vermeil et pierres précieuses et grande bague enrichie de pierres précieuses, dont on affuble la statue de St Pierre le jour de sa fête ! ! ! Un St Sacrement en filigrane d’or et en pierres fines, fait à Constantinople.

Souterrains. Ils ne s’étendent pas sous toute l’église et continuent une partie du pavé de l’ancienne basilique sur laquelle St Pierre a été élevée. Ils n’ont pas plus de 5 à 6 pieds de hauteur, sont peu humides, peu froids et en partie éclairés par des grilles de bronze qu’on trouve sur le pavé de l’église. On y descend par un petit escalier, sous le piédestal de la statue de Ste Véronique. Dans le souterrain, portrait de Ste Véronique en mosaïque.

Statue de St Pierre. C’est l’original de celle en bronze qui est dans l’église. C’était la statue d’un empereur romain. On lui a coupé la tête et les mains. On les a remplacées par ces mêmes parties en marbre comme la statue, et on en a fait St Pierre ? ? Comble de la stupidité et de l’hérésie ! C’était peut-être la statue de Néron ! ! Sous un autel, on conserve les pierres sur lesquelles ont coulé les larmes miraculeuses et sanglantes de la Vierge. C’est un marbre enfermé sous grille et dans lequel les

[en haut : la boule du dôme de l’église Saint-Pierre]

[en bas : ?]

[en bas à droite : pierre sur laquelle ont coulé les larmes de la Vierge]


Page 152

doigts des fidèles (peut-être aussi le ciseau d’un sculpteur) ont fait des excavations au niveau de ces larmes ? ? Le marbre est noirci par le temps, excepté au niveau des excavations. Dans un autre endroit les pierres que l’on attachait au col des martyrs pour les jeter à la mer, pierres miraculeuses qui sont revenues sur l’eau, sans le corps des martyrs ? ? On voit une portion du pavé et de l’autel de l’ancienne basilique. Ces souterrains renferment un grand nombre de tombeaux de papes (que l’on a fait descendre quand on les a remplacés dans l’église par des tombeaux plus magnifiques d’autres papes), de martyrs. Beaucoup de bas-reliefs, de mosaïques, de fresques. Chapelle de St Pierre et de St Paul : on y entre par une grille. C’est la plus belle des souterrains. Une lampe y brûle continuellement. Belles incrustations de marbre et mosaïque. Porte grillée qui communique des souterrains de St Pierre avec le château St Ange par le papeduc.

Palais Braschi. Appartient au jeune duc de Braschi qui, nous a-t-on dit, mène joyeuse vie et évapore rapidement son immense héritage. Nous ne voyons qu’un bel escalier. (Antinoüs)

Sarcophage très beau, trouvé dans une vigne, acheté par le gouvernement et mis en dépôt dans le cellier d’un marchand de vin. Combats de guerriers, bon bas-relief, bien conservé.

Basilique St Marc. Située sur la place du même nom, près le palais de Venise, où est l’ambassade d’Autriche. Belle suite de colonnes plaquées en marbre brocatelle : quelques bons tableaux, quelques tombeaux. Joli bas-relief en marbre blanc, d’une simplicité touchante de composition et d’exécution. Un prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux fait d’une main l’aumône à un vieillard et de l’autre bénit une jeune femme et un enfant qui sont à ses pieds ! ! ! Sur la place St Marc, à gauche de l’église, tronc mutilé d’une statue colossale de femme en marbre blanc. On l’appelle vulgairement la Dame Lucrèce.

Tombeau de Caius Publius Bibulo. Il était dans le Forum et fait partie d’une maison. C’est une sorte de muraille avec des colonnes plates. L’inscription à peine lisible. Le recommander aux amis. Nous revoyons notre Capitole, notre Forum, nos arcs de triomphe, notre Colisée, en un mot la partie sublime de Rome. Nous voyons dans le Colisée un moine prêchant entre deux lanternes, entouré de 12 à 15 pénitents gris, ayant à peu près autant d’auditeurs des deux sexes, et deux frères quêteurs à l’une des portes. Il ne fait pas


Page 153

[à gauche : cactus de la Vigna Palatina]

[à droite : plan des trois chambres de la maison dorée de Néron]

beaucoup d’effet au milieu de ces immenses ruines ? ? Nous montons à la

Vigna Palatina. C’est une jolie villa située sur le sommet du mont Palatin, sur l’emplacement de la maison dorée de Néron, attenant au palais des Césars. Elle appartient à un Anglais, M. Mills, qui l’a achetée il y a une vingtaine d’années du prince Spada et en a fait une habitation délicieuse, dont le jardin, peut-être mal dessiné, abonde en fleurs, en roses, chèvrefeuille, bosquets etc. De cette habitation, par trois terrasses, on a autant de vues délicieuses sur la campagne de Rome, sur Rome. C’est une vraie féerie ? harpes ( ?) éoliennes. M. Mills vit seul, et permet aux étrangers de visiter sa maison, le vendredi. Nous visitons les trois chambres qui restent de la maison d’or de Néron, très intéressantes. Elles sont placées à environ 40 pieds sous terre et chacune ouverte à son sommet par une large ouverture qui correspond à sa forme. On y descend par un bel escalier moderne, mais fort obscur. La 1ère est ronde, la 2ème carrée et la 3ème ronde. Eclairée par le haut au moyen de grandes ouvertures desquelles pendent de belles guirlandes de lierre de 25 à 30 pieds de longueur. Bâtie en brique. Les incrustations de marbre ont été retirées et le prince Spada y a trouvé beaucoup d’antiquités. Au-dessous de la terrasse beaux cactus (crapaud arborescent). Sur l’arc de Titus, bas-relief : les juifs ramenés captifs de Jérusalem. Chandelier à 7 branches [croquis].


Page 154

3 juin. Samedi. Partis à 6 heures du matin avec M. le Prélat pour Tivoli. Nous passons devant la fontaine de Moïse ; 3 niches, celle du milieu occupée par une statue colossale de Moïse, en travertin, fort médiocre.

Eglise Ste Marie des Anges. A gauche de la route. Peu d’apparence à l’extérieur, mais à l’intérieur, cette église sans être grande, offre beaucoup de grandiose. De beaux tableaux et surtout d’admirables fresques du Dominiquin. Cette église est très simple. Près de l’une des portes on voit les tombeaux de Salvator Rosa et de Maratta. Les ruines des thermes de Vespasien sont situées à côté de l’église. Masses de constructions en briques.

Nous revoyons l’aqueduc de l’Aqua felice, sortons par la porte tiburtina, sur la via tiburtina. Nous traversons le pont Tévérone. Nous laissons à gauche les ruines de Castel Archione que le pape Sixte V a fait détruire, parce que ce pays servait de refuge aux brigands. Plus loin à gauche on aperçoit le village de Monte Coeli, placé sur la crête d’un mamelon. Nous descendons à droite pour visiter le Lago di Tartro, sorte d’étang dans lequel se baignent des bestiaux, et dont les eaux troubles, surchargées de carbonate de chaux, sont dites pétrifiantes. Spécimen. Le sol de toute cette partie est formé de calcaire stratifié, travertin, formé par dépôt, comme les incrustations calcaires qui bornent le lac. Plus loin nous traversons sur un petit pont un canal étroit, taillé à vif dans le sol calcaire et dans lequel coule en abondance l’eau sulfureuse qui vient d’une sulfature peu éloignée. Les bords de ce canal, sans aucune végétation, sont d’un blanc jaunâtre par le dépôt de soufre qui vient des eaux. Celles-ci sont froides, d’un aspect légèrement laiteux !

Nous traversons un autre pont sur une branche du Tibre : à gauche de ce pont est la ruine du tombeau de Plausus Lucanus. Sorte de tour demi-circulaire, à peu près semblable à celui de Metella, et qui a été surmonté de nouvelles constructions pour en faire une forteresse. Nous laissons à droite la route qui conduit à la Villa Adriana que nous apercevons.


Page 155

[image]

Lac di Tartro

Nous nous engageons dans une forêt d’oliviers : la route monte beaucoup. Nous passons devant la maison de campagne du collège des jésuites et enfin nous arrivons à Tivoli que nous avons vu de profil en montant la côte qui y conduit.

Villa Adriana. Nous y allons à âne. A 2 milles ½ de Tivoli. Bâtie par Adrien qui y avait rassemblé tous les chefs-d’œuvre des arts de tous les pays et l’avait fait construire à l’imitation de plusieurs monuments de la Grèce, de l’Egypte etc. Ruines immenses, le palais impérial avait deux milles de circuit, la villa en a 7. Ces ruines consistent en des constructions de briques dont quelques-unes sont encore assez bien conservées et sont envahies par une abondante végétation. En entrant, belle allée de vieux cyprès et beaux pins d’Italie.

1° Portique à l’imitation d’Athènes. C’est une longue muraille [de] 590 pieds, en maçonnerie réticulée. Il avait un double péristyle pour avoir toujours de l’ombre.

[à droite]

Tombeau de Plausus Lucano à gauche de la route de Tivoli


Page 156

[image]

Villa Adriana près Tivoli. Prisons [à gauche]. Salons [à droite].


Page 157

[à gauche]

L’une des fontaines de la villa d’Est[e] près Tivoli.

[à droite]

Temple de la Toux, vu de la villa d’Est[e] à Tivoli.

2° Temple des Stoïciens, demi-circulaire avec 7 niches pour les 7 sages de la Grèce dont les statues ont été transportées au Vatican. 3° Théâtre maritime ou école de natation circulaire. On y a trouvé de belles statues qui sont au Vatican. 4° La bibliothèque, les grecques. Les marbres sont dans la sacristie de St Pierre. 5° La vallée de Tempé, imitée de la Grèce. 6° Palais impérial, immenses salons. 7° Les prisons. Elles avaient 3 étages et étaient toutes séparées les unes des autres. 8° Grand espace avec des constructions autour. Naumachie ? 9° Ruines de Canope.

Villa d’Est[e] : a été construite par le cardinal d’Est[e]. Est disposée en amphithéâtre, avec des terrasses et des escaliers qui descendent jusqu’à la vallée. Mauvais goût. Mauvaises fresques, mesquin, a dû coûter des sommes immenses, appartient au duc de Modène. Les fleurs de lys y abondent, moins cependant que les eaux qui forment de toute part des jets d’eau, des nappes, des cascades. Bassin aux cent fontaines. Massive. Nous ne remarquons


Page 158

qu’un beau bassin et d’admirables cyprès, de la hauteur de grands peupliers et d’une grande vétusté.

Fabrique de fer. C’est une usine où l’on bat le fer, on le met en barres. Forges et martinet, mis en jeu par les chutes abondantes d’eau. De la Villa d’Est[e] on a une vue admirable sur la campagne, à l’horizon on voit le clocher de St Pierre.

Dimanche 4 juin. Tivoli est une petite ville (1), assez mal bâtie, et dans laquelle il y a presque autant de mendiants que d’habitants, qui sont d’ailleurs sales, lents, peu expressifs et hâves. Ce n’est point sous ce rapport un pays romantique… Les auberges sont détestables et il serait sage d’emporter son dîner et son déjeuner. Le Teverone qui coule au pied de la colline escarpée sur laquelle est bâtie la ville avait produit de telles excavations qu’une trentaine de maisons se sont écroulées dans le lit du torrent : on a changé le cours de celui-ci. On a construit un nouveau pont avec un barrage, et on a conduit le Teverone à travers un double tunnel, adossé, dont la profondeur peut être de cent pas. Les deux courants très rapides qui traversent ce tunnel viennent se réunir à leur sortie en une seule nappe d’eau qui tombe presque perpendiculairement dans la vallée étroite qui est au-dessous. Les eaux se réduisent en vapeurs abondantes qui inondent les terres voisines et appauvrissent leur végétation ? ? dans un rayon de 20 toises. Bruit etc. Les abords du tunnel sont commodes et fermés ? ?

Les cascatelles sont moins grandioses que la cascade précédente, mais plus agréables. Elles se trouvent à peu de distance, à droite, sur le flanc de la montagne et forment beaucoup de petites nappes élégantes qui tombent et rebondissent de roche en roche jusqu’au lit du torrent qui coule au pied de la montagne. Plantations d’oliviers très beaux. Grande quantité de lézards verts. Forte chaleur. Chemin rocailleux et dangereux sur le flanc de la montagne où est pratiquée la route. Celle-ci est belle et présente des vues pittoresques. Maison bâtie sur l’emplacement de la villa d’Horace ? ? ? Je visite 1° la grotte de Neptune, qui s’est écroulée et par laquelle il ne passe que très peu d’eau.

6 lieues de Rome


Page 159

[image : Tivoli]


Page 160

[image]

Cascade de Tivoli vue du rocher Cassecou.


Page 161

[image : gros-plan sur la cascade de Tivoli]


Page 162

[image]

Grotte des sirènes


Page 163

[image]

Profil de la cascade


Page 164

2° la grotte des Sirènes. Antre obscure et profonde, dans laquelle l’eau qui vient de la grotte de Neptune et d’une cascade qui est vis-à-vis se précipite avec fracas. Horrible et très pittoresque. Au fond de cette grotte est une ouverture à travers laquelle on aperçoit les eaux écumantes de la grande cascade. 3° Les ruines du Temple de Vesta et de celui de la Sibylle qui lui est adossé se voient du fond de cette grotte et paraissent comme perchées sur la montagne à pic de la grotte de Neptune. Le temple de Vesta et celui de la Sibylle sont en ruines.

On doit faire la course à Tivoli en un jour. 5 heures suffisent pour visiter ce que ce pays offre d’intéressant. Nous revenons à 9 heures. Toutes les montagnes à Tivoli sont en calcaire de stalagmites très contournés  ? ? ?

Lundi 5 juin.(1) Visité le cardinal Fesch. Il fait réparer 3 tableaux du Purgatoire pour Mr de Marboeuf. Il est fort aimable et parle bien de la peinture, nous raconte quelques particularités intéressantes sur les artistes, donne un tableau de madone à Melle S. Nous revisitons sa galerie qu’il nomme son hôpital, et nous y admirons les chefs-d’œuvre de Rembrandt, Raphaël, Corrège, Léonard de Vinci, Titien, Wouwerman, [illisible], Girard Doro, Guerardo della Notte etc.

Dans l’après-midi nous visitons le Vatican et faisons des emplettes.

Mardi 6 juin. Nous visitons des églises.

St Jean Florentin. Eglise simple, peu ornée ; le maître autel a de belles colonnes de marbre jaspé rouge. Il est surmonté d’un grand tableau en ronde bosse, marbre blanc, le Baptême de Jésus-Christ, assez bon.

St Louis des Français. Façade simple : d’un côté de la porte, St Louis, de l’autre Charlemagne dans de grandes niches. L’église est simple, assez spacieuse, plaquée en marbre. Fresques du Dominiquin. Beaucoup de tombeaux de Français [suite p. 165]

Visité d’abord la collection d’antiquités du collège des jésuites, sur la recommandation de M. Capranesi. Ordre et silence de la maison. La collection est fort belle. Jolis tombeaux dans des columbaria modernes. Tombeaux en marbre avec des portraits non achevés. Les marchands les finissaient pour les mettre à la ressemblance du défunt, quand ils vendaient ces tombeaux préparés d’avance. Belles mosaïques. Beaucoup de miroirs en bronze. Chaîne avec grelots pour les bestiaux. Joli pied sculpté en ivoire, antique. Beaucoup de jolis vases antiques en bronze, de lampes, de candélabres. Petit squelette en bronze, dont les membres étaient mobiles (4 à 5 pouces de longueur). Beaucoup de figurines étrusques en bronze. Beaucoup plus grossières et corps plus allongés. 2 petits bœufs attelés avec la charrue et le laboureur derrière en bronze. Hameçon, trident pour pêcher les anguilles en bronze. Pioche, haches et autres instruments en bronze. Beau vase en bronze gravé, surmonté de 3 figures que forme l’anse du couvercle. Beaucoup de divinités, d’animaux en bronze. Médailles en os qui servaient de billets aux spectacles. Bracelets, poignards,

[suite de la note au bas de la page 165]


Page 165

parmi lesquels nous remarquons ceux 1° de Pauline de Montmarin ; 2° de Pierre de Bernis ; 3° du cardinal de la Trémouille ; 4° de Bourgeois, élève en gravure à l’Académie de France ; 5° de M. de St Priest

Ste Agnès, sur la place Navone, en face de la fontaine aux fleuves de Bernini. Petite, presque ronde, quelques tableaux en ronde bosse, marbre blanc.

Notre-Dame de la Paix. Petite, belle chapelle en marbre blanc, avec beaucoup de figures sculptées. Au-dessus d’un autel est une belle fresque de Raphaël, les quatre Sibylles.

Sta Maria in Navicella. Belles voûtes à fresques du dôme et du maître autel.

Le Vatican. 137 marches pour arriver au 1er étage ! Bibliothèque. M. Mezzofanti, le polyglotte. Il nous fait accueil gracieux et doucereux : petit homme maigre, sec, à figure large et nez effilé, peau jaunâtre, air superfin, moelleux, habit de prélat. Il me parle de mes ouvrages, preuve de ces mémoires qui n’oublient rien ; il a la bonté de ne se comparer qu’à un vocabulaire ! ! En vérité excès de modestie ? ? Il me parle de Mundinus, de la bibliothèque de Bologne. Ressemble un peu à l’abbé de la M… Apprend des nouvelles d’Orioli. Par son ordre nous visitons des manuscrits curieux sur vélin.

1° Un superbe manuscrit de Dante, fait il y a environ 300 ans, par ordre du duc d’Urbin. Il est rempli de jolies vignettes, dessins, ornements en or, azur, carmin, vermillon etc, d’une délicatesse et d’un fini admirables. Comme les autres manuscrits il est enfermé dans une sorte d’étui boîte en peau rouge.

2° L’histoire du duc d’Urbin, in-folio, dans le même genre, de la même époque.

3° Une bible en deux gros volumes in-folio. Beaucoup de figures, de vignettes, d’ornements, ayant appartenu au duc d’Urbin.

4° Un énorme bréviaire rempli de figures qu’on prétend avoir été peintes par le Pérugin.

5° Un gros volume in-folio, Histoire des martyrs, manuscrit écrit en grec, avec des figures byzantines sur un fond [suite p. 166]

[note]

pointes de flèches taillées en pierre, olives en plomb, avec le nom des légions romaines, projectiles lancés avec la fronde. Statues sardes en bronze, antiques. Balances comme les nôtres, suspendues par un anneau, poids en bronze, figures, passoires en bronze, casseroles. Beaucoup de bijoux : superbe collier en or étrusque. Belle solive très bien conservée et couverte de clous de bronze, morceau de la barque de Tibère, beaucoup plus belle que celle du Vatican. Verreries romaines. Beaucoup de figures et de bas-reliefs en marbre. Tuyaux de plomb avec le nom du fabricant. Robinets de bronze. Belles briques, figures en terre cuite , sigilla. Beaucoup d’ex-voto. Bras, oreilles, enfant. Beaucoup d’antiquités du christianisme. Masse des Japonais pour assommer les jésuites. Beaucoup de pièces des catacombes, fresques. Belle collection de marbres antiques. Vase de sardoine. Petit jésuite maigre, jaune, poli ? ? [croquis]

[fin de la note]


Page 166

doré très brillant venant de Constantinople, du 14ème siècle.

6° Bible grecque : couverture d’ivoire et d’ébène, écrite en lettres d’or d’un éclat remarquable ? ? ?

7° Manuscrit de Dante écrit par Boccace, avec des notes marginales de la main de Pétrarque ! ! !

8° Une portion des manuscrits de Pétrarque.

9° Manuscrits du Tasse.

10° Lettres autographes du roi Henry VIII d’Angleterre, écrites en français et en anglais.

11° Lettre, écrite en latin et imprimée sur vélin, réfutation de Luther par Henry VIII avec sa signature.

12° Manuscrit de Cicéron, écrit dans le 6ème siècle [sic] (De Re publica). Dans le 9ème siècle [sic] on avait écrit sur ces feuilles les lettres de St Augustin : en 1822 M. Maïs ? a fait reparaître les lettres du 1er manuscrit et l’a publié ! ! !

13° Manuscrit du 4ème siècle, sur parchemin, très curieux. Ce sont des fragments de l’Enéide avec des figures à la trempa. Les caractères de l’écriture sont très gros, difficiles à lire, les figures assez bonnes, colorées. La mort de Laocon. Entrevue d’Enée et de Latinus. C’est le plus ancien manuscrit de la bibliothèque.

14° Manuscrit mexicain, écrit des deux côtés en figures colorées très bizarres, se ployant comme une carte géographique et très long. [croquis] Rempli de signes, de divinités etc (avant la découverte du Nouveau Monde, expliqué et décrit dans un ouvrage anglais magnifique que nous voyons aussi).

15° Un manuscrit hébraïque, formant un volume gros comme un petit tonneau et devant peser au moins 200 livres ? ?

16° Grande médaille en argent, très belle, sculptée par Benvenuto Cellini, donnée par le pape Grégoire ?

17° Nous revoyons encore avec plaisir la délicieuse salle des papyrus et la belle fresque qui en décore le plafond et représente l’Histoire écrivant sur les ailes du Temps, avec la Renommée qui publie ses travaux et les Génies de l’histoire qui lui apportent des matériaux : de Raphaël Mentz ! ! ! !


Page 167

Nous revoyons sur une fresque de la grande galerie l’érection de l’obélisque et sur celle vis-à-vis le plan que Michel-Ange avait dressé pour l’église St Pierre. Il est bien plus beau que celui que l’on a exécuté. [croquis]

Dans une salle en haut, superbe char antique attelé de 2 chevaux. L’un des chevaux et les roues du char sont modernes. Cette belle antiquité a été trouvée sur la place de l’église St Marc et au palais de Venise à Rome.

Dans un jardin, pomme de pin colossale en bronze creux. Elle peut avoir 8 à 10 pieds et a été trouvée dans le Mole Adriana (Château St Ange).

Bains de Paul Emile. Il ne reste que de grandes arcades demi-circulaires et couvertes comme des chambres en brique habitées par de pauvres gens très sales, sorte de taudis où les puces abondent ? Dans une partie basse on voit encore un reste de pavé antique.

St Grégoire sur le mont Coelius, près le Forum. Assez jolie église, précédée d’un beau vestibule carré, à ciel ouvert, à colonnes et à pilastres. Dans une chapelle est un joli tableau de la Vierge et de l’enfant Jésus, avec une religieuse et d’autres personnages. Beaucoup de candeur ? Beau coloris ? Fresque du Guide qui représente un concert d’anges, au haut d’une grande niche, médiocre. Deux belles fresques qui représentent le martyr de saint André, l’une du Guide, l’autre du Dominiquin, plus belle. Belle statue de saint Grégoire par Michel-Ange. Table en marbre sur laquelle saint Grégoire dînait avec 12 pauvres.

Curia Hostilia : ruines de tribunaux bâtis par Tullus Hostilius. On a bâti dessus un campanile. En face se voient les ruines de la maison de Scaurus (insignifiantes).

Arc de Dolabella et de Silanus : petit arc en travertin, avec des inscriptions, peu curieux et sur lequel on voit des restes de l’aqueduc de Néron.


Page 168

Ste Marie Navicella. Petite église sur la place de laquelle Léon X a fait placer une mauvaise petite barque en marbre blanc ?

St Estienne le rond. Ancien temple de Claudius ou de Bacchus ? Près des aqueducs de Néron. Temple circulaire, entouré d’une double colonnade (de colonnes de granit et de marbre, d’ordres et de grosseurs diverses). On a comblé avec un mur l’entrecolonnement extérieur, et sur chaque compartiment sont représentés à fresque les supplices d’une immense quantité de martyrs. Dévergondage d’idées : tableaux qui feraient horreur s’ils n’étaient pas si mauvais et souvent si ridicules. Au bas de chacun d’eux est l’indication du martyr. Nous y retrouvons saint Agapète, brave jeune homme pendu par les pieds au-dessus d’un brasier ardent ! ! Au milieu de cette église est un modèle en bois d’un tabernacle, de 20 pieds au moins d’élévation, exécuté par un boulanger allemand.

St Clément. Eglise bâtie dans le style grec. Beau sarcophage antique, parfaitement conservé, dans lequel on a enterré un cardinal (à Rome les chrétiens se sont logés dans les maisons des paysans, et leurs morts se sont emparés de leurs tombeaux ? Dieu sait si plus tard les chrétiens ne céderont pas la place à d’autres ! L’asile des morts devrait être sacré et respecté toutes les religions). Le plafond de St Clément offre de belles rosaces dorées et au-dessus du maître autel assez belle mosaïque à fond doré.

St Pierre in vincolis. Belle église. Statue colossale de Moïse, par Michel-Ange. Le législateur des Hébreux est assis dans une position pleine de force, de noblesse, de majesté, il s’appuie à droite sur les tables de la Loi et ses doigts sont engagés dans les tresses de sa barbe ondoyante. La tête, tournée à gauche, est pleine d’expression. Son bras gauche repose sur le ventre. Cette magnifique statue orne le bas du tombeau d’un pape. Tout le bas de ce mausolée est de Michel-Ange. Le haut ne paraît pas achevé et se trouve en désharmonie avec le bas qui est d’une belle exécution et bien soigné.


Page 169

Dernière visite au Colisée, au soleil couchant. Nous montons jusqu’aux secondes arcades, grâce aux réparations qu’on a faites à cet admirable monument. Beaux points de vue. Effets de lumière. On ne peut juger de l’immensité du Colisée qu’en le voyant d’en haut. Piédestal de la statue colossale de Néron. Elle était en bronze. Nous ne quittons qu’à regret le Colisée. Nous repassons à travers le Forum, sur la Voie Sacrée jusqu’au Capitole. Dernier adieu à la vieille Rome !

Mercredi 7 juin. Nous n’avons plus que ce seul jour à passer à Rome !

Vatican. Nous revoyons le beau Persée et les deux lutteurs, 3 statues de Canova, commandées par Pie VII ! ! ! Le beau Mercure antique, nommé vulgairement l’Antinoüs. Belle colonne torse de marbre noir antique. Admirable statue de Jupiter. Ariane abandonnée. Bacchus couché, non restauré, de la Villa Adriana ! ! ! Une des Danaïdes qui est penchée et tient un vase en forme de bassine ! La Vénus accroupie, par le sculpteur grec  Bουπαλος (εποίει). Beau vase rouge antique, carré, restauré. Fauteuil percé antique, en marbre rouge, pour bains. Ganimède ? ! Ariane abandonnée dite vulgairement la Cléopâtre, parce qu’on a pris pour un serpent un bracelet qu’elle porte au bras. Belle statue équestre, de moyenne grandeur, de l’empereur Commode. Elle a servi de modèle à Bernini pour sa statue équestre de Constantin qui est à droite de St Pierre. Les muses, trouvées à Tivoli. La grande coupe de granit rouge a 41 pieds de circonférence et l’admirable mosaïque qui est au-dessous et qui dans sa zone extérieure représente des scènes neptuniennes, et dans sa zone intérieure des combats de centaures. La tête et le torse de l’Antinoüs, qui n’est pas la figure qu’à Paris on donne comme telle. Junon latine, revêtue de peaux de chèvres, adorée dans le Latium. Buste de Jupiter tonnant de Phidias ! ! ! ! Belle mosaïque circulaire, avec tête de Pallas au centre, trouvée dans la maison de Cicéron, à Tusculum (Frascati). Le tombeau de sainte Constance, en granit rouge, qui se trouve dans la même salle, a demandé pour être restauré, le travail de 25 hommes nuit et jour, pendant 9 ans ! ! ! ! ! Le fleuve Tigris réparé par Michel-Ange. L’Apollon au lézard ! ! Salle des vases ! ! ! ! ! ! pour la quantité et la qualité.

Musée étrusque, beaucoup de vases, de statues, de bas-reliefs, de peintures. Char de combat, étrusque, en bois, plaqué de bronze, avec deux compartiments, l’antérieur pour le cocher, le postérieur pour le guerrier ! !


Page 170

Jolies lampes, vases d’airain, candélabres. Socles articulés, ressemblant beaucoup aux nôtres, étrusques, en bois recouvert de bronze, avec des supports pour préserver de l’humidité, comme les patins dont on se sert dans quelques pays [croquis]. Armes de guerre en bronze, casques, cuirasses, jambières, lances etc. Beaucoup de beaux vases et coupes étrusques. Beau vase étrusque, trouvé raccommodé avec des agrafes qui traversent toute son épaisseur. Viscères humains assez bien modelés en terre cuite, ex-voto.

Nous revoyons les loges de Raphaël. Dans ces chambres nous réadmirons la prison de St Pierre, Héliodore, l’Ecole d’Athènes, la dispute sur le St Sacrement, le mont Parnasse et l’incendie ! ! ! ! ! !

Nous revisitons St Pierre et lui faisons nos derniers adieux ! ! ! Regrets !

Capitole ! ! Musée des statues. Sur l’escalier sont incrustés dans la muraille beaucoup de fragments d’un ancien plan des monuments de Rome, très bien fait, malheureusement fort incomplet. Un théâtre entier. Beau et grand vase de bronze à anse, sculpté, fort élégant, donné par Mithridate roi de Pont à un collège. Sur le bord on lit en grec (Bασιλευς Mιθριδατη) ! ! ! Jolie petite statuette en bronze, Diane à 3 formes. La déesse sous 3 costumes différents est adossée à elle-même.

Loi romaine de Septime Sévère et de Caracalla, en bronze, carrée, avec 3 petits bustes sortant du haut. Joli bas-relief (microscopique) représentant la Guerre de Troie avec une foule d’inscriptions en grec. Curieux ! [croquis : vase]

Très belle mosaïque en pierre dure, représentant deux masques. La fameuse mosaïque en pierre dure, la plus fine que l’on possède. Les 4 colombes buvant dans une coupe, venant de la Villa Adriana ! ! Statue du gladiateur tombé [croquis].

(Dans un cabinet circulaire et secret à cause des nudités. 1° La belle Vénus du Capitole trouvée il y a environ 100 ans au mont Quirinal ! ! ! ! Groupe de l’Amour et Psyché s’embrassant, trouvé au mont Aventin ! ! ! ! Une Léda avec son cygne moins belle que les 2 précédentes.)


Page 171

Beaucoup des statues antiques ont été mutilées par les chrétiens, comme profanes ? ? ? ? Cependant on [en] a trouvé que des gens conservateurs avaient voulu préserver de la fureur de ces iconoclastes en les enterrant après les avoir recouvertes d’un toit de tuile ! !

Belle tête de Marc Aurèle le Jeune, d’une admirable figure ! ! Julia Sabine, femme d’Adrien, très belle. Statue d’Agrippine mère de Néron, assise ? ? Néron ressemblant beaucoup à Dup…

Salle des philosophes : 91 beaux bustes. Statue de bronze de l’une des Camilles, fort belle ! ! Les deux centaures en marbre noir ! ! ! ! ! ! de la Villa Adriana. Hercule jeune colossal, en basalte, trouvé au mont Aventin. Hercule colossal en bronze doré ? ! Deux admirables statues d’Amazone dont l’une est blessée ! ! ! Le précepteur de gymnastique ! ! ! ! Le faune à la grappe, en marbre rouge antique, bien préférable à celui du Vatican. Le gladiateur mourant ! ! ! ! ! Antinoüs en pied ? ? Jeune faune de Praxitèle ! ! ! ! Antinoüs en divinité égyptienne, colossal ! L’Apollon au griffon ! ! ! Flore ! ! ! ! Buste d’Ariane ! ! Statue d’Isis ! !

Nous visitons l’église de St François d’Assise, bâtie sur l’emplacement même du temple de Jupiter Capitolin, sur la partie du Capitole opposée à la citadelle, laquelle s’appuyait sur la roche tarpéienne. Des degrés de cette église, on a une très belle vue du Capitole. Nous redescendons par les longues marches en briques du chemin qui mène au Forum et à la Voie Sacrée, nous revoyons la base de la colonne de Phocas, élevée sur un piédestal fort haut qu’on a déterré, les colonnes du temple de Jupiter Stator et nous disons adieu au Capitole.

Jeudi 8 juin. A 5 [heures] ½ du matin nous partons de Rome avec tristesse, regrets ! le cœur plein de reconnaissance pour elle. A 10 [heures] ½ nous lui faisons nos adieux du haut des collines de Baccano ! pour la revoir quand ? Nous déjeunons à Baccano. De là, nous allons à Népi, petite ville en partie fortifiée, près de laquelle on voit un aqueduc et au-devant un pont sur un torrent, très pittoresque.

[image : colonne de Phocas ?]


Page 172

[image]

Derniers adieux à Rome avant de descendre à Bacano, le 8 juin à 10h du matin !

Avant d’arriver à Civita Castellana, le pays devient très pittoresque. Nous traversons un pont ou chaussée sur un ravin, au milieu d’une forêt. Cet endroit était un repaire de brigands qui l’année dernière encore exerçaient leur rapine sur les voyageurs. Notre postillon (Hiomaseo) a été arrêté et presque tué l’année dernière. Le gouvernement a fait éclaircir la forêt tout le long de la route et placer dans cet endroit un piquet de gendarmes ! Arrivés à 5 [heures] ½ à Civita-Castellana, petite ville, assez propre, avec un château fort et un beau pont bâti sur un torrent par Léon X. Très beau. Les femmes et les enfants sont jolis. Logés à l’hôtel de la Poste.


Page 173

[image]

Pont et aqueduc de Népi

9 juin. Vendredi. Partis à 4 [heures] ½, passé par Utriculo, Narni. Arrivé à 2 [heures] à Terni. Visité la cascade. Nous sommes allés d’abord par la route d’en haut. Privilège du maître de poste. Petite calèche à 2 chevaux avec deux bœufs de renfort dans la montagne. La route est très pittoresque. La cascade vient du lac que forme le Velino. La cascade en haut avec 36 à 40 pieds de largeur. Elle se précipite en plusieurs bonds, écume, vapeurs, arc-en-ciel. Petite guérite en face. Le chemin de retour par le bas de la montagne est très pittoresque le long de la Nera qui reçoit la cascade. Pont antique découvert au milieu des masses de stalagmites qui forment


Page 174

[à gauche]

Pont de Civita Castellana

[à droite]

Le canal a 36 à 40 pieds de largeur.

Canal de la cascade de Terni : 36 à 40 pieds de largeur.


Page 175

[images : cascade de Terni]


Page 176

[en haut à gauche]

Cascade de Terni

[en haut à droite]

Pont trouvé dans le travertin

[en dessous : oliviers]


Page 177

les montagnes. Aspect poreux, spongieux de beaucoup de ces incrustations calcaires. Belle allée d’orangers fleuris. Belle fille ? ! !

10 juin. Samedi. Parti à 5h de Terni pour Foligno.

[image]

Spoleto

Le chemin est très pittoresque. Sur la route, grande quantité de troupeaux et bergers voyageurs (chèvres et moutons venant de Naples ?). Nous arrivons à la Somma, la partie la plus élevée des Apennins. Je la traverse à pied. Arrivés à 10h à Spoleto, ville placée sur une colline, entourée de mauvaises murailles dont Hannibal fit inutilement le siège après sa victoire de Trasimène, et point de sa retraite d’Italie. Cette ville est surmontée par le château fort dans lequel on enferme les galériens. Ils se sont battus entre eux il y a quelques jours, et on a rétabli la paix à coups de canon. Immense quantité de mendiants. Nous visitons le Duomo ou cathédrale où est un bon tableau d’Annibal Carrache et quelques autres bons tableaux.


Page 178

[image]

Aqueduc de Spoleto. Ancien pont romain.

Nous visitons l’aqueduc et la porte d’Hannibal ! Chaleur extrême. Les femmes de Spoleto sont agréables. Beaucoup de belles figures, mais sales, fainéantes, molles etc. J’achète un grand duc. Spécimen. La route de Spoleto à Foligno se fait à travers une immense vallée, bien cultivée, riche. Moins de mendiants. Les femmes et les enfants de belle figure, et d’une bonne santé. Différence d’avec les habitants des campagnes de Rome. Nous passons devant un Temple de Diane (sur la route, jolies colonnes et chapiteaux, converti en une chapelle (1)), eaux vives, pays agréable et pittoresque. Nous passons devant Trévi, ville fortifiée, perchée sur le sommet d’une

Ce temple sur le fronton, en marbre blanc, comme les colonnes, offre une croix enlacée de pampre et de chaque côté une grappe de raisin ? ?


Page 179

[à gauche]

Porte d’Hannibal à Spoleto. Au-dessus est écrit :

Annibal
Caesis ad Trasymenum Romanis
Urbem Romam infenso agmine petens
Spoleto
Magna suorum clade repulsus
Insigni fugā portae nomen fecit.

[à droite]

Temple de Diane. Route de Spoleto à Foligno.

colline. Pays tranquille, heureux. Nous arrivons à 6h à Foligno, la ville aux tremblements de terre, située dans une riche vallée, qui possédait la Vierge de Foligno de Raphaël. Femmes très jolies, beau sang. Ville presque française. Logés à l’hôtel de la Poste. Temps agréable, belle soirée.


Page 180

[à gauche]

Trévi

[à droite]

Porte d’Auguste à Perugia

11 juin. Dimanche. Partis de Foligno pour Perugia.

La 1ère partie de la route se fait dans une plaine riche en oliviers, vignes, blés. Moins de pauvres. Nous laissons à droite, sur une hauteur, St François d’Assise. La cathédrale est à ce qu’on dit remarquable. A gauche, presque vis-à-vis, nous visitons l’église de Sta Maria degli angeli, dont la nef, après avoir été lézardée par le dernier tremblement de terre, s’est écroulée subitement 15 jours après, pendant la nuit, sans tuer personne. Le dôme est resté, mais lézardé, on craint. On s’est occupé de le reconstruire. Grande église. Rien de bien remarquable.

Perugia (Pérouse) ville entourée de muraille, surmontée d’un château fort, juchée sur le haut d’une montagne fort élevée. La route pour y arriver est très escarpée, longue, et fatigante, mais offre de toute part une vue magnifique. Descendus à l’hôtel de la poste, dans la via del curso qui mène directement à la cathédrale ou St Laurent. En face de l’église, sur la place, est une belle fontaine, à deux bassins superposés, sculptés, en marbre blanc et bronze. Sur le péristyle de l’église, chaire publique pour les prédications extérieures. Le vaisseau de l’église est beau, soutenu de chaque côté par un rang de piliers polyèdres en stuc. On dit la messe. Orgue médiocre. Dans le public, quelques


Page 181

[image]

Palais de Perugia. Lieu des exécutions. Griffon. Lion en bronze. A droite, prison, cachots, deux prisonniers condamnés à mort y sont enfermés. Maintenant on fusille. Le militaire et le bourgeois ? ? ! !

bourgeois, beaucoup de paysans. Beaucoup de vieux tableaux. Belle descente de croix du Barrocchio. Beau chapitre en bois sculpté, avec quelques dorures, fait d’après les dessins de Raphaël.

Dans le palais du connétable, nous voyons dans un vieux cadre doré qui fait partie du tableau, une jolie Vierge qui fait lire l’Enfant Jésus, par Raphaël à l’âge de 18 ans.

Arc d’Auguste. Construction romaine. L’une des portes de la ville. Au-dessus est écrit AUGUSTA PERUSA.

Université. Ne vaut pas la peine d’être visitée. Quelques vieux tableaux du Pérugin bien enfermés et délabrés. (Les habitants de Pérouse ont le front large, les yeux petits, noirs, l’air doux et la mâchoire infér[ieure] très large. Caractère des figures du Pérugin ? ? ?)


Page 182

[en haut]

Lac de Trasimène vu au-dessus du défilé de Passignano.

[en bas]

Idem vu au-dessus de Passignano.


Page 183

Nous déjeunons avec un jeune Français de bonne façon, qui nous fournit quelques détails sur le dernier tremblement de terre, sur Naples etc. Il a fait 25 jours de quarantaine.

Après avoir quitté Perusia, nous laissons à gauche la Maggiore, maison fortifiée d’un cardinal. Après une rude montée et une route détestable sur laquelle un de nos chevaux s’abat, nous arrivons sur les bords du lac de Pérouse ou Trasimène. Lac très beau, tranquille, entouré de montagnes peu élevées, placé comme dans un cratère. Abord facile. Vue très pittoresque. Trois îles, une habitée par des religieux, une autre par des pêcheurs et des bergers. Nous couchons au village de Passignano, habité par des pêcheurs et une nuée de mendiants de tout âge et sexe. Promenade sur les bords du lac. Demain nous verrons le Campo Sanguinetto, où Hannibal a battu le consul Flaminius.

Lundi 12 juin. A 4 heures, nous quittons Passignano. Nous revoyons les bords du lac de Trasimène et le Campo Sanguinetti où Hannibal a battu Flaminius après lui avoir fermé le passage de Passignano et en l’attaquant par la montagne. On traverse plusieurs petits ponts jetés sur des ruisseaux qui gagnent le lac à travers le Campo Sanguinetti.

La route est très belle. Nous passons devant Cortone que nous laissons à droite sur une hauteur. Arrivés à Arezzo à midi. Hôtel de la poste. Nous allons par la via del Corso visiter la cathédrale et remarquons 1° Le tombeau d’un cardinal, Guy Tarlati de Petramala, dessiné par Jean de Pise en 1527. Ce monument, dans le genre gothique, d’environ 25 à 30 pieds de haut, est orné de jolies statuettes. 2° Le maître autel en marbre blanc représente une sorte de tabernacle dans le style gothique tout couvert de petites statues, par Jean de Pise. En sortant de la cathédrale, nous voyons dans la via del Orto, la maison où naquit (1) Pétrarque, maison qu’il habita. Une longue inscription latine sur une grande table de marbre blanc fait reconnaître cette maison qui est nouvelle et n’indique que la place de celle de Pétrarque ! ! !

Il habita seulement cette maison car il était né à l’Incisa, avant dernier relais de poste sur cette route avant d’arriver à Florence.


Page 184

[image]

Lac de Trazymène vu de la Dogana romana

Nous traversons une belle, riche et longue vallée, couverte des plus belles récoltes. Nous voyons une minuscule plaine de pouzzolane, assez fertile, mais qui s’abaisse, ses terres étant entraînées par les pluies. Aspect singulier des terres délayées, délitées par les pluies. Dîner et souper à l’hôtel de la poste à Levano. [croquis]


Page 185

Effets emportés

12 chemises dont 6 de toile
2 chemises de nuit
10 paires de chaussettes dont 4 de laine
6 paires de chaussettes de soie
2 paires [de] chaussons de coton
3 gilets de laine
2 caleçons de laine
1 caleçon de coton
22 foulards
24 cols blancs
3 cols noirs
6 essuie mains
5 gilets habillés
6 pantalons
2 robes de chambre coton. 1 colorée
1 habit
4 redingotes
2 manteaux
5 paires de souliers
2 paires de bottes
1 paire [de] pantoufles
1 chapeau
1 casquette
1 bonnet de velours

[Colonne 2]
Fond de la caisse
1 boîte de soude, d’acier [ ?], épingles
1 boîte maladies des yeux
1 boîte pharmacie
1 boîte bleue ; pour M. de Maubourg
1 sac et 1 pot de tabac
1 volume pour Me Stark par Galignani
2 bandes, 1 en caoutchouc
1 boîte. Mosaïque. Rome
1 tabatière
1 étui en fer blanc
1 pince à amygdale. Erigne
1 clef de Garengeot et pince incisive, les crochets dans la boîte aux soudes
10 jetons de l’Académie
1 crayon au pastel
Linge de corps et vêtements au-dessus
1 carton à écrire, portefeuille
1 boîte à décoration
1 nécessaire de table
1 boîte à dessin et plumes
1 boîte de couleurs
1 carte de France
1 carte d’Italie
1 livre de poste
1 itinéraire d’Italie

[colonne 3]

Sac de nuit
1 chemise de nuit déjà comptée
1 [paire de] pantoufles
1 nécessaire à barbe
2 chemises blanches


Page 186

[images]

[en haut à droite]

Vicolo dal Pallaro. Cannes de palmiers.

Ecrit

Fontainebleau. G.N.
Montbard. L.G.
Lyon. G.N.
Toulon. G.N.
Oneglia. 1 G.
Gênes. 1 G. 1 Chomel.

11 mai. Florence. 1 à G. 1 à N. 1 à Salari.
18 mai. Rome. 1 à G. 1 à N.
23 mai. Rome. 1 à G. 1 à N.

[croquis suivi du texte d’une inscription]

Locanda della porta, de Ponte Gentino « Qui. la. bucca. del. cacatoio. No. si. verrà porci. vecchi. cornati. No. cacate. in. terra. e. se. per. disgrazia. colle. mani. vi. nettate. il. culo. mettate. in. bocca. e. non. sporcate. il. muro. »

30 mai. Rome. Giron, Niza, Toirac, Cadet, Lebreton, Mesnardi, Montoran, Gudier, Boneschi, Tercheneau, Gallicourt, Orfila, Chatelain, Restou, Jacquemet, Boivin.